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Analyses critiques

La fabrique des innovations d’en bas dans 

les services urbains d’eau des quartiers précaires de Ouagadougou


Études de cas à Goundrin et à Boassa

Maïrama Tamboura

Doctorante en Sociologie, LASME, Université Joseph Ki-Zerbo, Ouagadougou, Burkina Faso

mariamtam94@yahoo.fr


Catherine Baron

Professeure des Universités en Aménagement de l’Espace et Urbanisme, LEREPS-Sciences Po Toulouse, France

baron@ut-capitole.fr


Ramané Kaboré

Professeur en Sociologie, LASME, Université Joseph Ki-Zerbo, Ouagadougou, Burkina Faso

ramaneka@hotmail.com

numéro :

Les administrations africaines :
décolonialité, endogénéité et innovation

African Administrations:
Decoloniality, Endogeneity, and Innovation

Tawala za Kiafrika:
kuacha ukoloni, endogeneity na ubunifu

:الإدارات الأفريقية
إنهاء التركة الاستعماريّة، المحلّيّة والابتكار

GAJ numéro 02 première.jpg.jpg

Publié le :

20 juin 2024

ISSN : 

3020-0458

06.2024

Les recherches conduites sur la fourniture d’eau potable en milieu urbain dans le Sud global mettent surtout l’accent sur les inégalités d’accès dans les quartiers précaires. Les facteurs explicatifs avancés renvoient aux déficiences techniques du réseau d’eau centralisé (taux de fuite, continuité du service, manque de moyens financiers et humains pour entretenir les infrastructures, etc.) ainsi qu’à une gouvernance considérée comme déficiente. Face aux limites du modèle conventionnel, des innovations locales, à l’initiative de différents types d’acteurs (individuels, collectifs), ont émergé en dehors du réseau centralisé d’où le qualificatif de off-grid. Longtemps considérées comme des solutions transitoires, comme du bricolage, elles font aujourd’hui l’objet d’une attention particulière et questionnent la pertinence du modèle unique de réseau centralisé qui a été véhiculé internationalement. Dans quelle mesure peut-on parler d’innovations ? Alors que l’accent est à nouveau mis sur les dimensions techniques (mini-réseaux, adaptabilité des infrastructures à la structuration des quartiers précaires, etc.) et les modes de gouvernance, décentralisés (proximité, délégation à des opérateurs locaux ou à des associations, modalités de tarification adaptées au contexte, etc.), rares sont les travaux qui interrogent les dynamiques locales, notamment les innovations d’en bas, au-delà de ces dimensions techniques et de régulation. Afin de présenter sous un autre angle ces dynamiques de changement, nous avons analysé des expériences innovantes à l’échelle des quartiers précaires de Goundrin et de Boassa à Ouagadougou (Burkina Faso) à partir d’enquêtes qualitatives et d’études de cas. Notre article identifie tout d’abord la pluralité des sens conférés au terme « innovation » appliqué au secteur de l’eau potable, ce qui permet de mettre en évidence la complexité des processus en jeu, au-delà des dimensions techniques et de gouvernance. Par ailleurs, nous discutons la dimension endogène de ces innovations d’en bas, en questionnant leurs interactions avec des projets d’en haut financés par des bailleurs et portant sur l’accès à l’eau dans les quartiers précaires des villes africaines. Nous analysons ensuite deux études de cas, les quartiers de Goundrin et de Boassa, pour expliciter les conditions d’émergence de ces innovations portées par des « experts contextuels » issus de ces quartiers et motivés par des logiques d’engagement. Il s’agit de Y.O., un opérateur informel individuel, et de l’association Yaam Solidarité qui, par la mise en place de collectifs d’habitants, de mini-réseaux d’eau, des bricolages au quotidien et des modes opératoires différents, contribuent à l’amélioration de l’accès aux services d’eau. Si l’engagement de ces acteurs se situe au départ dans une logique d’action à l’échelle locale, la diffusion de ces innovations engendre des imprévus qui peuvent se traduire par le passage de logiques de coopération et de solidarité vers des logiques de concurrence et de rentabilité. L’institutionnalisation serait-elle une garantie de préservation des logiques d’action collective avec pour finalité une justice sociale et territoriale ? Cet article contribue donc, de manière originale, à la littérature sur le « hors réseau » (off-grid) qui s’est fortement développée dans les études sur les services d’eau ces dernières années.   


Mots-clés  

Innovation d’en bas, expert contextuel, services urbains d’eau, systèmes décentralisés – off-grid, Ouagadougou

Plan de l'article

Introduction


Le concept d’innovation en débat


Méthodologie et justification des terrains


Les innovations d’en bas : dynamiques endogènes ou dépendance aux politiques d’en haut ?


Conditions d’émergence d’innovations d’en bas : le rôle des « experts contextuels »


La fabrique des innovations d’en bas dans les services d’eau : quelles logiques d’action collective ?


De la diffusion à la mise à échelle : entre pérennité et disparition


Conclusion

Introduction


L’eau est un élément indispensable pour tout organisme vivant et pour la survie des écosystèmes dont l’homme est partie intégrante. Elle conditionne le développement socio-économique et territorial, et participe à la fabrique urbaine (Rosillon, 2016). En Afrique Subsaharienne, 400 millions de personnes n’ont toujours pas accès aux services d’eau et la plupart habitent dans des espaces périurbains sans statut juridique (ONU-Eau, 2022). Ainsi, les villes africaines sont confrontées depuis des décennies à de nombreux défis liés aux difficultés d’approvisionnement et d’accès à une eau potable du fait de la forte croissance urbaine. Cette croissance s’accompagne d’une précarisation des populations et d’un étalement urbain qui rend difficile l’extension des réseaux. Par ailleurs, les ressources en eau s’amenuisent avec la crise climatique qui touche les pays soudano-sahéliens.
La métropole de Ouagadougou n’échappe pas à cette réalité. Selon l’INSD (2022), la population de la capitale est de 2 415 226 habitants dont 40 % résident en zones non loties[1], occupant 27 % de l’espace urbain. Face à cette situation, comment assurer l’accès à l’eau aux ménages des quartiers précaires via le modèle centralisé conventionnel ? Cette question est largement discutée dans la littérature, en mettant l’accent sur les dysfonctionnements du service (Baron & Bonnassieux, 2021 ; Jaglin, 2012; Kouiyé, 2020). Les facteurs explicatifs avancés renvoient aux déficiences techniques du réseau (fuites, continuité du service, manque de moyens financiers et humains pour entretenir les infrastructures, etc.) ainsi qu’à une gouvernance considérée comme déficiente, et plus rarement à des facteurs écologiques. Face à ces limites qui impactent les ménages précaires, des initiatives se sont développées, en marge du réseau centralisé d’où le qualificatif de « off-grid » (Misra & Kingdom, 2019), pour assurer l’accès à l’eau dans des quartiers délaissés par les politiques publiques. Longtemps considérées comme des solutions transitoires, du bricolage, ces initiatives font aujourd’hui l’objet d’une attention particulière et questionnent la pertinence du modèle unique de réseau centralisé véhiculé à l’échelle internationale. Dans quelle mesure peut-on parler d’innovations et comment les qualifier ? Alors que l’accent est à nouveau mis sur les dimensions techniques (mini-réseaux, adaptabilité des infrastructures à la structuration des quartiers précaires, etc.) et sur les modes de gouvernance décentralisés (proximité, délégation à des opérateurs privés locaux, recouvrement adapté, etc.), rares sont les travaux qui interrogent ces dynamiques locales du point de vue des « innovations d’en bas ». Le terme « d’en bas » est utilisé pour se démarquer des innovations « d’en haut » conçues et diffusées par les institutions internationales dans le cadre de réformes institutionnelles qu’elles ont appuyées (Lavigne Delville & Schlimmer, 2020). Afin d’aborder ces dynamiques sous un angle original, nous avons analysé des expériences d’en bas innovantes, des micro-dynamiques locales (Ndongo & Klein, 2020), à l’échelle des quartiers précaires de Goundrin et Boassa à Ouagadougou, à partir d’enquêtes qualitatives. En effet, en marge du système d’eau conventionnel, centralisé, il existe des initiatives “endogènes” assurant la fourniture d’eau. Ces initiatives, dont certaines sont des innovations d’en bas, traduisent l’existence de savoirs endogènes du « monde d’en bas » (Ela, 1998, p. 24), adoptées et mises en œuvre par des acteurs comptant quotidiennement sur leurs « propres forces » (Olivier de Sardan, 2022) pour « expérimenter, bidouiller, bricoler, fabriquer et innover » (Dauphin, 2012 ; Ambrosino et al., 2017). Ces « experts contextuels » (Olivier de Sardan, 2022) peuvent être de petits entrepreneurs privés ou des acteurs du monde associatif, formels ou informels, qui s’adaptent aux modes de vie du monde réel des quartiers précaires.
L’article explore tout d’abord la pluralité des sens conférés au terme « innovation » appliqué au secteur de l’eau potable afin de mettre en évidence la complexité des processus en jeu, au-delà des dimensions techniques et de gouvernance. Sont ensuite précisées la justification des deux quartiers non lotis retenus (Goundrin et Boassa) et la méthodologie en termes de collecte et d’analyse des données de terrain. Ces innovations d’en bas, repérées dans ces quartiers, sont discutées sous les angles suivants : leur dimension endogène dans des territoires caractérisés par des logiques projets ; les conditions de leur émergence à travers le rôle d’« experts contextuels » ; la compréhension de la fabrique de ces innovations, inscrites dans des dynamiques collectives  ; et les conséquences du passage à l’échelle, c’est-à-dire de leur diffusion au-delà des territoires où elles ont émergé, en termes de pérennisation.

 

Le concept d’innovation en débat


L’innovation est un « mot-valise » avec une diversité de significations, en fonction des disciplines et des approches qui s’y réfèrent. L’innovation, en économie, est parfois considérée comme « une amélioration durable de l’efficacité économique globale de la société » (Noailles, 2011, p. 3), rendue possible par l’introduction de « nouveauté » dans le système économique (Badillo, 2013 ; Ben Yakoub & Achelhi, 2021). Une approche systémique enrichit cette vision en distinguant plusieurs types d’innovations en référence à la théorie de l’innovation de Schumpeter (1999). Ce dernier identifiait des innovations de procédés, de produits, organisationnelles, en lien avec la découverte de nouvelles sources de matières premières, et l’ouverture de nouveaux marchés, chacune ayant un impact différent sur la croissance. Son apport réside aussi dans le lien qu’il établissait entre l’innovation et la figure de l’entrepreneur comme source de changement.
Appréhendée dans sa dimension technologique, l’innovation a longtemps été considérée comme un processus linéaire, associée à l’idée de progrès. Cette vision en restreint la portée car « l’innovation ne peut pas être représentée, ni symbolisée ou résumée par un simple processus mécanique et linéaire, même élargi à la notion de système » (Noailles, 2011, p. 4).
Afin de dépasser cette vision technique, linéaire et évolutionniste de l’innovation, et de se démarquer de l’idée de progrès, des auteurs ont mis en avant sa dimension sociale (Noailles, 2011). Plusieurs conceptions de l’innovation sociale peuvent être identifiées dans la littérature. Pour certains, l’accent est mis sur son caractère novateur avec pour objectif de favoriser le bien-être des individus et des collectivités (Cloutier, 2003). Pour d’autres, il s’agit d’analyser la fonction de l’entreprise sociale comme support de cette innovation (Richez-Battesti et al., 2012). Enfin, certains travaux analysent plutôt le processus de mise en œuvre, en montrant à quelles conditions les innovations peuvent être socialement efficaces et devenir « sources de transformations sociales pouvant favoriser l’émergence d’un nouveau modèle de développement » (Cloutier, 2003, p. 4). Sont discutés l’amélioration de la qualité de vie des individus et le développement territorial (Bouazza & Nafil, 2019).
Si ces deux dimensions, techniques et sociales, de l’innovation peuvent apparaître comme opposées, elles n’en demeurent pas moins complémentaires. Par exemple, l’approche sociotechnique tente de dépasser toute opposition entre le technique et le social. Dans cette approche, l’innovation renvoie à « l’art de l’intéressement » et repose sur la construction de réseaux d’alliances (Akrich et al., 1988). Pour intéresser les acteurs, l’innovateur doit tisser des accords à partir de négociations et de compromis sociotechniques (Akrich et al., 1988). Le succès de l’innovation dépend du processus d’intéressement et des compromis élaborés, ce qui est déterminant pour le niveau d’adoption et de diffusion de l’innovation. L’approche socio-anthropologique conduit elle aussi à considérer ce lien entre technique et social. L’innovation est alors définie comme « toute greffe de techniques, de savoirs ou de modes d’organisation inédits, sur des techniques, savoirs et modes d’organisation en place » (Olivier de Sardan, 1995, p. 78). Elle est considérée comme une adaptation locale, basée sur des emprunts et des importations. Ce processus de greffage comporte plusieurs dimensions – technique, normative, organisationnelle, relationnelle et décisionnelle –, combinées au sein de « systèmes sociaux locaux » dans lesquels l’innovation s’enracine et se diffuse par l’intermédiaire de « porteurs sociaux » (Olivier de Sardan, 2022). Cette définition va donc au-delà de l’aspect sociotechnique car elle intègre les connaissances et apprentissages, facteurs nécessaires à l’organisation et la mise en œuvre d’une innovation. De plus, le passage d’une étape à l’autre au cours du processus d’adoption fait appel au savoir-faire de l’innovateur, qualifié d’expert contextuel (Olivier de Sardan, 2022), terminologie que nous retiendrons dans l’article. Olivier de Sardan distingue deux types « d’experts contextuels ». Les experts contextuels directs sont des opérationnels, intervenant auprès des usagers, et insérés au sein des services étatiques ou dans les projets portés par les acteurs de l’aide. Par ailleurs, les experts contextuels indirects décryptent et analysent les contextes locaux, comme c’est le cas des chercheurs. Selon Olivier de Sardan, une expertise contextuelle doit comporter trois propriétés : « la familiarité, la capacité critique et le concernement » (2022, p. 7). Nous nous référons, dans l’article, à « l’expert contextuel direct » qui, sur la base du triptyque retenu par Olivier de Sardan, a une familiarité avec son milieu d’appartenance et innove à partir de sa connaissance des normes pratiques (Olivier de Sardan, 2022). Sa capacité à mettre en place des innovations peut contribuer, dans la pratique, à améliorer l’accès aux services urbains d’eau dans les quartiers précaires.
Dans la mesure où les problématiques liées à l’eau renvoient souvent à la dimension technique du service ou de l’exploitation de la ressource, les chercheurs se réfèrent souvent à la littérature sur l’innovation dans sa dimension technico-économique. Elle apparaît comme la solution qui permettrait la résolution des problèmes liés à l’eau (Wehn & Montalvo, 2018 ; Kydyrbekova et al., 2022). C’est pourquoi elle est définie par Mvulirwenande et Wehn (2020, p. 1) comme « toute solution innovante et pratique de produits, procédés ou services, susceptible de contribuer à l’amélioration des performances du secteur de l’eau en augmentant l’efficience et l’efficacité de la chaîne de valeur de l’eau ». Mais cette définition confère un poids surdéterminant aux facteurs technique et économique alors que, en particulier dans le secteur de l’eau, la dynamique d’innovation repose sur une multiplicité de facteurs, organisationnels, économiques, sociaux, institutionnels mais aussi sur des savoirs endogènes, des règles informelles (Ahmed et al., 2023). Le facteur institutionnel est particulièrement significatif. Par exemple, à partir d’études de cas au Ghana, Kenya et Mozambique, Mvulirwenande & Wehn (2020) montrent que les politiques publiques, à travers les réglementations formelles, régissent certes l’innovation au niveau national, mais que ce sont surtout les interactions entre les acteurs formels et informels, notamment à l’échelle locale, qui contribuent directement à l’émergence de processus d’innovation. Ces innovations peuvent alors, sous certaines conditions, générer des réformes institutionnelles dans le secteur de l’eau.

 


Méthodologie et justification des terrains


Nous privilégions une approche socio-anthropologique (Olivier de Sardan, 1995, 2008) afin d’identifier et analyser les spécificités contextuelles, les discours des acteurs et destinataires des innovations d’en bas dans le domaine des services d’eau. Nous mobilisons les outils méthodologiques de l’enquête de terrain afin de comprendre le contexte d’émergence des innovations d’en bas, leur adoption, leur diffusion et leur mise à l’échelle. La démarche qualitative a été retenue pour identifier, observer et questionner ces innovations (Beaud & Weber, 2010). Il ne s’agit donc pas d’une étude d’impact, et nous n’avons pas procédé à une étude quantitative qui supposerait une représentativité des enquêtés.
Nous retenons une méthode comparative (Olivier de Sardan, 1995) pour identifier les invariants et spécificités des innovations d’en bas, à travers deux études de cas approfondies, dans deux quartiers non lotis de Ouagadougou[2]. Cette terminologie du « non loti » (Baron & Bonnassieux, 2021 ; Guigma, 2017 ; Robineau, 2014) est retenue au Burkina Faso par les acteurs institutionnels et les Burkinabés pour désigner des quartiers « informels », sans reconnaissance légale d’occupation, où l’opérateur public – l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) – n’assure pas directement la fourniture du service d’eau. Ces quartiers sont donc des territoires particulièrement intéressants pour étudier les innovations mises en place par différents types d’acteurs (publics, privés ou associatifs) pour pallier le manque d’accès à l’eau.
Nous avons enquêté dans les quartiers de Goundrin et de Boassa[3] afin de rendre compte des innovations d’en bas portées par des experts contextuels aux profils variés puisqu’il s’agit de petits opérateurs privés, formels et informels, ou d’associations, insérés dans ces territoires. Le choix des quartiers tient à leur singularité qui ressort lorsqu’on considère le « contexte de vie réelle » (Yin, 2018), en tenant compte de leur situation géographique, leur histoire, leur place dans les jeux de pouvoir locaux et des modalités d’accès à l’eau, au-delà d’une vision homogène du non loti. Ces espaces de l’entre-deux, entre rural et urbain (Robineau, 2014), présentent une structure morphologique et des statuts d’occupation différents. À Goundrin, quartier non loti, les parcelles occupées ont été recensées mais non attribuées (Boyer, 2009), à cause de l’arrêt des opérations de lotissement en 2011 suite à la dénonciation de spéculations d’envergure (Sory, 2019). Boassa était un village rattaché à la commune de Boulmiougou, mais suite au lotissement de Sandogo, un quartier de cette commune en 2009, ceux qui n’ont pas eu de parcelles se sont installés à Boassa. Depuis le nouveau découpage de Ouagadougou en 2012, Boassa est devenu un quartier non loti rattaché à l’arrondissement 7 de Ouagadougou. La spécificité du non loti de Boassa réside dans sa structuration socio-spatiale mieux organisée que d’autres non lotis. Par ailleurs, ces deux quartiers n’ont pas bénéficié de mini-réseaux d’eau décentralisés avec délégation de la gestion à de petits opérateurs privés[4] comme cela a été le cas de certains non lotis (Baron & Bonnassieux, 2021 ; Baron et al., 2016, 2022).
Des entretiens approfondis ont été conduits en janvier et février 2023, suite à des passages répétés en 2022 à titre exploratoire. Au total, 19 entretiens ont été réalisés auprès de 6 opérateurs informels, 2 délégataires, une association (Yaam[5] Solidarité), ainsi que 10 ménages. Dans le cas des entretiens avec les experts contextuels (Yaam Solidarité et Y.O., un opérateur informel), nous avons privilégié des interactions en face à face, sous la forme d’entretiens de longue durée (deux heures) avec des passages répétés sur la période. La production des données empiriques a été faite au moyen d’un guide d’entretien semi-directif. Chaque discours recueilli constitue un point de vue singulier sur notre objet d’étude. L’usage de cette technique trouve sa pertinence dans la compréhension du sens que les acteurs donnent à leurs pratiques. Tout en privilégiant une enquête de type socio-anthropologique, nous avons utilisé également la technique de l’observation directe, sur la base d’un guide d’observation. Ceci nous a permis de percevoir les interactions entre les acteurs impliqués dans la fabrique des innovations d’en bas à Goundrin et à Boassa. Compte tenu du faible nombre de personnes enquêtées, nous n’avons pas réalisé d’analyse des profils socio-économiques qui ne seraient pas représentatifs.

 

Les innovations d’en bas : dynamiques endogènes ou

dépendance aux politiques d’en haut ?


Les innovations d’en bas sont souvent considérées comme relevant d’initiatives endogènes. Qu’en est-il de celles identifiées à Goundrin et Boassa ?
Depuis la reconnaissance des quartiers précaires comme des lieux d’établissements durables dans les Suds (Deboulet, 2016), plusieurs politiques ont été mises sur l’agenda par les institutions internationales et nationales pour faciliter l’accès à l’eau aux populations de ces quartiers. Le cinquième Forum urbain mondial, organisé par le Programme des Nations unies pour les établissements humains en avril 2010 à Rio, a contribué à la reconnaissance d’un droit à la ville, le droit à l’eau ayant été reconnu comme droit fondamental par l’ONU la même année. Des projets en lien avec ces enjeux ont alors été financés par les bailleurs, notamment au Burkina Faso.
Dans le cadre du Programme participatif d’amélioration des bidonvilles (PPAB[6]), adopté par ONU-Habitat en 2000, des projets urbains ont été financés pour « améliorer la vie d’au moins 100 millions d’habitants de bidonvilles d’ici à 2020 » (Guigma, 2017, p. 9). C’est ainsi que les quartiers de Bissighin et Watinoma Noghin à Ouagadougou ont été choisis en 2011 pour la mise en œuvre de ce programme, en ciblant plus particulièrement l’accès à l’eau potable et à l’habitat.
Un autre projet a été financé par l’Agence française de développement (AFD), à savoir le Projet d’aménagement et de désenclavement des quartiers périurbains de Ouagadougou (PAQP, 2007-2011). L’objectif était d’améliorer l’habitat et l’accès aux services de base, équipements et espaces publics dans les quartiers précaires (AFD, 2014). Un volet visait à assurer l’accès à l’eau potable aux populations des quartiers périurbains de Ouagadougou à travers l’installation de mini-réseaux d’eau décentralisés, avec bornes-fontaines et branchements privés pour les ménages en capacité de les financer. Ainsi, en 2009, les non lotis de Nioko II et de Tabtenga ont bénéficié de ce dispositif. Ces réseaux sont gérés par de petits opérateurs privés, sous contrôle de l’ONEA. C’est ainsi que la société SOZHAKOF[7] intervient à Nioko II et BERA[8], un bureau d’études, à Tabtenga. Ce modèle de gestion déléguée à de petits opérateurs privés a cependant montré ses limites (Baron et al., 2016). Les délégataires sont confrontés à de nombreux problèmes, à la fois techniques (difficultés à faire face à l’accroissement de la demande, à étendre le réseau), commerciaux (recouvrement des factures dans les temps), etc. Néanmoins, ce dispositif constitue une première étape dans la reconnaissance d’initiatives qui questionnent l’universalisation du modèle du réseau centralisé (Jaglin, 2012 ; Hardy & Poupeau, 2014). 
Dans les quartiers qui n’ont pas bénéficié de ces projets portés par l’État et les bailleurs[9], comme Goundrin et Boassa, des innovations d’en bas ont émergé, de façon endogène. Elles s’inscrivent dans des trajectoires de développement urbain, en réponse aux inégalités d’accès aux services publics d’eau à l’échelle de la ville de Ouagadougou.

 

Conditions d’émergence d’innovations d’en bas : le rôle des « experts contextuels »


Il ressort des données de terrain que les innovations d’en bas dans le domaine de l’eau sont encastrées dans des contextes et territoires spécifiques et sont initiées par des acteurs, « experts-contextuels » insérés dans des logiques collectives ou intervenant à titre individuel.
Dans le cas de Goundrin, il s’agit d’une initiative individuelle portée par un opérateur d’eau informel (Y.O.). Agent de bureau au ministère de l’Environnement, de l’Eau et de l’Assainissement, Y.O. habite dans le quartier de Goundrin depuis 2010. L’élément déclenchant son engagement pour chercher une solution au manque d’eau dans son quartier est lié à un événement particulier, la chute d’une femme enceinte alors qu’elle revenait de la corvée d’eau :
Ce qui m’a vraiment motivé à me battre pour que l’eau puisse arriver dans le non loti ici, ça a été vraiment un combat. J’étais assis devant ma porte un jour, c’était dans la soirée vers 18h, lorsque je suis revenu du service, je voulais partir à Loumbila chez Madame et au même moment, j’ai vu une dame enceinte qui poussait une barrique d’eau. C’était en saison pluvieuse où il y avait de la boue partout. La barrique s’est embourbée et elle est tombée. Elle est tombée avec la barrique d’eau, pourtant elle était enceinte. Moi qui ai suivi toute la scène, je suis allé l’aider à se relever, j’ai récupéré la barrique d’eau que j’ai poussée jusqu’à chez elle. Elle me disait qu’elle avait passé toute la journée à la borne-fontaine avant d’avoir l’eau, parce que l’eau venait et ça se coupait, ça venait et ça se coupait. Je vous dis que ce jour-là, j’ai coulé des larmes. Mes témoins sont toujours là. Depuis ce jour, j’ai décidé de me battre avec mes moyens du bord pour amener l’eau dans mon quartier. (Y.O., opérateur informel d’eau à Goundrin, entretien réalisé en janvier 2023)
Motivé par une logique d’entraide et de solidarité, Y.O. décide d’entreprendre des démarches pour résoudre les problèmes d’eau dans le quartier. Il souhaite tout d’abord légitimer son action en créant une association, l’Association Jeunesse et Développement (AJD) afin de publiciser son action à l’échelle du quartier. Il s’engage ensuite en politique pour défendre le droit à l’eau pour les populations de Goundrin sur le plan institutionnel, puis plus largement pour les quartiers non lotis. Son engagement est donc politique et financier puisqu’il contracte un prêt pour réaliser des points d’eau pour les ménages du quartier. Il construit une pompe à motricité humaine, puis des postes d’eau autonomes, avec des branchements particuliers (photos 1 et 2). Dans ce cas particulier, cet opérateur privé informel saisit des opportunités pour construire, à son initiative, des infrastructures d’eau pour le « bien commun », en répondant à des urgences situées. L’eau est certes payante, mais Y.O. ne privilégie pas une logique de rentabilité. Ainsi, l’innovation s’impose lorsque l’environnement lui est favorable (Akrich et al., 1988).

 

Photo 1 : Poste d’eau autonome à Goundrin (photographie des auteurs)





Photo 2 : Emplacement d’un robinet chez un particulier à Goundrin (photographie des auteurs)


Le cas de Boassa est quelque peu différent puisqu’une association, Yaam Solidarité[10], est présente dans le quartier depuis 2016. Elle intervient dans le soutien à l’autoconstruction avec la valorisation des matériaux locaux, dans une démarche participative. L’obtention d’un financement par la Fondation Abbé-Pierre et l’AFD pour le projet[11] « Habiter et mieux vivre dans les non lotis » (2020-2022) a renforcé sa visibilité comme expert contextuel au niveau local. Pourtant, au début du projet, les populations ne souhaitaient pas bénéficier de ces actions car elles étaient en attente d’un futur lotissement. Face à cette situation, l’association a décidé de mener une enquête d’identification des besoins des habitants qui ont mentionné les problèmes d’eau comme prioritaires. Yaam Solidarité a alors décidé de répondre à ces besoins en finançant, grâce au projet, un poste d’eau autonome à Boassa.
En résumé, Boassa et Goundrin partagent des préoccupations communes en tant que quartiers non branchés sur le réseau conventionnel, alors que les besoins en eau vont croissant. Mais dans un cas, c’est une démarche individuelle liée à un événement précis qui est à l’origine de l’innovation ; alors que dans l’autre, il s’agit d’un processus d’identification des besoins des populations à l’initiative d’une association. Qu’il s’agisse d’un acteur individuel (Y.O.) ou d’une association (Yaam Solidarité), l’utilisation du terme « expert contextuel » se justifie par leur ancrage territorial et les compétences acquises, au cours de leur engagement, en matière de droit à l’eau.
Par ailleurs, dans les deux cas, des décisions politiques ont favorisé l’adoption de ces innovations d’en bas. Alors que le projet de délégation du service d’eau à de petits opérateurs privés dans les non lotis devait passer à l’échelle, c’est-à-dire être étendu à l’ensemble des non lotis de Ouagadougou, le projet s’arrête en 2019 faute de financement. Par ailleurs, l’arrêt des lotissements en 2011 (Sory, 2019) impacte l’implantation de réseaux d’eau dans ces quartiers. Finalement, les quartiers précaires n’ayant pas bénéficié de la délégation des services publics d’eau restent dans cet entre-deux, bénéficiant à la fois d’actions ponctuelles dans le cadre de politiques publiques internationalisées (Lavigne Delville & Schlimmer, 2020) et d’innovations d’en bas, souvent de nature informelle, essayant chacune de mettre en place une communication particulière avec des messages porteurs de sens (O’Callaghan, 2020).

 

La fabrique des innovations d’en bas dans les services d’eau : quelles logiques d’action collective ? 


Sur le plan organisationnel, la mise en œuvre d’une innovation s’inscrit dans une dynamique collective, même si l’impulsion originelle est individuelle. Elle suit un processus non linéaire, parsemé de chocs et d’événements imprévus (Greenhalgh et al., 2004).
À Goundrin, Y.O., dans ses démarches pour l’implantation d’infrastructures d’eau, a d’abord créé une association, l’Association Jeunesse et Développement (AJD) :
J’ai eu l’idée de créer une association dénommée Jeunesse et développement, donc, dans le statut et règlement intérieur, on a mis l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, on a eu même à nettoyer des districts, des lycées, la trame d’accueil, la mairie. En son temps, on a nettoyé pas mal de structures dont j’étais le président parce que c’était pour commencer. Moi seul, je ne peux pas faire créer une association qui va permettre aux gens du quartier de se réunir pour lutter pour la cause de l’eau, donc raison pour laquelle j’ai commencé par créer une association. À partir de l’association, j’ai eu des aides. Première aide, on a eu des vivres, c’était avec le Larlé Naaba[12] qu’on a eu des vivres, des sacs de riz, des sacs de maïs aussi. Après ça, les gens ont commencé à me faire confiance pour m’accompagner dans mes démarches. J’ai demandé l’appui de la mairie, mais le maire a refusé en me demandant si j’ai de l’espace pour implanter une borne-fontaine. J’étais prêt à céder une partie de ma cour d’habitation, mais les négociations n’ont pas abouti. L’association est née rien que pour étancher la soif des populations. J’ai été aussi membre du groupe d’autodéfense pour la sécurité du quartier, en son temps l’insécurité était grandissante ici, avant de me lancer en politique pour être conseiller. (Y.O., opérateur informel à Goundrin, entretien réalisé en janvier 2023)
L’objectif de l’association est de défendre le droit d’accès à l’eau et à l’assainissement des habitants de Goundrin. Les actions menées ont permis à cet « expert contextuel » de s’afficher publiquement à travers des actions citoyennes et de mettre en place un réseau d’alliés (Akrich et al., 1988). Dans une telle situation, les innovateurs-experts contextuels tissent des relations avec d’autres acteurs afin d’obtenir et de maintenir un climat de coopération, en se basant sur les ressources matérielles et humaines disponibles.
Une autre stratégie retenue par Y.O. est de se lancer dans la politique ; il réussit à convaincre le ministre de l’Eau et de l’Assainissement des problèmes d’eau à Goundrin. À la fin de la transition politique de 2015[13], Y.O. saisit l’opportunité pour participer à la campagne politique en défendant l’accès à l’eau pour les non lotis de Ouagadougou. C’est ainsi que Y.O., opérateur privé informel, réussit à se positionner comme conseiller municipal de Goundrin. Après les élections, Y.O. contracte un premier prêt (trois ans), en tant que fonctionnaire, pour construire une pompe à motricité humaine (PMH) devant son domicile et permettre à la population de s’approvisionner gratuitement. Puis il obtient un second prêt de cinq ans pour transformer la PMH en un poste d’eau autonome (PEA), afin de pouvoir réaliser des branchements particuliers chez les ménages.
Au départ, les démarches auprès du maire de l’arrondissement 10 pour valider l’implantation de ces infrastructures sont un échec. En effet, pour les autorités municipales, les quartiers périurbains seront prochainement lotis ; il n’est donc pas nécessaire d’y implanter des points d’eau « informels ». Mais le ministre ordonne au directeur général de l’ONEA d’envoyer une équipe au domicile de Y.O. pour faire des essais de pompage. À l’issue des essais, Y.O. réalise son projet, sans financement extérieur, et propose des branchements domiciliaires à partir du PEA. Ainsi, dans ce cas, l’implication dans la politique apparaît comme une condition nécessaire et comme un canal que l’expert contextuel utilise pour convaincre les autorités publiques compétentes. Par ce canal, Y.O. contourne les contraintes institutionnelles (niveau mairie) pour aboutir à la concrétisation de son projet. L’innovation constitue ici un enjeu politique et stratégique (Baregheh et al., 2009).
À Boassa, les démarches entreprises par l’association Yaam Solidarité pour l’implantation d’un poste d’eau autonome sont tout autres. L’association a élaboré un projet pour obtenir un financement de bailleurs (Fondation Abbé-Pierre et AFD), et a identifié l’eau comme un enjeu majeur après une enquête pour évaluer les besoins des populations. La Fondation Abbé-Pierre a effectué une mission à Ouagadougou pour faire le diagnostic et identifier les potentiels bénéficiaires avant de financer la réalisation d’un forage équipé d’une PMH. Au regard de la demande croissante en eau potable, Yaam Solidarité décide ensuite de remplacer la PMH par un PEA pour augmenter la capacité de production d’eau. La gestion des infrastructures est assurée par un comité local de gestion. Un système d’épargne par tontine est mis en place pour l’entretien et la maintenance du poste d’eau autonome afin de ne pas recourir aux partenaires techniques et financiers en cas de panne.
Dans les deux quartiers, la mise en œuvre des innovations d’en bas a nécessité le recours à d’autres personnes, des facilitateurs, pour la concrétisation des projets. Même si Y.O. utilise des moyens personnels pour réaliser son projet, il s’appuie sur des acteurs politiques, à l’échelle nationale. Yaam Solidarité a pour sa part recours à un réseau externe pour financer son poste d’eau. Par conséquent, la mise en œuvre de l’innovation suit un processus incertain et complexe, comprenant des activités interdépendantes. Ce processus nécessite généralement l’implication de plusieurs personnes, aux intérêts et stratégies différents (Boer & Pendant, 2001).
Au regard des démarches entreprises, que ce soit à Goundrin ou à Boassa, les mobilisations d’en basconstituent une base nécessaire pour la mise en œuvre de l’innovation. En réalité, l’expert contextuel est le chef opérateur de l’innovation, étant le seul à déterminer le standard technique, à choisir le modèle économique, à trouver le financement et à commercialiser en fixant le prix (Noailles, 2011). Goundrin et Boassa apparaissent comme des territoires d’expérimentation à partir desquels les innovateurs, devenus experts contextuels, impulsent des initiatives locales. Ces innovations d’en bas « peuvent concurrencer les délégataires des services publics conventionnels et avoir le potentiel de se diffuser » (Mvulirwenande & Wehn, 2020, p. 4).

 

De la diffusion à la mise à échelle : entre pérennité et disparition


Ces innovations d’en bas sont-elles amenées à se pérenniser avec leur reconnaissance par des politiques publiques de l’eau ciblant les quartiers précaires et fondées sur des principes de justice, ou sont-elles vouées à disparaître ? La diffusion de ces innovations d’en bas favorise-t-elle l’élaboration d’un modèle alternatif au réseau centralisé ?
Nos enquêtes témoignent de la diffusion des idées de Y.O. au-delà du quartier de Goundrin.
Je suis J.S., le gestionnaire du forage Faso Nooma, le promoteur se nomme D.O. Au début, notre entreprise ne produisait que de l’eau minérale en sachet de 25 francs CFA. Il y a trois ans de cela, nous avons appris, mon patron et moi, qu’il serait possible à partir de notre forage, de faire des branchements dans les habitations. De renseignement en renseignement, nous avons pu rencontrer l’ex-conseiller du quartier sur comment réaliser des branchements particuliers dans les domiciles. Nous nous sommes inspirés de l’expérience de Y.O et, pour pouvoir faire les branchements, nous avons déposé un dossier à la mairie de l’arrondissement 10 pour avoir l’autorisation. Ensuite, nous sommes allés au ministère de l’Environnement pour que les agents de l’État viennent inspecter le lieu et faire une étude d’impact environnemental. C’est comme cela que nous sommes parvenus aux branchements dans les habitations et aujourd’hui nous sommes à 420 abonnés. Il y a d’autres commerçants qui sont dans les non lotis de Saaba, qui sont venus s’inspirer aussi de notre expérience. Ce n’est pas seulement Saaba, il y a Nioko II et même d’autres dans la commune de Tougouri. Au début, nous avons commencé avec 40 000 francs CFA comme frais de branchement, maintenant avec la cherté du matériel, nous sommes à 75 000 francs CFA. (J.S., habitant de Goundrin, gestionnaire du forage Faso Nooma, entretien réalisé en février 2023)
Ce modèle d’intéressement (Akrich et al., 1988) montre clairement que l’innovation circule au-delà de Goundrin. Le partage de connaissances et d’expériences favorise l’apparition d’autres filières de production d’eau afin de répondre à une demande croissante. Au cours de la collecte de données, nous avons dénombré six opérateurs privés informels, tous des agents commerciaux (deux ayant des postes d’eau autonomes et quatre faisant des branchements domiciliaires). Ces initiatives locales se répandent à grande échelle, et elles reposent sur une logique commerciale (Mvulirwenande & Wehn, 2020) du fait de la rentabilité de la vente d’eau. Dans cette dynamique de foisonnement de services d’eau non conventionnels suivant une logique entrepreneuriale, la dimension solidaire qui permettait de répondre aux besoins des populations à des tarifs abordables passe au second plan.
Ce processus informel de diffusion a conduit à la mise en place de structures associatives pour appuyer les experts contextuels. L’association pour la promotion d’eau potable, dont Y.O n’est pas membre, a son siège à Saaba, et a organisé une cellule de veille qui cadre et oriente les activités des experts contextuels, afin de résoudre les difficultés rencontrées. Dans le cas de Goundrin, la diffusion de l’innovation à l’échelle du quartier a engendré la création d’un système de coopération locale pour gérer collectivement les problèmes et promouvoir une gouvernance locale de l’eau.
Mais la diffusion de l’innovation a aussi généré des effets inattendus, notamment dans les périmètres d’intervention des délégataires d’eau formels (sous contrat avec l’ONEA) où des opérateurs informels effectuent des branchements particuliers clandestins. Parmi les ménages interviewés, certains justifient leurs deux abonnements, celui conventionnel et celui informel, pour se prémunir des coupures d’eau de l’ONEA. Les systèmes de production et de distribution d’eau implantés par les privés informels sont des systèmes hybrides. Il y a donc moins de coupures d’eau, mais cela contribue à l’appauvrissement de la nappe phréatique. D’autres ménages utilisent l’eau distribuée par les opérateurs privés informels pour des usages domestiques autres que la boisson. Par ailleurs, ces acteurs de l’informel contribuent à améliorer l’accès à l’eau des populations non branchées, abandonnées à leur propre sort, les bornes-fontaines publiques étant insuffisantes. Les autorités publiques ne connaissent pas le nombre précis d’opérateurs privés non conventionnels présents à Goundrin, alors qu’ils desservent la majorité des ménages.
À Boassa, les innovations d’en bas s’inscrivent dans des logiques d’échange et de partage d’expériences au sein de réseaux qui dépassent l’échelle du Burkina Faso. Ainsi, le système de réseautage initié par Yaam Solidarité s’appuie sur des collaborations multi-pays, notamment avec le Sénégal, la Guinée-Bissau et le Mali. Par exemple :
Pour pérenniser la gestion, nous avons mis en place un comité de gestion composé des membres de la Fédération des Habitants du Burkina Faso, à l’image de la Fédération des Habitants du Sénégal, vu que nous travaillons ensemble sur les mêmes projets dans les quartiers non lotis. La fédération est composée de 134 groupements féminins, avec 30 personnes par groupement. Au fait, la fédération est une organisation habitante et nous sommes appuyés techniquement par UrbaSen du Sénégal et le Groupe de recherche et de réalisation pour le développement rural de Canchungo en Guinée-Bissau, qui sont très en avance sur les questions de structuration des groupements. Avec le partage d’expériences, nous arrivons à mieux organiser la fédération pour gérer le point d’eau et les activités de réhabilitation des habitats, suivant une logique participative. (O.S. responsable financière à Yaam Solidarité, entretien réalisé en janvier 2023)
Ces interventions suivent la logique des « modèles voyageurs » (Olivier de Sardan & Vari-Lavoisier, 2022), prônée par certains acteurs de l’aide internationale, pour combler les défaillances de l’État et des opérateurs conventionnels.
Il apparaît donc que l’État accompagne implicitement ces innovations d’en bas, en les autorisant, sans pour autant les reconnaître sur le plan institutionnel car elles sont en décalage avec des politiques publiques qui considèrent les non lotis comme des territoires sans existence légale. Quant aux opérateurs privés informels, l’État semble ne pas chercher à réguler leurs pratiques pour le moment, ce qui peut conduire à des logiques de recherche de profit, à l’encontre d’une plus grande justice sociale et territoriale.
La question de savoir dans quelle mesure la reconnaissance et l’institutionnalisation de certaines pratiques, fondées sur des logiques de solidarité, permettraient-elles d’assurer un accès équitable aux services d’eau, en encadrant et limitant les logiques de rentabilité et de profit qui semblent caractériser les innovations d’en bas, en décalage avec les initiatives de départ reste entière.

 

Conclusion


À travers cette contribution, il ressort que, dans le domaine des services d’eau, les innovations d’en bas, telles que nous les avons définies à partir de la revue de la littérature et des études de cas de Goundrin et de Boassa, foisonnent dans les quartiers précaires non lotis de Ouagadougou. Si à Goundrin, Y.O. est le personnage clé qui, grâce à la débrouillardise et le bricolage quotidien, est le porteur social d’innovations d’en bas made in Goundrin, à Boassa, l’association Yaam Solidarité a œuvré à la mise en place d’une innovation d’en bas, basée sur une dynamique locale de gestion participative dans le cadre d’un projet qu’elle a initié. Chaque innovation est animée d’une logique spécifique de savoir-faire endogène, qui facilite son acceptation et sa mise en œuvre à l’échelle locale. La diffusion de ces initiatives emprunte des formes différentes pour s’imposer dans d’autres territoires, avec tous les risques encourus, comme le passage d’une logique solidaire à une logique de rentabilité, ou encore de principes de coopération à la concurrence. Ceci peut conduire, dans certains cas, à des situations conflictuelles entre acteurs formels et informels, ou entre des acteurs informels mus par des logiques opposées. Par ailleurs, la pérennité de telles activités est largement influencée par les décisions des pouvoirs publics. Cela nous amène à nous interroger, sur des modalités de coordination innovantes entre différents acteurs (formels et informels ; public, privés et associatifs), afin de considérer les services d’eau, et les ressources en eau dont ils dépendent, comme des communs. Comment penser la coproduction[14] de services urbains d’eau, pensés comme communs, dans ces contextes urbains riches en innovations d’en bas ?

 



Notes

[1] Au Burkina Faso, les acteurs institutionnels et citadins parlent de « non loti » pour qualifier les quartiers dont les habitants ne disposent pas de titre foncier officiel, ce qui engendre le manque d’accès aux services publics.

[2] Depuis le nouveau découpage de 2012, Ouagadougou comprend 12 arrondissements, 55 secteurs et 7 communes rurales (INSD, 2022).

[3] Chaque arrondissement de Ouagadougou est subdivisé en secteurs. Boassa correspond au secteur 32 de l’arrondissement 7. Goundrin se situe dans le secteur 43 de l’arrondissement 10, à cheval entre les quartiers précaires non lotis de Nioko II (secteur 41) et Tabtenga (secteur 45).

[4] Le Burkina Faso n’a pas choisi un partenariat public-privé et le service d’eau potable est géré par un opérateur public, l’ONEA. Mais dans certains non lotis, un contrat de délégation a été signé entre l’ONEA et des délégataires retenus suite à un appel d’offres (Hydroconseil, 2011).

[5] YAAM veut dire dans la langue mõaga, la transmission du savoir. Autrement dit, «Yaam Solidarité » renvoie à la transmission du savoir dans la solidarité en mooré. En anglais, le sigle signifie «Young African Architecture for Metropolitan » (YAAM). En français, ce qui renvoie à «Jeunesse Africaine pour une Architecture Contemporaine ».

 

[6] Le PPAB concerne 55 villes d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique réparties dans 34 pays.

[7] Société Zoungrana Hamado Koudougou et Frères

[8] Bureau d'études et de recherches appliquées

[9] Même s’ils ont bénéficié de la construction de quelques bornes-fontaines par l’ONEA.

[10] Yaam Solidarité a été créée suite aux inondations de 2009 au Burkina Faso. Elle intervient dans plusieurs villes du pays, notamment à Dori et à Fada, et dans les non lotis de Ouagadougou pour améliorer le cadre de vie et l’habitat des populations. Elle compte 11 personnes.

[11] Ce projet sur la production sociale de l’habitat comporte un volet « multi-pays » (Tiemtoré et al., 2023) d’où des collaborations avec le Groupe de recherche pour la réalisation du développement rural en Guinée-Bissau et l’ONG UrbaSen au Sénégal.

[12] Autorité coutumière chez les Mossé.

[13] La transition politique de 2015 a suivi le départ de l’ex-président Blaise Compaoré.

[14] Cette réflexion est en cours dans le cadre d’une thèse sur la coproduction des services urbains d’eau dans les quartiers précaires de Ouagadougou.

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