Analyses critiques
Émergence de nouvelles formes d’économie informelle au Bénin
Une analyse des microentreprises numériques
Issifou Abou Moumouni
Chercheur au laboratoire d’études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local (Lasdel)
Chercheur postdoctoral au sein du pôle d’excellence « Africa Multiple » de l’université de Bayreuth
issifou.abou-moumouni@uni-bayreuth.de
Moudjabou Adam
Sociologue
Formateur dans le domaine digital au sein de l’ONG Waxangari Labs
Cet article s’intéresse aux entreprises et aux entrepreneurs du numérique au niveau local dans un contexte de forte pénétration du numérique dans les activités des populations au Bénin. À partir de 2016, le gouvernement béninois a affiché une volonté politique de se lancer dans une dynamique visant à faire du numérique le principal levier de son développement socio-économique. Depuis lors, des initiatives ont été prises au sommet de l’État pour faciliter l’établissement d’un écosystème favorable à l’émergence et au renforcement de l’économie numérique. Ces nouvelles dispositions associées au processus de dématérialisation des services publics ont donné lieu à une expansion des microentreprises de différentes natures et ont favorisé l’émergence d’une nouvelle catégorie d’entrepreneurs numériques que sont les prestataires de e-services. Comment fonctionnent ces microentreprises et quels types de relations entretiennent-elles avec l’État et avec leurs clients ? Une bonne partie de ces entreprises échappent encore au contrôle de l’État. Elles fonctionnent souvent sans enregistrement officiel, échappant ainsi à la réglementation et à la fiscalité en dépit de leur importance dans l’économie informelle. Par ailleurs, la dématérialisation des services publics a été une opportunité pour la création des services que les entrepreneurs du numérique proposent aux personnes sans compétence en littératie numérique.
Mots clés
Économie numérique, économie informelle, e-services, entrepreneurs du numérique, littératie numérique
Plan de l'article
Introduction
Approche méthodologique
Des initiatives au sommet de l’État pour l’émergence de l’économie numérique au Bénin
Les économies numériques informelles émergentes
Les prestataires facilitateurs de l’accès aux services publics
Les services financiers mobiles (SFM)
Le commerce électronique
Les entrepreneurs du numérique face à l’État et aux consommateurs
Conclusion
Introduction
Cet article s’intéresse aux entreprises et aux entrepreneurs du numérique dans la ville de Parakou dans un contexte de progressive pénétration du numérique dans les activités des populations au Bénin. Considéré comme porteur d’opportunité pour l’accélération de la croissance économique, le numérique a connu, ces deux dernières décennies, un développement remarquable et une forte pénétration dans les pratiques sociales et administratives partout en Afrique en raison des enjeux tant social, politique qu’économique qui l’accompagnent. Le numérique a réussi à imprimer son importance dans l’imaginaire populaire dans la mesure où il s’impose de plus en plus comme une opportunité pour accélérer la croissance économique, réduire les inégalités sociales, produire et partager des connaissances, tout en stimulant l’innovation et l’émergence de nouvelles interactions sociales. Le Bénin a pris conscience de cette opportunité en faisant du numérique un levier de l’accélération de sa croissance économique et de l’inclusion sociale (Acumen & Aced 2023, p. iii).
En effet, à partir de 2016, le gouvernement béninois a affiché une volonté politique de se lancer dans une dynamique visant à faire du numérique le principal levier de son développement socio-économique. Depuis lors, des initiatives ont été prises au sommet de l’État pour faciliter l’établissement d’un écosystème du numérique favorable à l’émergence et au renforcement de l’économie numérique. Au nombre de celles-ci, figure la mise en place d’une politique nationale du numérique qui a conduit à l’installation progressive d’une administration intelligente (Smart Gouv), à la généralisation de l’usage du e-commerce. En conséquence, le gouvernement béninois a accéléré le processus de dématérialisation progressive des procédures administratives et la digitalisation de l’administration publique amorcée au cours de ces cinq dernières années. Par ailleurs, l’attention particulière accordée au secteur du numérique s’est traduite par la création en 2016 du ministère de l’Économie numérique et de la Communication, devenu ministère du Numérique et de la Digitalisation ainsi que l’instauration en 2020 du fonds d’appui à l’entrepreneuriat numérique (Faen)[1] par le gouvernement béninois (Acumen & Aced, 2023).
Même s’il est démontré que le développement de l’économie numérique entraîne la disparition de certaines professions (Colin et al., 2015 ; Rotman, 2013), au Bénin, ces dispositions ont contribué à la prolifération de microentreprises numériques de différentes natures (commerce en ligne, services de livraison, développement de site Web, graphisme, etc.). De même, la dématérialisation des services publics a favorisé l’émergence d’une nouvelle catégorie d’entrepreneurs numériques notamment les prestataires de e-services. Ce sont ces entreprises numériques à « effet de réseau » (Colin et al., 2015, p. 3) opérant majoritairement dans le secteur informel qui sont au cœur de cet article. Selon l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique (Insae), deux principaux critères permettent de définir le caractère formel d’une entreprise : la possession d’un numéro statistique (ou fiscal) et la tenue d’une comptabilité. Ainsi, le secteur informel regroupe les entreprises qui ne possèdent pas de numéro statistique (ou fiscal) ou qui ne tiennent pas de comptabilité ayant une valeur administrative (Insae, 2010, p. 18). Il s’agira de les décrire et de les analyser dans leur mode de fonctionnement et dans leur relation avec l’État et les bénéficiaires de leurs prestations.
Nous soutenons que les réformes entreprises par le gouvernement béninois dans le secteur du numérique ont abouti à la mise en place d’un écosystème favorable à la création et au développement d’activités économiques numériques. D’une part, la facilitation de l’accès à l’Internet et son utilisation croissante qui en découle ainsi que la forte pénétration du téléphone mobile constituent une opportunité pour la proposition de nouveaux services et produits. D’autre part, le processus de dématérialisation des services publics a donné lieu à l’apparition de nouvelles exigences et demandes (Abou Moumouni & Krauß, 2023) que les institutions étatiques ne sont pas en mesure de satisfaire. Cette incapacité institutionnelle et structurelle de l’État a significativement contribué à l’émergence de ces microentreprises numériques. Dans un contexte de fort contrôle de l’État pour la mobilisation des ressources devant lui permettre de faire face aux charges publiques et face à la densité du système fiscal béninois (Aguemon, 2018), ces entreprises, principalement informelles et largement à « effet de réseau », jouent un rôle de plus en plus important dans le paysage économique local et développent des stratégies pour échapper au contrôle de l’État.
Approche méthodologique
L’article s’appuie sur une démarche méthodologique basée sur l’enquête de terrain. Les données exploitées sont obtenues à partir d’entretiens réalisés en octobre 2022 et complétés entre juillet et août 2024 avec les entrepreneurs du numérique et les bénéficiaires de leurs services dans la commune de Parakou. Il a été procédé au repérage de quelques entreprises de notre connaissance. Par effet boule de neige, d’autres entreprises ont été contactées. Ainsi, des entretiens répétés ont été réalisés avec un total de 123 personnes (85 hommes et 38 femmes) dont l’âge est compris entre 18 et 45 ans. Notre échantillon est composé des clients (17,88 % des enquêtés) et des acteurs/entrepreneurs propriétaires d’entreprises (82,12 %) qui offrent des services numériques dont la prestation dans le domaine des e-services. Parmi ces entreprises numériques, seulement 28,57 % sont enregistrées officiellement contre 71,43 % qui ne le sont pas. Par ailleurs, 17,89 % sont des prestataires de services financiers mobiles, 39,02 % sont des prestataires de e-services facilitant l’accès aux services publics dématérialisés et 43,09 % sont impliqués dans le e-commerce. Les données issues de ces entretiens ont été complétées par celles obtenues sur la base des observations faites au niveau des entreprises et centres de reprographies. Ces observations ont porté particulièrement sur les interactions entre les entreprises et les entrepreneurs du numérique et les bénéficiaires de leurs services, donnant ainsi l’opportunité de comprendre la nature de leurs prestations ainsi que les modalités de leur fonctionnement.
La recherche a été réalisée dans la ville de Parakou située dans le département du Borgou et à 415 km de Cotonou (fig. 1).
Figure 1 : Carte de la commune de Parakou
La ville de Parakou a été retenue comme site d’investigation pour une double raison : la forte concentration des services déconcentrés de l’État, d’une part, et son fort potentiel économique, d’autre part. Reconnue au Bénin comme une commune à statut particulier, la ville de Parakou est une agglomération cosmopolite. Avec une population de plus de 255 478 habitants en 2013, elle s’étend sur une superficie de 441 km2 découpée en trois arrondissements. C’est la plus grande ville de la partie septentrionale du Bénin où se développent et s’exercent le plus grand nombre d’activités économiques. À l’ère du numérique, la ville de Parakou dispose d’infrastructures permettant un accès relativement facile à Internet. En tant que chef-lieu de département, cette ville héberge l’ensemble des structures déconcentrées de l’État et les infrastructures numériques installées par l’État, pour soutenir la mise en place d’un écosystème favorable à l’émergence de l’économie numérique.
Des initiatives au sommet de l’État pour l’émergence de l’économie numérique au Bénin
Le contexte béninois connaît un dynamisme croissant dans le domaine de l’économie numérique et de la numérisation. Les efforts du gouvernement avec l’appui des différents partenaires ont permis d’améliorer l’écosystème numérique du pays (Ado, 2023, p. 20). À l’instar de la plupart des pays ouest-africains, le Bénin connaît une profonde transformation dans le secteur numérique. L’ambition du gouvernement est clairement indiquée dans la déclaration de politique sectorielle. Il s’agit, selon le président de la République, de « transformer le Bénin en la plateforme de services numériques de l’Afrique de l’Ouest pour l’accélération de la croissance et l’inclusion sociale » (Présidence de la République du Bénin, 2021).
Pour gagner ce pari, de nombreux efforts ont été fournis par le gouvernement béninois et orientés vers quelques piliers stratégiques. Le premier, d’ordre politique, renvoie à la mise en place d’une politique nationale en faveur du numérique. Dans ce sens, il est important de souligner l’élaboration du document d’orientations stratégiques 2021 dans le secteur de l’économie numérique. Ce document révèle les ambitions du Bénin traduites à travers six projets[2] phares à exécuter sur une période de cinq ans (2016-2021) et un chantier de six réformes à effectuer.
Le second concerne la mise en place d’infrastructures pour l’Internet à haut débit sur toute l’étendue du territoire national. Dans ce sens, on peut évoquer, entre autres réalisations, l’arrimage du Bénin aux câbles sous-marins de fibre optique SAT-3 puis à Africa Coast to Europe (ACE) qui ont abouti au déploiement de la plateforme 4G pour l’Internet à haut débit. À partir de 2016, la mise en place du réseau backbone (aussi appelé « dorsale Internet ») à fibre optique sur plus de 3 000 km a permis la couverture de 86 % des communes du Bénin (Acumen & Aced, 2023).
Les actions allant dans le sens de l’aménagement d’un cadre de gouvernance du numérique se matérialisent par la création d’un ministère dédié au secteur du numérique ainsi que de l’Agence des systèmes d’information et du numérique (Asin) supposée assurer plus de rationalité, d’efficacité et de cohérence de l’action publique dans le secteur du numérique. Aussi, l’adoption en 2017 du Code du numérique, modifié et complété en 2020[3], constitue un élément important dans le processus d’élaboration d’un cadre juridique pour réguler le développement du numérique. En marge du Code du numérique, d’autres actes ont été pris pour renforcer l’arsenal juridique dans ce secteur en vue de l’affermissement de la confiance des citoyens, des entreprises et des investisseurs dans les services numériques.
Comme l’indique Ado (2023), l’entrepreneuriat numérique de la jeunesse demeure un vecteur potentiel significatif de l’économie béninoise. C’est donc à juste titre que les réformes en cours tentent de dynamiser ce secteur important. Le développement de l’entrepreneuriat numérique passe aussi par le renforcement des compétences. C’est fort de cela que le Bénin a initié en 2017 la mise en place du projet Sèmè City qui a pour vocation de développer le capital humain et d’améliorer les perspectives professionnelles de la jeunesse béninoise. Aujourd'hui, selon les informations consultables sur son site, Sèmè City compte près de 650 apprenants, 1 000 entrepreneurs et 115 chercheurs[4], et envisage la création d’au moins 100 000 emplois d’ici 2032. Cette initiative contribue ainsi aux avancées vers la transformation technologique et numérique du pays (Ado, 2023, p. 15).
Ces multiples actions menées par le Bénin en termes de développement du numérique ont permis de hisser le pays parmi les cyberespaces les plus sécurisés d’Afrique de l’Ouest. À titre illustratif, en 2022 selon le classement des pays membres de l’UEMOA sur la base de l’indice e-gouvernement (EGDI) qui mesure le niveau d’utilisation du numérique en matière d’accès des populations aux services, le Bénin avec un score de 0,52 en termes d’étendue et de qualité des services en ligne est classé en deuxième position dans l’espace UEMOA et en dixième position au niveau africain. Par ailleurs, en matière de prévention et de gestion des cybermenaces, le Bénin avec un score de 58,44 sur 100 occupe la première place dans l’espace UEMOA et en Afrique de l’Ouest (Acumen & Aced, 2023, p. 10).
Ces performances réalisées sont cependant loin de dissimuler les défis réels qui entravent le développement de l’économie et de l’entrepreneuriat numériques. Ces défis sont nombreux et s’expriment en termes de manque de financement pour les start-up numériques, de besoin de formations spécialisées dans les métiers de l’entrepreneuriat numérique, de la réticence des populations à adopter des solutions numériques en raison des risques liés à la cybercriminalité et de la nécessité de disposer d’infrastructures technologiques et de connectivité plus robustes dans certaines régions du pays notamment dans les zones rurales (CTD & GIZ, 2023, p. 37). En dépit des défis évoqués, ces différentes actions ont contribué à la création d’un environnement institutionnel, juridique et infrastructurel favorable à l’émergence de nouveaux modèles de l’économie numérique que nous voulons mettre en exergue dans le contexte de la ville de Parakou.
Les économies numériques informelles émergentes
La digitalisation des économies informelles fait référence à l’utilisation des technologies numériques pour améliorer, transformer ou faciliter les activités économiques qui ne sont pas régulées par l’État. Cela inclut l’utilisation de smartphones, d’applications mobiles, de plateformes en ligne et de services financiers numériques pour soutenir et développer les activités économiques informelles. L’entrepreneuriat joue un rôle crucial dans la création nette d’emplois, la croissance économique inclusive et la réduction de la pauvreté (Benoît, 2021, p. 77). Dans un contexte de transformation numérique, l’entrepreneuriat numérique connaît une croissance avec la mise en place d'activités économiques digitales. Sans avoir nullement la prétention d’exhaustivité, nous avons pu identifier trois catégories d’activités en augmentation dans la ville de Parakou. Il s’agit des prestataires de services digitaux, des services financiers mobiles et du commerce électronique. Ce sont les microentreprises les plus remarquables évoluant majoritairement entre le formel et l’informel, mais qui contribuent indubitablement au développement de l’économie locale.
Les prestataires facilitateurs de l’accès aux services publics
Le processus de dématérialisation et de digitalisation des services publics instauré par le gouvernement depuis 2016 a donné lieu à l'accroissement des prestataires de service qui jouent le rôle de médiateurs numériques entre l’administration publique et les usagers. À la faveur des réformes visant à l’amélioration du climat des affaires par la dématérialisation de plusieurs services, des plateformes ont été mises en service par le gouvernement béninois[5]. Ainsi, l’ambition de mettre en place une administration intelligente (Smart Gouv) a donné lieu à la création du portail national des services publics avec plus de 750 services en ligne, plus de 70 prestations délivrées et une dizaine de e-services totalement dématérialisés.
Cependant, les points numériques communautaires (PNC)[6] mis en place au niveau des communes en vue de former et d’aider les usagers pour leur faciliter l’accès à des services publics ne sont pas en mesure de satisfaire une demande exponentielle. Par ailleurs, la création de l’Agence nationale d’identification des personnes (Anip)[7] – avec pour objectif la production de documents et de systèmes intégrés ayant trait à l’identité – a eu pour corollaire l’établissement et la délivrance d’actes et de documents d’état civil numériques (acte de naissance sécurisé, certificat d’identité personnelle, carte d’identité biométrique, etc.) et l’accroissement de la demande des services en ligne. Malheureusement, les dispositions pratiques prises ne permettent pas de satisfaire les usagers. Dans la ville de Parakou, c’est seulement au bureau du 2e arrondissement que les agents de l’Anip sont hébergés pour servir une population de près de 300 000 habitants.
Cette situation a favorisé l’émergence des prestataires de e-services. Dans ce sens, Laurent, directeur d’un centre de reprographie, en relatant le contexte de son engagement dans cette activité, affirme :
… À partir de 2021, avec l’avènement des e-services, j’ai remarqué que beaucoup de mes clients étaient dans le besoin. Je faisais déjà des prestations de services mais c’était uniquement pour aider à se connecter et à imprimer les fiches de paie des agents de l’État comme les enseignants. Mais comme la demande des CIP, actes de naissance sécurisés, casiers judiciaires devenait de plus en plus forte, j’ai donc décidé d’élargir mes services en offrant des prestations de ces pièces-là. Et, à mon niveau, ça a pris rapidement puisque la demande était déjà forte.
Cette expérience de Laurent n’est pas un cas isolé. Tout comme lui, de nombreux acteurs déjà investis dans la reprographie ont élargi le spectre de leurs services en intégrant les nouvelles demandes qui découlent de la mise en œuvre des réformes des services publics. Ainsi, à la faveur de la dématérialisation des services publics, des acteurs ayant des compétences en littératie numérique et une bonne connaissance des procédures se sont positionnés en tant que prestataires pour effectuer les demandes de documents administratifs et de pièces d’état civil au profit des populations qui les sollicitent en contrepartie d’une rémunération. Il s’est alors développé un business de type nouveau. Certains jeunes se sont lancés dans la prestation des e-services pour gagner un peu d’argent, leur permettant de subvenir à leurs besoins. C’est le cas, par exemple, d’Edgar, étudiant, qui affirme :
J’ai commencé en 2022. J’ai remarqué que beaucoup de personnes avaient des difficultés pour faire les pièces en ligne. Et comme j’étais en galère, j’y ai vu une opportunité. Alors je me suis fait former auprès d’un ami. C’est ainsi que j’ai commencé avec quelques personnes dans mon entourage, des membres de ma famille, et petit à petit j’ai décidé de gagner de l’argent avec cela pour couvrir mes petits besoins.
Ces entrepreneurs du numérique passent souvent par les réseaux sociaux et les groupes de discussion pour communiquer sur leurs prestations comme l’indique Fofana qui révèle : « J’ai fait un visuel avec les différents services de prestations que j’offre et je l'ai partagé dans des groupes WhatsApp et Facebook, mais aussi à des amis pour communiquer digitalement. » Les principaux clients de ces prestataires sont des personnes sans compétence en littératie numérique. Celles-ci ont souvent recours à ces prestataires pour accéder aux documents en ligne. La coordonnatrice des agents de l’Anip à Parakou estime que plus de 50 % des usagers expérimentent d’abord les services des prestataires. Elle déclare : « Parmi ceux qui viennent ici, plus de la moitié passent d’abord par des prestataires. C’est lorsqu’ils n’ont pas satisfaction ou qu’il y a un souci qu’ils viennent nous voir. » Cette déclaration montre bien le privilège accordé aux prestataires par les usagers, au détriment du dispositif officiel d’accès aux services publics dématérialisés.
Les principaux facteurs qui expliquent cette préférence pour les prestataires sont l’insuffisance ou l’ignorance par les usagers de l’existence de points numériques communautaires (Parakou ne dispose que de deux centres numériques), et le délai d’obtention des documents sollicités qui est relativement court chez les prestataires qui sont devenus un maillon important dans le processus d’accès aux services publics en ligne. Sur ce point, Laurent témoigne :
Les clients gagnent beaucoup de temps parce que dans les arrondissements, ça prend au moins une journée. Les demandes sont plus fortes là-bas. Non seulement tu vas passer d’abord par les rangs, mais on te dira toujours d’aller et de revenir en soirée. Et pour récupérer aussi tu vas encore faire les rangs. Alors que chez nous, on fait tout sur-le-champ. Pour la carte CIP, en 30 minutes au plus vous l’avez déjà imprimée et plastifiée.
Les services financiers mobiles (SFM)
Les SFM nécessitent l’utilisation du téléphone portable pour accéder à des services financiers ou exécuter des transactions financières. Les SFM sur les réseaux de communication électroniques sont fournis par trois principales sociétés, notamment MTN avec sa « mobile money » (Momo), Moov avec son « Moov Money » (Flooz) et « Celtiis Cash ». Ils permettent de bénéficier des services transactionnels comme le dépôt ou le retrait d’argent, le transfert d’argent et le paiement des services via le téléphone portable. Grâce à ces plateformes, il est possible d’envoyer ou de recevoir de l’argent via des comptes mobiles ou bancaires, de payer des biens et des services chez des commerçants affiliés (achats en ligne, paiement de factures, etc.) ou de recharger du crédit, du forfait appel ou du forfait data sur son téléphone ou celui d’un proche. Les services financiers digitaux connaissent un succès progressif en raison du faible taux de pénétration bancaire. Les services financiers mobiles ont l’avantage d’offrir une grande flexibilité et rapidité dans les transactions. Cette condition est particulièrement attractive pour les acteurs de l’économie informelle qui ont une préférence pour des méthodes de paiement immédiates et discrètes. Cette commodité renforce l’utilisation de ces services dans des contextes où les activités économiques sont peu ou pas réglementées.
Selon les données de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), le nombre de comptes de services financiers mobiles a connu un taux de croissance de 327 % entre 2018 et 2023. La même tendance est observée au niveau de l’utilisation des comptes d’argent mobile. Ainsi, au Bénin, les titulaires de ces comptes ont effectué un total de 2,07 milliards de transactions en 2023 contre 202,6 millions de transactions enregistrées en 2018, soit une hausse d’environ 920 %. Par ailleurs, le taux de pénétration de la « mobile money » est passé de 23 % à 89 % entre 2018 et 2023 selon l’Arcep[8].
Ce secteur accueille généralement les jeunes déscolarisés ou sans emploi qui se convertissent dans cette activité pour gagner leur vie. À côté des points d’accès de services payants de communication électronique dont l’installation est une obligation faite aux opérateurs à travers l’article 101 du Code du numérique, ces acteurs établissent des points de vente parallèles souvent sans autorisation. Localement connus sous l’appellation de « cabine », ils sont visibles (à chaque 100 mètres environ) le long des rues et dans des lieux publics à forte fréquentation. La plupart de ces acteurs et leurs microentreprises, dépendant des stratégies des opérateurs, ne sont pas répertoriés et relèvent de l’immense secteur informel (Chéneau-Loquay, 2012). Seuls quelques-uns ont un agrément et tous les autres bénéficient d’une certaine tolérance de l’État. Ils constituent un maillon important du réseau de distribution mis en place par les opérateurs pour toucher les profondeurs des quartiers. En principe, pour ouvrir un point de vente « mobile money », il faut avoir une puce marchande dont l’accès est consubstantiel à la détention d’un registre de commerce. Cependant, il existe des stratégies de contournement de cette exigence. Les entreprises enregistrées, mais sans capital conséquent pour faire de la « mobile money » ou n’ayant plus envie de continuer pour une quelconque raison, revendent leur puce à des acteurs qui veulent s’engager dans cette activité.
Les jeunes s’y investissent temporairement avec l’intention de changer d’emploi. Il s’agit donc d’une activité « en attendant ». Cependant, certains finissent par s’en tenir à cela, considérant cette activité comme un moyen de s’auto-employer. C’est le cas de Bénédicte qui s’est lancée après sa licence en droit. Elle reconnaît : « Mon activité me convient parfaitement. En m’auto-employant, je suis moi-même chef d’entreprise. Je n’ai rien à envier à un employé avec un salaire net de 250 000 francs CFA. »
Cette déclaration montre combien la gestion des points d’accès de services payants de communication électronique, qu’ils soient agréés ou pas, peut être une activité économique numérique rentable. Bénédicte est actuellement propriétaire de trois cabines que nous avons eues l’occasion de découvrir pendant la phase de terrain. Elle gère la cabine principale et emploie deux autres jeunes qui s’occupent des deux autres. Dans la ville de Parakou, ces services connaissent une expansion rapide. Visibles tous les 100 mètres environ, ces points d’accès deviennent partie intégrante du tissu urbain et facilitent grandement les transactions financières. Cette expansion est en grande partie due à l’engagement des jeunes, souvent sans emploi ou en attente d’opportunités professionnelles.
Le commerce électronique
Le commerce électronique ou encore e-commerce reste encore largement à l’étape embryonnaire. Bien qu'il soit souvent perçu comme une activité moderne et formelle, il peut également devenir un pan de l’économie informelle, notamment dans des contextes de non-application stricte de la réglementation en vigueur et de possibilité pour les acteurs d’échapper aux contraintes administratives. Avec les transformations numériques en cours, le Bénin connaît une croissance continue de plateformes permettant à certains commerçants d’exercer leurs activités souvent sans aucune démarche administrative. Ces nouveaux commerçants numériques opèrent généralement en toute ignorance des lois, de la fiscalité et de tout ce qui encadre le commerce électronique. Pourtant, les transactions via les plateformes de commerce électronique sont désormais taxées au Bénin. En effet, aux termes des dispositions de l’article 224 de la loi n° 2021-15 du 23 décembre 2021 portant Code général des impôts et mise à jour par la loi n° 2022-33 du 9 décembre 2022 portant loi de finances pour la gestion 2023, il est précisé que les prestations de services de toutes natures effectuées à travers les plateformes de commerce électronique, qu’elles soient étrangères ou locales, sont imposables à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). L’article 232 du Code général des impôts dispose que « sont soumises à la TVA, toutes les affaires réalisées au Bénin, quand bien même le domicile ou le siège social de l’assujetti serait situé en dehors des limites territoriales ». Cette mesure concerne les ventes de biens, les prestations de services et autres opérations effectuées via les plateformes de commerce électronique. Cette disposition fiscale vient consolider les différentes réformes entreprises par l’administration en vue de l’élargissement de l’assiette fiscale. Cette mesure de taxation des opérations via les plateformes de commerce électronique au Bénin est supposée établir une équité fiscale.
Ces nouveaux commerçants communiquent via différentes plateformes pour avoir des clients et vendre leurs services et produits sans embarras. C’est le genre de vente qui se développe et se répand au Bénin parfois en dehors du cadre légal et fiscal officiel, évitant ainsi les taxes, les impôts et les obligations réglementaires. À notre connaissance, plus de 18 plateformes de commerce électronique sont actives au Bénin dont les établissements propriétaires sont inégalement répartis sur l’ensemble du territoire national. Deux au moins de ces plateformes sont actives à Parakou. Il s’agit de faala.net et de ahiyoyo.com.
La plateforme faala.net[9] a pour mission de fournir des offres de produits groupées par le biais de l’innovation technologique afin de simplifier les transactions, promouvoir les produits locaux et créer une communauté inclusive. En tant que facilitatrice entre producteurs, fournisseurs et consommateurs, elle met en contact direct ces deux communautés (consommateurs d’une part, et fournisseurs et producteurs locaux d’autre part) et les aide pour des échanges économiques, équitables et durables. La démarche consiste en la mise en place d’un système de réseautage d’acheteurs leur permettant d’accéder à des produits à bas prix. Dans la pratique, Faala facilite la mise en réseau des acheteurs, met à profit leur grand nombre et mutualise leurs besoins ou commandes pour négocier et acheter collectivement chez ses partenaires fournisseurs et producteurs à des tarifs avantageux. Ainsi, Faala facilite le processus d’achat groupé en connectant, via sa plateforme faala.net, des acheteurs qui partagent un intérêt commun pour un produit ou un service spécifique. Lorsque la commande minimum exigée est atteinte, des réductions y sont appliquées.
Ahiyoyo est un établissement enregistré dans le registre du commerce et du crédit à usage personnel dont le siège social est situé à Parakou. Ahiyoyo est propriétaire de la plateforme de commerce électronique http://www.ahiyoyo.com/, appelée « plateforme Ahiyoyo », sur laquelle divers produits sont commercialisés et vendus principalement par le biais du commerce électronique à une communauté d’utilisateurs enregistrés, auxquels la société offre divers services. Cette plateforme permet de vendre ses produits en ligne. Avant la mise en vente, Ahiyoyo fait obligation au vendeur de garantir qu’il a le droit de vendre tous les produits et services énumérés dans sa boutique, et qu’il respecte pleinement toutes les lois du pays, y compris les lois et règlements fiscaux applicables, qu’il bénéficie de toutes les autorisations, et qu’il dispose de toutes les licences nécessaires pour vendre les produits soumis à des restrictions légales.
En dehors de ces plateformes, nombreux sont les commerçants qui utilisent les réseaux sociaux, en l’occurrence Facebook, WhatsApp et TikTok, comme espaces publicitaires pour la promotion de leurs produits. Dans leurs « statuts » respectifs et les forums dont ils sont membres, ils postent des échantillons de leurs articles pour une large visibilité. Ainsi, tout consommateur potentiellement intéressé peut les joindre directement pour des négociations, et les transactions se font par le biais des services financiers mobiles.
La situation décrite n’est pas spécifique à Parakou. Les différentes formes d’économie numérique informelle évoquées sont observables dans les grandes villes du Bénin, notamment Cotonou et Porto-Novo. À titre illustratif, la majorité des plateformes actives au Bénin ont leur siège à Cotonou, capitale économique du pays. À la faveur de l’écosystème numérique promu par l’État, les smartphones sont devenus des instruments favorisant l’émergence d’une économie numérique locale qui s’enracine progressivement et sous des formes variées dans les pratiques des entrepreneurs du numérique. Cet écosystème numérique favorise la flexibilité des transactions, réduit les coûts d’infrastructure pour les commerçants et leur permet de développer leurs activités sans passer par des circuits de distribution traditionnels coûteux. En dépit des dispositions légales existantes, ces entrepreneurs numériques parviennent à se soustraire au contrôle de l’État.
Les entrepreneurs du numérique face à l’État et aux consommateurs
Certes, il existe un cadre légal qui encadre les activités numériques au Bénin, cependant celui-ci laisse aux entrepreneurs du numérique des marges de manœuvre leur permettant d’échapper au contrôle de l’État. L’arsenal juridique autour du numérique est constitué, entre autres, de la loi portant Code de l’information et de la communication, de la loi portant Code du numérique, des règles de politique de protection des infrastructures d’informations critiques, ainsi que du référentiel des exigences relatives à la qualification des fournisseurs de services de sécurité numérique. Ces dispositions contribuent à apporter la sécurité juridique nécessaire aux entreprises, aux investisseurs et aux utilisateurs ; à l’assainissement du secteur du numérique ; à la rationalisation du marché pour l’émergence d’acteurs efficaces ; puis à la simplification du système de taxation du secteur.
Toutefois, ces dispositions ne semblent pas à même de permettre à l’État d’exercer un contrôle strict et total sur les entreprises numériques et de tirer un meilleur profit de leur existence et de leurs actions. Les relations entre l’État et ces entreprises numériques se caractérisent par des stratégies d’évitement. L’une des faiblesses du dispositif étatique est imputable au système fiscal qui repose essentiellement sur le principe de la déclaration et l’absence de moyens efficaces de suivi des entrepreneurs dans leurs activités économiques. En effet, même en supposant le contrôle des revenus et des bénéfices déclarés, l’administration fiscale se trouve pratiquement dans l’impossibilité de contrôler les transactions entièrement effectuées en ligne et de procéder à l’identification précise du contribuable. Au Bénin, nombreux sont les petits commerçants qui pratiquent leurs activités commerciales via des plateformes sans être enregistrés. En conséquence, les entreprises numériques et surtout les particuliers sont moins exposés aux taxes, principalement dans un contexte où les consommateurs n’ont véritablement pas la culture de la facture encore moins celle normalisée. La facture normalisée a été instaurée par l’État pour lutter contre la fraude fiscale à travers le contrôle du chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise et pour sécuriser les transactions commerciales. Sur le terrain, nous avons pu constater que certains commerçants appliquent différents prix pour un même article en fonction du type de facture que le client souhaite (normalisée ou pas). Le montant est généralement majoré pour inclure la taxe afférente si le client préfère une facture normalisée. En conséquence, pour minimiser le coût de l’article, de nombreux clients optent pour une facture non normalisée.
Dans la pratique, il existe une absence de traçabilité complète des transactions en ligne. Les ventes dont les paiements sont effectués par le truchement des SFM (Momo, Flooz, Celtiis Cash) filent souvent entre les mailles du contrôle de l’État. Les petites entreprises et les entrepreneurs individuels qui utilisent ces services pour recevoir des paiements ne déclarent pas l’ensemble de leurs revenus.
Quant aux relations entre les prestataires de e-services et leurs clients, elles se caractérisent par une interaction fluide et adaptée aux besoins de la clientèle. Leurs échanges demeurent entretenus et centrés sur l’efficacité et la rapidité. La flexibilité de ces prestataires leur permet de répondre à des demandes variées, allant des services d’impression et de plastification aux démarches administratives en ligne. L’un des atouts des prestataires de e-services est la proximité qu’ils entretiennent avec leurs clients. Contrairement aux structures formelles, souvent perçues comme « trop » bureaucratiques et lentes, les prestataires informels offrent un service plus accessible et rapide. Dans ce sens, un de nos interlocuteurs (un des prestataires interrogés) au Centre des Nouvelles Technologies en Electronique et Informatique (CNTEI) évoque sa stratégie vis-à-vis de ses clients :
… Comme je l’ai mentionné, le respect et la confiance sont des valeurs que j’ai instaurées au fil du temps. Je me souviens des visages de mes clients réguliers, ce qui aide à maintenir une relation solide avec eux. J’ai également donné instruction à mes secrétaires de rester polies, respectueuses avec les clients. De temps en temps, je passe pour demander aux clients présents si tout va bien et si elles s’occupent déjà d’eux.
Cette proximité permet non seulement de fidéliser les clients, mais aussi de bâtir une relation de confiance. Les clients n’hésitent pas à revenir vers les mêmes prestataires pour des services récurrents ou à en parler dans leur entourage pour en faire la promotion. Par ailleurs, le développement des activités des prestataires de e-services repose sur leur capacité à fidéliser leurs clients grâce à la qualité de leur prestation, mais aussi au respect instauré pour garantir et faire de la satisfaction un levier clé pour attirer de nouveaux clients. En effet, les clients satisfaits se transforment implicitement en de véritables ambassadeurs, recommandant spontanément les services du prestataire à d’autres, sans qu’il soit nécessaire de créer une relation personnelle. C’est ce que souligne Adam, un prestataire interrogé :
Lorsque je fais correctement la prestation, les clients n’hésitent pas à me recommander à leurs collègues ou amis. Par exemple, j’ai eu à faire la démarche du numéro IFU à un oncle enseignant au cours primaire et au cours des jours qui ont suivi, je me suis retrouvé à faire la prestation pour tous les autres enseignants de son école, ce qui m’a permis d’avoir de nouveaux clients et de garder contact avec eux.
Cependant, les interactions entre les prestataires de e-services et leurs clients ne sont pas toujours transparentes, dépourvues de problèmes. Au contraire, elles sont implicitement marquées par des actes de surfacturation, de duperie et d’escroquerie. En effet, profitant de la situation de vulnérabilité du client (analphabétisme [numérique], urgence de la prestation, ignorance des tarifs officiels des prestations), certains prestataires de e-services fixent leurs prix de manière arbitraire, au gré de leurs humeurs et à la tête du client. Ce manque de transparence entraîne des tarifs parfois élevés, que les clients acceptent de payer malgré eux en fonction de l’urgence ou par manque d’informations sur les tarifs réels et moins élevés. Un client a témoigné :
Une fois, j’ai payé 3 500 francs chez un prestataire pour obtenir une carte CIP. Et lorsque je la renouvelais chez un autre, ce dernier m’a juste pris 2 000 francs, en me révélant qu’en fait c’est 1 000 francs et que l’impression et la plastification coûteraient 700 francs. J’étais étonné, mais comme je ne savais pas, la première fois j’ai payé sans discuter…
Ce manque de transparence sur les prix crée parfois de la frustration chez les clients, qui ne savent pas toujours si le montant payé correspond à la valeur réelle du service. La variation du coût des prestations s’observe également entre les prestataires qui ne sont pas parvenus à harmoniser les coûts des prestations. Le tableau ci-dessous indique quelques variations observées au cours de la collecte des données.
Tableau 1 : Variation des coûts de prestations d’e-services
Source : données de terrain, août 2024.
Documents et services sollicités | Coût officiel (FCFA) | Coût des prestataires (FCFA) |
Duplicata du récépissé du Ravip | 500 | 1 000 |
Acte de naissance sécurisé | 1 000 | 1 500 à 2 000 |
Certificat d’identification personnel (CIP) | 1 000 | 3 000 à 4 000 |
Carte d’identité nationale biométrique | 6 000 | 7 500 à 8 500 |
Numéro personnel d’identification (NPI) | 0 | 500 à 1 000 |
Numéro IFU | 0 | 1 000 à 2 000 |
Casier judiciaire | 1 900 | 2 500 à 3 000 |
Registre de commerce | 10 000 | 12 500 à 15 000 |
Création de compte d’émission des factures normalisés | 0 | 3 000 à 5 000 |
Passeport biométrique[1] | 30 000 | 32 000 à 35 000 |
Paiement en ligne d’amende pour infractions routières | Montant variable | 500 à 1 000 |
[1] Il s’agit principalement de la procédure de demande en ligne via une plateforme dédiée. En effet, l’utilisateur doit remplir correctement un formulaire en ligne en y joignant les pièces requises. Avant de soumettre sa demande, il a la possibilité de choisir une date et une heure de rendez-vous, dans les deux à trois semaines à venir, grâce à un calendrier en ligne proposé par la plateforme, puis il passe au paiement des frais de passeport et valide. Il reçoit alors un mail récapitulatif de la demande effectuée.
Comme on peut le remarquer dans le tableau 1, dépendamment des prestataires, le coût d’une prestation peut varier du simple au double par rapport au coût officiel. Ainsi, les prestataires profitent parfois des contextes particuliers pour ajuster les prix en fonction de la demande ou du profil du client, sans explication claire. Dans ce sens, Immaculé, un prestataire, nous confie :
Au départ, mes prix de prestation variaient en fonction du client ; c’est-à-dire que si je remarque que c’est une personne qui ne maîtrise pas du tout le numérique, j’augmente les tarifs, de même que lorsque la demande est urgente ou un peu complexe… Mais maintenant, je ne le fais plus, car ce n’est pas honnête.
Ce comportement nuit à la relation, notamment lorsque les clients découvrent des prix plus compétitifs ailleurs. Cela a un impact négatif sur la réputation du prestataire.
Conclusion
Cet article a eu pour ambition de comprendre les dynamiques économiques introduites par le projet gouvernemental de développer l’économie par le truchement des réformes dans le secteur du numérique. Les différentes initiatives prises au sommet de l’État ont contribué à la création d’un écosystème favorable à l’émergence de nouvelles formes d’économies numériques visibles au niveau local. Les microentreprises numériques qui ont émergé opèrent majoritairement dans l’informel et à l’abri du contrôle de l’État à la faveur de la double inaptitude de l’État qui se traduit par son incapacité à soumettre ces microentreprises numériques au fisc, mais aussi par son impossibilité d’assurer aux citoyens les compétences nécessaires à s’adapter aux nouvelles exigences requises pour accéder aux services publics.
Comme l’indiquent Abou Moumouni et Krauß (2023), en généralisant et en imposant la dématérialisation des services publics, l’État semble présumer que les citoyens disposent d’un minimum de compétences pour communiquer avec l’administration, même s’il ne leur fournit pas les compétences requises en matière de littératie numérique. Pourtant, cette réforme a montré les besoins de citoyens qui se trouvent dans l’obligation de recourir aux médiateurs aguerris en littératie numérique pour accéder aux services publics. Ainsi, la dématérialisation des services publics a été saisie comme une opportunité de création des services que les entrepreneurs du numérique proposent aux personnes sans compétence en littératie numérique. On peut voir dans l’émergence de ces entrepreneurs du numérique un des effets inattendus de la mise en œuvre de la politique de numérisation, car à travers celle-ci, l’État espérait avoir plus de contrôle sur les entreprises en vue de l’élargissement de l’assiette fiscale.
Par ailleurs, une bonne partie de ces entreprises échappent encore au contrôle de l’État, car elles fonctionnent souvent sans enregistrement officiel, se soustrayant ainsi à la réglementation et à la fiscalité en dépit de leur importance dans l’économie informelle. Les dispositions réglementaires prises par l’État semblent moins efficaces pour le contrôle des microentreprises que pour les grandes entreprises numériques, montrant ainsi le caractère obsolète du système fiscal béninois qui nécessite une adaptation à l’ère du numérique. Ce n’est qu’à travers cette révision du système fiscal que l’État béninois peut arriver à tirer le maximum de profits de son écosystème numérique.
Notes
[1] Il faut noter que ce fonds a été dissous en 2022 et ses attributions ont été transférées à l’Agence de développement des petites et moyennes entreprises (ADPME).
[2] Ces projets concernent : 1) le déploiement de l’Internet à haut et très haut débit sur l’ensemble du territoire pour répondre au besoin de l’accès à une connexion Internet à haut débit à des tarifs compétitifs, indispensable à la création d’un écosystème numérique et au développement de services innovants ; 2) la transition vers la télévision numérique terrestre (TNT) afin qu’elle soit accessible à 100 % aux foyers béninois ; 3) la mise en œuvre de l’administration intelligente (Smart Gouv) qui vise, d’une part, l’amélioration de l’efficacité et l’ouverture de l’administration en recentrant le service public autour de l’usager et, d’autre part, la promotion de la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption ; 4) la généralisation de l’usage du e-commerce ; 5) la généralisation de l’usage du numérique par l’éducation et la formation pour renforcer la qualité de l’enseignement, les compétences nationales et préparer les nouvelles générations aux usages numériques ; 6) la promotion et le développement de contenus numériques.
Pour plus d’informations sur ces projets et les réformes engagées par le gouvernement, le lecteur peut utilement se référer au document de déclaration de politique sectorielle : Présidence de la République du Bénin (2021).
[3] Il s’agit de la loi n° 2017-20 du 20 avril 2018 portant Code du numérique en République du Bénin et de la loi n° 2020-35 du 6 janvier 2021 modifiant la loi n° 2017-20 du 20 avril 2018
. Par ailleurs, les initiatives de l’État concernent entre autres la création par la loi n° 2014-14 du 9 juillet 2014 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et de la poste (Arcep) qui veille au respect des règles de libre concurrence, garantit un accès équitable aux marchés des communications électroniques et de la poste. Aussi, par décret n° 2013-213 du 3 mai 2013, le Bénin s’est doté d’une structure nationale de lutte contre les infractions cybernétiques (Office central de répression de la cybercriminalité – OCRC) qui a compétence sur toutes infractions en lien avec les systèmes informatiques ainsi que les modes de traitement, de stockage et de communication.
[4] https://semecity.bj/a-propos/qui-sommes-nous/
[5] Il s’agit, entre autres, de la plateforme de téléchargement et de télépaiement des impôts ; de la plateforme dédiée aux transactions financières ; de la plateforme d’accès aux marchés publics. Pour plus d’informations, le lecteur peut consulter le site : https://www.service-public.bj/public/services/e-services
[6] Plus de 47 points numériques communautaires sont installés.
[7]L’Anip est créée et régie par les dispositions de la loi n° 2017-08 du 19 juin 2017 portant identification des personnes physiques en République du Bénin, et avec pour mission la modernisation du processus d’identification des personnes. Elle a en charge toutes les opérations relatives à la conception et à la gestion technique du registre national des personnes physiques, la conception et la mise en œuvre des registres communaux des personnes physiques, la détermination, l’attribution et la conservation du numéro personnel d’identification (NPI), l’assistance technique à toutes les structures et personnes ayant droit d’accès ou d’utilisation du Registre national des personnes physiques, conformément aux dispositions de la loi, l’authentification, la conservation et la protection des données d’identification.
[8] Voir https://www.agenceecofin.com/monetique/1006-119384-benin-le-nombre-d-abonnes-mobile-money-a-augmente-de-327-en-cinq-ans
[9]« Faala » est en langue dendi et renvoie à ce qui est moins cher, voire gratuit. Le dendi est une langue nationale parlée majoritairement dans la partie septentrionale du Bénin. Elle est parlée par environ 2,3 % de la population.
[10] Il s’agit principalement de la procédure de demande en ligne via une plateforme dédiée. En effet, l’utilisateur doit remplir correctement un formulaire en ligne en y joignant les pièces requises. Avant de soumettre sa demande, il a la possibilité de choisir une date et une heure de rendez-vous, dans les deux à trois semaines à venir, grâce à un calendrier en ligne proposé par la plateforme, puis il passe au paiement des frais de passeport et valide. Il reçoit alors un mail récapitulatif de la demande effectuée.
Bibliographie
Abou Moumouni, I., & Krauß, R. (2023). “Paperwork is so important” processes of literacising in bureaucratic contexts in Benin and Bolivia. Cult.psych., 4(1), 85-106. https://doi.org/10.1007/s43638-023-00085-z
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Ado, A. (2023). L’entrepreneuriat numérique durable au Bénin : opportunités, défis et stratégies. Une étude du Alexander von Humboldt Institut für Internet und Gesellschaft.
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CTD & GIZ Bénin (2023). Guide de l’entrepreneur digital. Première édition. https://numerique.gouv.bj/assets/documents/guide-entrepreneur-digital-ctd-2023.pdf
Benoît, D. (2021). L’essor de l’économie numérique africaine. Banque européenne d’investissement.
Chéneau-Loquay, A. (2012). La téléphonie mobile dans les villes africaines. Une adaptation réussie au contexte local. L’Espace géographique, 1, 82-93.
Colin, N., Landier, A., Mohnen, P., & Perrot, A. (2015). Économie numérique. Notes du conseil d’analyse économique, 26(7), 1-12. DOI: 10.3917/ncae.026.0001.
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Rotman, D. (2013). How Technology is Destroying Jobs. MIT Technology Review (12)
Pour citer l'article :
APA
Abdou Moumouni, I., & Adam, M. (2024). Emergence de nouvelles formes d’économie informelle au Bénin : une analyse des microentreprises numériques. Global Africa, (8), pp. 252-264. https://doi.org/10.57832/837w-9308
MLA
Abdou Moumouni, I., & Adam, M. "Emergence de nouvelles formes d’économie informelle au Bénin : une analyse des microentreprises numériques". Global Africa, no. 8, 2024, p. 252-264. doi.org/10.57832/837w-9308
DOI
https://doi.org/10.57832/837w-9308
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