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Jeunes chercheurs

L’adaptation des femmes Mbororo au changement climatique.

Expériences d’une communauté pastorale dans la région Nord-Ouest du Cameroun

Moye Eric Kongnso

Enseignant-chercheur, Département de géographie, d’environnement et de planification, Université de Dschang, Cameroun

moyeeric@yahoo.com

numéro :

Varia

Miscellaneous

Vinginevyo

متفرقات

GAJ numéro 02 première.jpg.jpg

Publié le :

20 mars 2025

ISSN : 

3020-0458

09.2025

Les éleveurs indigènes mbororo sont les plus durement touchés par la variabilité et le changement climatiques en raison de leur lien inextricable avec l’environnement naturel et de leurs possibilités d’adaptation limitées. Partant du principe que les femmes mbororo sont très vulnérables aux aléas climatiques, cette étude s’est attachée à examiner leur rôle dans l’amélioration de l’adaptation à la variabilité et au changement climatiques. Dans le cadre d’une approche qualitative, les données ont été recueillies auprès d’éleveurs mbororo (9), de cultivateurs (6), d’autorités traditionnelles (3), de chefs de groupes de femmes mbororo (3) et de membres du Mboscuda (4) sélectionnés à dessein dans les communautés mbororo de la région. Les données secondaires ont été obtenues à partir de publications en ligne, de rapports et d’archives. Les données recueillies ont été codées et traitées avec le logiciel Atlas.ti. Des analyses thématiques et de contenu ont été effectuées sous l’angle de la théorie écoféministe. Les résultats ont révélé que les femmes possèdent des systèmes de connaissances précieux et qu’elles sont toujours à l’avant-garde de l’adaptation, en particulier dans les cas d’émigration des hommes. Les femmes se sont activement impliquées dans la diversification des moyens de subsistance tels que la traite des bovins et les cultures, renforçant ainsi leur résilience et réduisant les chocs climatiques. Contrairement à ce qui se passait auparavant, plus de 60 % des femmes mbororo élèvent aujourd’hui des animaux plus petits, tels que des chèvres et des moutons, qui sont plus adaptables que les bovins. Néanmoins, le rôle des femmes dans la mise en œuvre de ces systèmes de connaissances indigènes a été atrophié. La discrimination fondée sur le sexe en matière de propriété foncière, le faible niveau d’éducation, l’insuffisance des ressources financières et la faible participation des femmes à la prise de décision sont quelques-uns des facteurs qui entravent l’adaptation. Par conséquent, les politiques d’adaptation au changement climatique doivent tenir compte de la dimension genre et prendre en considération les populations autochtones et leurs systèmes de connaissances locaux.


Mots-clés

Femmes mbororo, connaissances indigènes des pasteurs, changement climatique, adaptation, sensibilité au genre

Plan de l'article

Introduction

Contexte et justification

Cadre théorique : La perspective écoféministe dans l’adaptation au changement climatique


Matériaux et méthodes

La zone d’étude

Collecte et traitement des données


Les résultats

Vulnérabilité des pasteurs mbororo aux effets de la variabilité et du changement climatiques

Contribution des femmes mbororo à l’adaptation au changement climatique

Contraintes rencontrées par les femmes mbororo dans la mise en œuvre de l’adaptation


Discussions


Conclusion et perspectives

Introduction

Contexte et justification

La variabilité et le changement climatiques constituent l’un des enjeux globaux les plus difficiles à résoudre aujourd’hui. Aborder efficacement les questions d’adaptation et d’atténuation est devenu une priorité mondiale. Les impacts du changement climatique ont partie liée avec le genre car les hommes et les femmes sont confrontés à des vulnérabilités différentes en raison d’inégalités telles que l’accès aux ressources et la participation à la prise de décision. Ces inégalités et discriminations réduisent la capacité des femmes à s’adapter et à atténuer les effets du changement climatique (Carvarjal Escobar et al.,, 2008, p. 278 ; Chingarande et al., 2020, p. 34 ; Nwamaka et al., 2020, p. 4). Des études ont également révélé que les femmes autochtones sont très exposées aux aléas climatiques en raison de leur lien inextricable avec la nature et de leurs stratégies d’adaptation limitées (Tantoh et al., 2022). Selon le GIEC (2014, p. 5), les segments les plus pauvres de la société sont les plus vulnérables au changement climatique, la pauvreté étant un déterminant clé de la vulnérabilité pour plusieurs raisons. D’une part elle restreint l’accès aux ressources permettant de faire face aux événements climatiques extrêmes et d’autre part elle favorise la marginalisation dans la prise de décision et l’accès à la protection sociale. En Afrique subsaharienne, les inégalités en matière de propriété, d’accès et de contrôle des ressources naturelles ont exposé les femmes aux chocs climatiques (ONU Femmes, 2009 ; Awiti, 2022, p. 9).
D’une manière générale les femmes y sont confrontées à une discrimination fondée sur le genre en ce qui concerne le contrôle et la propriété des terres (Njieassam, 2019, p. 8), mais les femmes autochtones connaissent une triple discrimination fondée sur leur sexe leur appartenance ethnique et leur classe économique. Les femmes fournissent plus de 80 % de la main-d’œuvre agricole et domestique en Afrique, mais elles contrôlent moins de terres que les hommes ; en outre, les terres qu’elles contrôlent ont tendance à être moins fertiles, et le régime foncier des femmes n’est pas sécurisé (Njieassam, 2019, p. 15). Toutefois, en dépit de leurs positions critiques, les femmes disposent de connaissances, de compétences et d’agentivité remarquables dans la gestion des ressources naturelles et sont souvent en première ligne dans l’adaptation au changement climatique notamment en situation de forte émigration masculine (Nellemann et al., 2011). Les politiques climatiques sensibles au genre doivent donc être renforcées dans toutes les dimensions relatives à l’adaptation, l’atténuation, dans les moyens de la mise en œuvre (financement, développement, transfert de technologies, et renforcement des capacités) ainsi que dans la prise de décision (Chingarande et al., 2020, p. 19).
Au Cameroun, l’agriculture est l’épine dorsale de l’économie, employant près de 70 % de la population et contribuant à environ 35 % du produit national brut du pays (Molua, 2011, p. 21). Les productrices camerounaises constituent un groupe important, impliqué principalement dans la production de cultures vivrières, mais de plus en plus, l’élevage de petits animaux et de ruminants est en train de devenir une activité secondaire (Molua, 2011, p. 29). Avec différentes zones écologiques, la région Nord-Ouest du Cameroun présente une agroécologie qui favorise les cultures céréalières et l’élevage. Dans un contexte essentiellement traditionnel, les femmes sont principalement impliquées dans une agriculture sensible aux moindres changements météorologiques et la plupart des agriculteurs ont du mal à faire face à ces changements.
La région compte plus de 8 000 éleveurs, dont plus des deux tiers sont des femmes et des enfants (Jabiru, 2017, p. 38). Ces pasteurs sont arrivés du Nigéria voisin vers 1905 en tant que nomades. Ils ont rencontré des communautés déjà installées qui les ont considérées comme des étrangers sans droits légitimes de posséder des terres et des ressources foncières (Jabiru, 2006, p. 11). Dans cette configuration faite de marginalisation et de sous-représentation, que Jibaru (2017, p. 38) a appelé le « problème mbororo[1] », les pasteurs mbororo de la région Nord-Ouest ont été confrontés à de sérieux défis pour disposer de moyens de subsistance durables et leurs vulnérabilités aux aléas climatiques ont été exacerbées par des inégalités et des discriminations de genre. En Inde, au Népal, au Bangladesh, au Kenya et en Tanzanie, le rôle des femmes autochtones dans l’adaptation au changement climatique a été largement exploré. Au Cameroun en revanche, les connaissances sur le rôle des femmes mbororo dans l’adaptation au changement climatique et les politiques connexes sont encore rares. Pour combler cette lacune, ce travail cherche à démontrer que, malgré leur vulnérabilité, les femmes mbororo disposent de systèmes de savoirs traditionnels qui sont particulièrement utiles pour réduire les chocs liés au climat et assurer la durabilité des moyens de subsistance.

Cadre théorique : La perspective écoféministe dans l’adaptation au changement climatique

L’écoféminisme est un cadre théorique interdisciplinaire introduit par Françoise d’Eaubonne, une féministe française, en 1974. Cette approche relie le changement climatique et le genre, ainsi que d’autres facteurs connexes tels que la déforestation, la conservation, le capitalisme et les inégalités (Johnson, 2022, p. 18). Les théories féministes soutiennent que les défis auxquels les femmes sont confrontées aujourd’hui sont le résultat de systèmes de valeurs dominés par les hommes qui régissent les réalités sociales quotidiennes et elles conçoivent le genre comme étant socialement généré et perpétué par la culture (Gaard, 2015, p. 23 ; Oyosi, 2016, p. 12). Les inégalités en matière de propriété, d’accès et de contrôle des ressources naturelles, ainsi que les dynamiques par lesquelles les inégalités de genre façonnent et sont façonnées par les priorités, les expériences et la capacité d’adaptation à la suite de chocs systémiques, sont d’une importance capitale pour renforcer l’adaptation (Awiti, 2022, p. 9). En 2015, lors de l’Accord de Paris des Nations unies, les parties ont reconnu que les mesures d’adaptation devraient suivre une approche pilotée par le pays, sensible au genre, participative et totalement transparente, en prenant en considération les groupes, les communautés et les écosystèmes vulnérables, et qu’elles devraient être fondées et guidées par les plus robustes connaissances scientifiques disponibles et, le cas échéant, les connaissances traditionnelles, les savoirs des populations autochtones et les systèmes de savoirs locaux, afin d’intégrer l’adaptation dans les politiques et actions socio-économiques et environnementales pertinentes (ONU, 2015, p. 11).
Néanmoins, les sociétés africaines ont une perspective différente qui va au-delà des normes occidentales en matière de genre. Selon Wane et Chandler (2002, p. 88), le patriarcat, le colonialisme et le capitalisme, qui sont inscrits dans l’écoféminisme, ont annihilé le rôle des femmes dans la construction des savoirs environnementaux et déformé la notion de connaissance scientifique. Les universitaires écoféministes africains en revanche, ont placé les femmes en première ligne dans l’adaptation au changement climatique, en particulier dans le contexte de l’émigration masculine, en raison de la richesse de leurs systèmes de savoirs traditionnels qui leur permettent de faire face aux chocs météorologiques (Nellemann et al, 2011, p. 53). Lesdits savoirs impliquent « une connaissance des ressources issues du monde sauvage, des plantes médicinales et des animaux domestiques ; des rapports symbiotiques entre écosystèmes ; une conscience de la structure des écosystèmes et de la fonctionnalité d’espèces spécifiques ; ainsi que des aires de répartition géographique de ces espèces ». L’accent est mis en particulier sur les femmes autochtones qui jouent un rôle vital en tant que gardiennes des ressources naturelles (ONU Femmes, 2009, pp. 2-3). Dans le contexte du changement climatique, elles jouent un rôle stratégique dans la transformation des moyens de subsistance et la transmission des connaissances à la jeune génération. Les femmes mbororo sont impliquées dans l’élevage de petits ruminants, la traite du bétail, la culture des pâturages et le traitement des maladies animales à partir de médicaments traditionnels. Ces activités, autrefois dominées par les hommes, se sont largement féminisées (Forbang et al., 2020, p. 669). Bien que les contributions des femmes autochtones n’aient pas été suffisamment documentées, la littérature existante a montré que ces pratiques peuvent probablement réduire les vulnérabilités et renforcer la résilience (Carvarjal Escobar et al., 2008, p. 279). Sous ce rapport, la théorie de l’écoféminisme convient parfaitement à l’étude du rôle des femmes autochtones dans l’adaptation, car elle décrit la situation critique des femmes autochtones mbororo face au changement climatique, principalement attribuée à la discrimination exercée par un système traditionnel dominé par les hommes. Sur cette toile de fond théorique, cet article reconnaît que les femmes autochtones sont perçues comme étant particulièrement vulnérables, mais soutient qu’elles disposent aussi d’une diverse gamme de pratiques traditionnelles qui leur permettent de s’adapter au changement climatique et de l’atténuer en dépit des contraintes systémiques qu’elles rencontrent.

 

Matériaux et méthodes

La zone d’étude

La région Nord-Ouest du Cameroun est située entre les latitudes 50° 40’ et 70° Nord de l’équateur et les longitudes 90° 45’ et 110° 10’ Est du méridien de Greenwich. Elle fait partie des hautes terres de l’Ouest-Cameroun avec une superficie totale de 17 300 km2 et une altitude moyenne d’environ 900 m (Ngalim, 2015, p. 177). Elle partage des frontières internationales avec la République fédérale du Nigéria au nord et a été le point d’entrée des éleveurs peuls au Cameroun (Jabiru, 2006, p. 11). La région bénéficie d’un climat tropical caractérisé par deux saisons. Une longue saison des pluies qui s’étend de mi-mars à novembre et une courte saison sèche de trois mois. Les précipitations annuelles moyennes se situent entre 1 500 et 2 000 mm et les températures annuelles moyennes sont comprises entre 21 et 24 °C (Ngalim, 2015, p. 177). Ces conditions ont rendu la zone agroécologique favorable à la culture céréalière et à l’élevage.
Les éleveurs mbororo ont migré dans la région Nord-Ouest du Cameroun vers 1905 et ont reçu des terres des chefs traditionnels pour faire paître leur bétail. La nature de leur activité les a amenés à vivre sur des collines et des terres isolées (Fon & Ndamba, 2008, p. 3). Leurs coutumes et traditions sont considérées comme discriminatoires à l’égard des femmes et des filles et, comme le prescrit leur code de conduite culturel et traditionnel appelé « Polaako », les femmes sont censées rester à la maison et s’occuper des enfants et des tâches ménagères. Récemment, elles ont adopté un mode de vie sédentaire et l’augmentation de la population des communautés d’accueil, la concurrence pour l’accès aux ressources naturelles ont accru les vulnérabilités. Cela a conduit à une nouvelle dynamique autour de la représentation des femmes et de leur participation aux activités de subsistance.

Collecte et traitement des données 

L’étude adopte une approche documentaire et qualitative. Le rôle des femmes mbororo dans leurs communautés a commencé à être étudié, notamment avec la mise en place de l’Association pour la culture et le développement des Mbororo (Mboscuda) qui lutte contre les inégalités de genre et la discrimination. Les rapports de la Mboscuda ont été consultés, ainsi que les archives des délégations divisionnaires de l’agriculture et du développement rural et des délégations du bétail et de l’élevage pour les divisions de Boyo, Mexam, Bui et Ngoketunjia. Des sources en ligne ont également été consultées. Des entretiens ont été menés avec des informateurs clés sélectionnés à dessein dans les communautés mbororo de la région. Au total, 25 entretiens ont été menés avec des éleveurs mbororo (9), des cultivateurs (6), des autorités traditionnelles (3), des cheffes de groupes de femmes mbororo (3) et des membres du Mboscuda (4). La plupart de ces personnes ont été déplacées du fait des troubles socio-politiques dans la région et résident maintenant dans la ville de Bamenda et dans la région Ouest. Certains entretiens ont été menés par téléphone et ont été enregistrés.
Les données documentaires et primaires collectées ont été traitées avec le logiciel Atlas.ti et examinées selon une analyse de contenu et une analyse thématique. Les entretiens ont été retranscrits mot à mot et codés en fonction des thèmes sélectionnés. L’analyse thématique a consisté à explorer les liens existant entre les énoncés et les significations dans le discours des répondants. Des extraits ont été sélectionnés pour soutenir l’argumentation établie.

 

Les résultats

Vulnérabilité des pasteurs mbororo face aux effets de la variabilité et du changement climatiques

Les pasteurs mbororo croient fermement que l’élevage de bétail est leur seul mode de vie approprié. Étant donné qu’aucune autre alternative éloignée des pratiques et normes traditionnelles d’un pur Fulani n’a été encouragée, leur pouvoir d’achat est resté considérablement faible. Cette option a eu des répercussions négatives sur la société mbororo actuelle, qui quoique riche en bétail, mais n’a pas mobilisé d’autres formes d’investissement. Une élite mbororo a corroboré ce fait dans l’extrait suivant :
Nous ne connaissions pas ces questions auparavant… Au début, envoyer une fille à l’école était un tabou ou même vendre du bétail pour d’autres investissements. Cela a entraîné un faible revenu familial et compromis la capacité d’investir dans un système pastoral moderne, des infrastructures de soins pour les animaux et des équipements sociaux, nous rendant ainsi plus vulnérables[2].
La richesse et le prestige social d’un mbororo dépendaient du nombre de têtes de bétail qu’il possédait, ce qui rendait presque impossible la vente de son cheptel. Les ressources familiales étaient contrôlées par le chef de famille, de là un niveau de dépendance extrêmement élevé car femmes et enfants n’avaient pas de sources de revenus spécifiques.
La recherche a montré que les vulnérabilités liées au genre sont exacerbées par la variabilité et le changement climatiques. Par exemple, les périodes de sécheresse prolongées exposent les femmes à des abus sexuels lorsqu’elles parcourent de longues distances pour aller chercher de l’eau. De même, la migration des hommes vers des pâturages plus verts expose les femmes et les enfants à l’insécurité, en particulier dans les régions où les conflits agropastoraux sont fréquents. En outre, le taux d’abandon scolaire chez les jeunes filles augmente, car elles restent à la maison pour aider leurs parents à assurer l’approvisionnement en nourriture et en eau.
Le passage d’un mode de vie nomade à un mode de vie sédentaire a remodelé les pratiques pastorales existantes et a amené de nouveaux acteurs dans le secteur de l’élevage. Les systèmes agropastoraux de la région Nord-Ouest du Cameroun dépendent principalement de la nature et les éleveurs de bétail occupent surtout les pentes des montagnes et les terres marginales, ce qui augmente leur vulnérabilité face aux fluctuations météorologiques. Or, la disponibilité des ressources agropastorales telles que l’eau, les pâturages et les terres arables est conditionnée par les variables climatiques. L’analyse des entretiens a révélé que la réduction des ressources agropastorales au cours des dernières années a été exacerbée par les aléas climatiques (tableau 1).
Tableau 1 : Les effets de la variabilité climatique sur les activités agropastorales
Source : Fieldwork, 2024
Effets
Fréquence
Densité
Dégradation des pâturages le long des pentes et sur les hautes terres
16
10
Tarissement des sources d’eau
13
8
Changements dans le calendrier de la transhumance
12
6
Augmentation de la fréquence des maladies animales et parasitaires
5
5
Retards dans la maturité des céréales dûs à l'arrivée tardive des pluies
7
4
Augmentation de l’érosion des sols et baisse de leur fertilité
5
3
Baisse de la productivité céréalière
4
5
Augmentation des distances vers les zones de transhumance
1
2
 L’intensité de ces impacts a été mesurée sur la base de la fréquence et de l’intensité des différents codes et citations générés par les entretiens. Dans le tableau 1, la fréquence du code fait référence au nombre de fois qu’une même idée est exprimée par différentes personnes, tandis que la densité fait référence au nombre de liens avec d’autres citations. Le tableau montre que la dégradation des pâturages a été identifiée comme l’impact le plus important de la variabilité climatique avec 16 citations. Les effets desséchants de l’ensoleillement et les fréquentes périodes de sécheresse enregistrées sur les hautes terres où l’élevage domine expliquent cette dégradation des pâturages. Un éleveur des pentes de Sabga a déclaré :
Avant, nous gardions les animaux les plus âgés, les plus jeunes et les plus malades pour les nourrir sur des parcelles de pâturage dans les hautes terres, tandis que les autres partaient en transhumance. Cela devient presque impossible aujourd’hui parce que la saison sèche est devenue intense et que les pâturages sont complètement stériles[3].
Cette situation a également entraîné la diminution et l’assèchement des sources d’eau. Cette situation, observée dans la quasi-totalité des pâturages, fait que les éleveurs sont en concurrence avec les agriculteurs et parfois avec les ménages pour l’accès à l’eau. Cette situation est à l’origine de conflits entre agriculteurs et éleveurs, qui ont des répercussions sur les femmes et les enfants (photo 1).
Photo 1 : Femmes et enfants mbororo déplacés par les conflits agropastoraux dans la division de Bui
Source : Moye, 2021
La photo 1 montre une communauté d’éleveurs mbororo déplacée du fait des conflits liés aux ressources. Les personnes présentes sur la photo sont des femmes et des enfants, sans aucun homme adulte. Cela s’explique par le fait que les hommes sont partis en transhumance et que les femmes sont restées sur place pour s’occuper des foyers. Néanmoins, ces femmes et ces enfants, qui représentent plus de 60 % de la population mbororo (Jabiru, 2006, p. 6), ont développé des options d’adaptation pour atténuer les dommages résultant des chocs climatiques.

Contribution des femmes mbororo à l’adaptation au changement climatique

  • Utiliser les connaissances écologiques pour détecter les changements environnementaux
Les résultats ont révélé que les éleveurs mbororo disposent d’une vaste gamme de connaissances accumulées au fil des ans grâce à leur interaction avec la nature. Les personnes âgées ont la capacité de lire les changements dans l’environnement et de prédire les variations climatiques telles que l’arrivée et l’arrêt des pluies, l’avènement des tempêtes et des périodes de sécheresse. Dans les communautés installées le long des pentes du Sabga, il existe des « voyantes climatiques » qui interprètent la taille et la forme de la lune pour prévoir les changements de saison ou déterminer le calendrier des activités pastorales telles que le début de la transhumance. En outre, l’observation du comportement des plantes et des animaux est utilisée pour prédire les changements climatiques. Par exemple, l’apparition de libellules indique la sévérité de la saison sèche. Cette activité, bien qu’elle ne soit pas basée sur le genre, est de fait réalisée par des femmes âgées. Les entretiens ont révélé que les femmes sont plus efficaces dans l’utilisation de ces systèmes de savoirs que les hommes, car elles passent plus de 70 % de leur temps dans les champs. Ces connaissances, largement accumulées par les personnes âgées, doivent être transmises d’une génération à l’autre afin d’en favoriser l’utilisation continue. Par exemple, l’utilisation d’herbes locales et de médicaments traditionnels pour traiter les maladies du bétail est une tâche qui incombe principalement aux femmes, car les animaux malades et jeunes sont laissés sur place pendant la transhumance. À ce titre, l’identification de ces plantes médicinales et la connaissance de leur utilisation font partie des savoirs écologiques. 
  • Les femmes mbororo : éducatrices et transmetteuses de savoirs indigènes
Les femmes mbororo jouent un rôle important en tant qu’éducatrices au sein de leurs communautés. Non seulement les femmes sont des mères qui assurent les fonctions de soin pour la famille, mais elles possèdent également de vastes connaissances dans différents domaines de gestion du bétail, sur l’environnement et dans les activités et responsabilités quotidiennes qui sont les leurs. Elles sont cependant rarement invitées à donner leur avis, mais leurs systèmes de savoirs sont transmis à la jeune génération en raison de leur proximité et des interactions constantes. À cet égard, une responsable de groupe de femmes mbororo a déclaré :
Lors des extrêmes climatiques tels que la sécheresse, les hommes transportent leurs animaux vers les vallées et les basses terres à la recherche de pâturages frais et d’eau, laissant les femmes et les enfants derrière eux pour faire face aux conditions difficiles dans les collines. Cela nous a aidés à développer des options d’adaptation spécifiques à nos contextes[4].
Ces systèmes de connaissances sont partagés entre les femmes de différents groupes et entre voisines. La transmission entre les générations est assurée par les femmes. Les petites filles occupent progressivement une position centrale dans l’acquisition des connaissances, plus que les garçons, en raison de leur proximité avec leur mère. Les garçons vont à l’école et acquièrent d’autres compétences, tandis que les filles restent à la maison et aident leurs parents dans leurs activités quotidiennes. Par exemple, pendant les périodes de sécheresse et de pénurie d’eau, les filles se déplacent sur de longues distances pour aller chercher de l’eau, leur capacité d’observation du paysage leur permet de détecter les zones humides. Les enquêtes sur le terrain ont révélé que les organisations non gouvernementales (ONG) telles que Mboscuda ont renforcé les moyens d’action de femmes qui possèdent des savoirs ou des pratiques spécifiques et qui sont à l’avant-garde de l’adaptation. Elles ont utilisé ces connaissances pour améliorer leurs techniques pastorales.
  • Amélioration des pâturages et collecte de fourrage
L’un des défis posés par le changement climatique aux éleveurs mbororo est la dégradation rapide des pâturages. C’est pourquoi les efforts sont axés sur l’amélioration de la qualité de celles-ci. La participation des femmes a été stimulée et encouragée par des institutions et des ONG telles que Mideno, Acefa[5] et Mboscuda. La délégation régionale de l’élevage, des pêches et des industries animales (Minepia[6]), grâce à ses programmes de sensibilisation dans les différents ardorates (Communautés pastorales) et à la distribution de nouvelles espèces fourragères aux éleveurs, a amélioré de manière significative la production de pâturages. Cela a permis de réduire le niveau de transhumance, les conflits entre agriculteurs et éleveurs, ainsi que le risque de contraction de maladies par les animaux.
Les pâturages améliorés ont une capacité de charge élevée, car ils permettent de nourrir un grand nombre d’animaux sur une petite surface (figure 1). L’avantage de ces pâturages est qu’ils sont utilisés pendant les périodes de pénurie et lors des transhumances. Les jeunes bovins ou ceux qui ne sont pas en mesure de se déplacer sur de longues distances sont élevés dans ces pâturages. Les animaux peuvent y rester et se nourrir pendant plus de deux mois. Cette réponse s’est avérée très utile pendant les périodes de sécheresse prolongée.
Figure 1 : Amélioration de la culture des pâturages et de la collecte de fourrage le long des pentes de la montagne Kilum Ijim.
Source : Moye, 2023
La photo A représente une ferme où l’on cultive une espèce de pâturage appelée « barcaria », utilisée pour nourrir les animaux pendant les périodes de pénurie. La photo B montre une installation où le bétail est nourri avec des pâturages récoltés. Pendant les périodes d’abondance, les femmes et les enfants récoltent le fourrage, le sèchent, le mélangent avec du sel et le conservent pour nourrir les animaux lorsque les conditions sont rudes. De même, les femmes sont généralement en charge de la collecte du fourrage pour enrichir l’alimentation du bétail gardé à proximité de la propriété. Par exemple, dans les collines de Sabga, les femmes complètent traditionnellement le régime alimentaire des veaux avec de l’herbe indigène, qu’elles coupent et transportent, de même qu’elles les approvisionnent en eau de source. Sur les hauts plateaux du Kom, les femmes jouent également ce rôle, elles y rajoutent du sel et soignent les animaux malades à l’aide de remèdes traditionnels.
  • Diversification des sources de revenus
Les femmes mbororo ont joué un rôle important dans la diversification des sources de revenus, ce qui a permis à de nombreuses familles de faire face au stress lié au climat, telle l’insécurité alimentaire. Les cultures vivrières, par exemple, sont pratiquées par les femmes autour des pâturages et des exploitations familiales. De nombreuses ONG et organisations gouvernementales ont concentré leur soutien sur la mobilisation des femmes mbororo, leur formation et l’octroi de subventions pour la création d’entreprises. Il est ressorti que de nombreuses femmes préféraient cultiver et élever du bétail plutôt que de continuer à mener le mode de vie nomade pratiqué par les éleveurs hommes (entretien, 2023). Les femmes ont joué un rôle important dans le processus de sédentarisation, ce qui a permis de diversifier les moyens de subsistance et de créer de nouvelles activités génératrices de revenus, tout en facilitant l’accès aux marchés. Les femmes, en particulier, sont désireuses de saisir les opportunités de petites transactions et de petit commerce offertes sur les marchés locaux ou dans les zones périurbaines, et d’en tirer profit. Les nouvelles possibilités d’emploi et de travail entraînent une évolution des relations entre les hommes et les femmes, changements qui sont négociés au sein des couples. Celles-ci ont également accru les possibilités pour les femmes de se mobiliser en groupes et de prendre part aux processus décisionnels. Cette nouvelle configuration a permis aux ONG de mettre plus facilement en évidence les préoccupations des femmes et de lutter pour un plus grand degré d’équité entre les sexes et pour les droits des femmes. Ces organisations jouent par ailleurs un rôle très important dans le rétablissement des relations entre communautés et des réseaux de soutien (agro)pastoraux vitaux en cas de risques climatiques.
En 2019, les femmes mbororo des communautés Sabga, Akum et Ntabang ont été sensibilisées et formées à la culture de pépinières d’oignons, de légumes et de semences de poireaux. Il s’agit d’un projet actuellement mis en œuvre par Mboscuda avec des fonds du Foro Internacional de Mujeres Indígenas (Fimi) intitulé « Building Indigenous Mbororo Women’s Resilience to Climate Change through Climate Smart Agriculture and Efficient Fireplaces » (figure 2) (Renforcer la résilience des femmes indigènes mbororo face au changement climatique à travers une agriculture intelligente et des foyers efficaces).
Figure 2 : Pratiques agricoles intelligentes par les femmes mbororo. Organisé par Mboscuda à Sabga.
Source : Mboscuda, 2020

Ces femmes sont censées transmettre les semences à d’autres femmes de leur communauté après leur première récolte, dans un objectif de durabilité. Le jardinage n’est pas une activité courante chez les femmes mbororo, ce qui explique pourquoi cette initiative a été très bien accueillie par elles.
  • Élevage à petite échelle et élevage laitier
Les pasteurs mbororo pratiquent l’élevage extensif, qui dépend de l’existence de pâturages naturels et de la disponibilité en eau, cette activité étant particulièrement vulnérable aux aléas climatiques, l’élevage en ranch et la production laitière ont été introduits et adoptés comme option d’adaptation. Les femmes ont largement adopté cette méthode moderne d’élevage, tandis que les hommes continuent de préférer la transhumance. Le ranching est une méthode d’élevage en plein air qui repose sur l’exploitation exclusive de pâturages, généralement naturels et artificiels, dans le cadre d’un système faisant appel à un minimum de main-d’œuvre. La surveillance du troupeau est remplacée par l’utilisation d’enclos et l’alimentation des animaux est assurée principalement par les femmes et les enfants. Une cheffe de groupe de femmes mbororo a déclaré : « De nos jours, il y a un changement d’attitude chez les femmes et cela a poussé de nombreuses familles nomades à adopter un mode de vie sédentaire et plus durable en s’engageant dans l’élevage de bétail[7]. »
Les femmes mbororo jouent un rôle plus important dans la gestion du bétail élevé à proximité des habitations ou des champs. Dans la région de Fundong, les femmes mbororo ont été formées à s’occuper d’animaux tels que les moutons et les chèvres. Elles s’occupent des nouveau-nés et des jeunes animaux, qui ne sont pas assez âgés pour aller aux champs avec le reste du troupeau, elles s’occupent également des animaux malades et participent à la traite (figure 3).
Figure 3 : Participation des femmes à l’élevage et au ranch à petite échelle à Fundong.
Source : Moye, 2023

Sur la figure 3, la photo A montre des moutons gardés par des fillettes, et la photo B une femme trayant le lait d’une vache dans un ranch. Un entretien mené à la délégation régionale de l’élevage, des pêches et des industries animales (Minepia) pour la région Nord-Ouest en 2023 a révélé que les moutons et les chèvres sont plus résistants aux effets du changement climatique. Comme en témoigne cet extrait :
L’élevage de moutons gagne en importance dans de nombreuses zones de pâturage et il est contrôlé par les femmes et les enfants. Je pense que ce type de bétail est plus résistant aux événements extrêmes tels que la sécheresse, car il nécessite moins de ressources que les bovins. 
Traire le bétail est l’une des activités traditionnelles des Mbororo, mais de nos jours, elle est surtout pratiquée par les femmes et les enfants. L’implication des femmes a fait de cette activité un moyen de subsistance important, car le lait produit est consommé quotidiennement, il est également vendu pour pouvoir acquérir les produits essentiels. Le lait est également transformé en beurre, qui constitue une source importante de nourriture pour les habitants de la région. Les entretiens ont révélé que « le lait est extrait de toutes les espèces de vaches telles que la vache rouge mbororo (Mbororoji), la vache blanche aku, la gudali, la bouran et la laitière[8] ».
Il s’agit d’une activité génératrice de revenus importante pour les femmes mbororo, qui leur permet d’aider leurs maris dans la gestion du foyer.

Contraintes rencontrées par les femmes mbororo dans la mise en œuvre de l’adaptation

Les femmes indigènes mbororo possèdent de riches systèmes de savoirs qui peuvent limiter les effets négatifs du changement climatique, mais elles n’ont pas été intégrées dans les politiques d’adaptation en raison d’une série d'obstacles. Ceux-ci ont été codés à partir des entretiens et la fréquence des codes a été exprimée en pourcentage (figure 4). La fréquence du code fait référence au nombre de fois qu’une idée est exprimée par différentes personnes au cours des entretiens.
Figure 4 : Les défis des femmes mbororo face au changement climatique.
Source : Fieldwork, 2024

La figure 4 montre que les femmes autochtones souffrent de discriminations et d’inégalités par rapport à leurs homologues masculins, comme l’indiquent 20,5 % des personnes interrogées. En outre, l’accès limité à la terre et à la propriété foncière (15 %), le faible niveau d’éducation (14 %), l’accès limité aux informations sur le changement climatique (7,5 %), l’accès limité au crédit (10,3 %) et le faible pouvoir d’achat (8,4 %) réduisent leur capacité d’adaptation. Ces défis sont exacerbés par les coutumes strictes et les valeurs traditionnelles (13,1 %) des Mbororo qui empêchent les femmes de participer à la prise de décision dans la gestion des ressources naturelles (11,2 %). Ces défis ont rendu les femmes très vulnérables aux chocs climatiques. Outre la discrimination dont elles font l’objet de la part des autres communautés en raison de leurs statuts, les enjeux les plus complexes se situent au sein même de la communauté mbororo, comme l’a révélé une femme de l’élite mbororo :
Les femmes mbororo sont confrontées à des difficultés dues à leurs propres normes culturelles, telles que le « Polaako », qui entravent leur développement et leur éducation. Ces normes maintiennent les femmes mbororo à l’arrière-plan et les empêchent d’accéder à l’éducation formelle, ce qui entraîne leur sous-représentation dans la prise de décision[9].
Le législateur camerounais prévoit pourtant un accès équitable aux ressources naturelles et aux actifs productifs. Le pays a également adopté la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en 2007, mais les femmes autochtones ne connaissent pas leurs droits et obligations.

 

Discussions

Le changement climatique et les facteurs de stress environnementaux qui y sont liés compromettent les sources de revenus en Afrique subsaharienne, mais les effets sont ressentis différemment selon les secteurs, les communautés et les groupes sociaux. Les Mbororo de la région Nord-Ouest du Cameroun sont des pasteurs aux coutumes et valeurs traditionnelles rigoureuses qui tendent à discriminer les femmes en termes d’accès aux ressources et au développement dans son ensemble. Ils sont donc très vulnérables aux aléas climatiques, ce qui entraîne des conséquences socioéconomiques négatives (Nellemann et al, 2011 ; Amhair,, 2021 ; Moye et al, 2021 ; Awiti, 2022). Pour comprendre le rôle des femmes autochtones, il faut procéder à une analyse approfondie de leurs vulnérabilités, afin de découvrir leurs systèmes de savoirs et leurs capacités à faire face aux chocs climatiques. L’approche écoféministe a permis d’identifier les systèmes de connaissances existants, les méthodes de transmission et l’évolution des pratiques agropastorales mises en valeur par les femmes. Toutefois, la mise en pratique de ces savoirs se heurte à des obstacles. Cela corrobore le point de vue des féministes qui attribuent les difficultés des femmes à un système de valeurs dominé par les hommes, qui régit les réalités sociales quotidiennes ainsi qu’aux inégalités générées et perpétuées par la culture (Carvarjal Escobar et al., 2008, p. 279 ; McGaughey, 2021, p. 14).
Cependant, le rôle des femmes en Afrique dans l’adaptation va au-delà des normes de genre développées par les écoféministes occidentales. Bien que la dimension capitaliste déforme la notion de connaissance scientifique, comme l’ont souligné Wane et Chandler (2002, p. 88), ce travail met en évidence l’importance des systèmes de savoirs traditionnels dans l’adaptation. Les résultats ont montré que les femmes mbororo ont mis en place une diversité de pratiques durables telles que la culture de pâturages et la collecte de fourrage, l’élevage de petits ruminants, la production laitière et la traite des vaches, ainsi que la diversification des moyens de subsistance. Ces techniques, généralement utilisées pendant les périodes de stress climatique, ont amélioré leur résistance face aux effets du changement climatique. Les efforts des femmes se sont avérés très utiles pendant les périodes de transhumance, lorsque les hommes se déplacent avec leurs troupeaux à la recherche de pâturages et d’eau. Les travaux universitaires existants ont suffisamment démontré les contributions des femmes autochtones à l’adaptation au changement climatique en Afrique de l’Est et en Asie. Au Kenya, par exemple, les Maasaï et les Turkana sont des communautés pastorales indigènes qui vivent dans des zones arides et semi-arides exposées aux effets néfastes du changement climatique. Malgré leur vulnérabilité, leurs femmes ont été activement impliquées dans la mobilité, les options alternatives d’alimentation du bétail, la culture de fourrage et la diversification des moyens de subsistance pour réduire les chocs liés au climat (Banque mondiale, 2012). La relation entre le genre et le climat en Afrique de l’Est et en Asie a fait l’objet d’une attention considérable (Carvarjal Escobar et al., 2008 ; Zoia et al., 2021 ; Deininger et al., 2023), mais les capacités d’adaptation des femmes mbororo au Cameroun n’ont pas encore été pleinement explorées. Les politiques et la recherche se sont concentrées sur les Pygmées des zones forestières, en raison de la richesse des ressources forestières qui sont sous-exploitées. Il faut dire que les éleveurs occupent des terres marginales et des pentes abruptes qui sont souvent considérées comme improductives. Il était donc important d’examiner la capacité des femmes mbororo à renforcer les pratiques durables en dépit de leurs contraintes spécifiques. Cette étude comble donc ce manque de connaissances et appelle à une perspective écoféministe qui ne considère pas seulement les femmes comme des victimes, mais cherche à mettre en valeur leurs systèmes de connaissances.

 

Conclusion et perspectives

Ce travail sur le rôle des femmes mbororo dans l’adaptation au changement climatique dans la région Nord-Ouest du Cameroun avait pour objectif d’examiner les contributions des femmes et leurs contraintes face à l’augmentation des chocs climatiques et des facteurs de stress associés. En utilisant une approche qualitative, les données ont été collectées et examinées sous l’angle de la théorie écoféministe. Les résultats ont révélé que le changement climatique a entraîné une réduction des ressources agropastorales, avec des conséquences négatives sur les moyens de subsistance des communautés mbororo. Les différences de genre résultant de la discrimination, des inégalités, de la faible participation à la prise de décision et de l’accès limité à la terre et aux autres ressources naturelles ont exacerbé le niveau de vulnérabilité des femmes. Cependant, ce travail a montré que les femmes mbororo disposent d’un riche système de savoirs qui mitige les impacts du changement climatique. Leurs systèmes de connaissances écologiques leur permettent de prévoir l’évolution des phénomènes climatiques tels que l’apparition de périodes de sécheresse. Les « voyants climatiques » par exemple lisent les changements lunaires et les comportements des plantes et des animaux pour prévoir les changements climatiques. Cela s’est avéré très utile pour la planification des activités agropastorales. De même, l’implication des femmes dans l’élevage et la diversification des moyens de subsistance sont des pratiques qui ont accru leur résilience. Par conséquent, les adaptations appropriées dans les communautés mbororo nécessitent une approche sensible au genre qui prenne en compte les points de vue et pratiques de la population locale.

Notes

[1] Le problème mbororo se réfère à ceux de la marginalisation, de la sous-représentation ou de la non-représentation, de la sédentarisation, de la libre circulation, de la libre interaction avec les premiers habitants, de la stigmatisation par les non-Mbororo. Les Mbororo (en raison de leur mode de vie nomade, pastoral et sédentaire) dans la région Nord-Ouest ont été victimes d’exploitation, d’oppression, de harcèlement et d’humiliation de la part de leurs voisins agriculteurs, de l’administration et de certaines élites mbororo riches et assoiffées de pouvoir. Ce problème peut également être dû au mode de vie des Mbororo, à l'illettrisme et au manque de conseils et de coopération.

[2] Entretien avec une élite mbororo sur les pentes de la colline de Sabga, réalisé en mars 2023.

[3] Entretien avec un éleveur de bétail sur les pentes de Sabga en 2020.

[4] Entretien avec une cheffe de groupe de femmes mbororo et membre de Mboscuda à Mezam, Bamenda.

[5] Programme Acefa : amélioration de la compétitivité des exploitations familiales agropastorales.

[6] Ministère de l’Élevage, des Pêches et des Industries animales.

[7] Entretien avec une cheffe de groupe de femmes mbororo et membre de Mboscuda à Mezam, Bamenda.

[8] Interview d’une femme mbororo participant à la traite des vaches à Funding en 2023.

[9] Entretien avec une femme de l’élite mbororo et militante des droits de l’homme en 2023.

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Pour citer l'article :

APA
Kongnso, M. E. (2025). L’adaptation des femmes Mbororo au changement climatique. Expériences d’une communauté pastorale dans la région Nord-Ouest du Cameroun. Global Africa, (9), pp. 70-83. https://doi.org/10.57832/d2tm-7c21

MLA
Kongnso, Moye Eric. « L’adaptation des femmes Mbororo au changement climatique. Expériences d’une communauté pastorale dans la région Nord-Ouest du Cameroun. » Global Africa, no. 9, 2025, pp. 70-83. doi.org/10.57832/d2tm-7c21

DOI
https://doi.org/10.57832/d2tm-7c21

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