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Analyses critiques

« Un travail de termites » : la dimension panafricaine des gestes patrimoniaux de Joseph Murumbi (1911-1990)

Marian Nur Goni

Historienne de l’art, maîtresse de conférences

Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis, laboratoire Arts des images et art contemporain (AIAC)

marian.nur-goni@univ-paris8.fr

numéro :

Panafricanisme, recherche africaine et enjeux globaux

Pan-africanism, African Research, and Global Challenges

Upana-Afrika, Utafiti wa Kiafrika na Changamoto za Kimataifa

البان أفريقيا والبحوث الأفريقية والقضايا العالمية

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Publié le :

20 septembre 2023

ISSN : 

3020-0458

03.2023

À travers l’évocation de la trajectoire de Joseph Murumbi (1911-1990), militant anticolonialiste et anti-impérialiste, homme politique et collectionneur kényan, cet article vise à mettre en relief la dimension panafricaine de ses choix patrimoniaux durant la période cruciale des décolonisations (1950-1970). Ce faisant, il en souligne la portée épistémique et politique, ainsi que l’actualité dans le contexte des débats sur la restitution et la réappropriation du patrimoine africain, ou encore sur la production des savoirs en ou sur l’Afrique.


Mots-clés

Kenya, décolonisations, histoire transnationale, collections, production des savoirs


Plan de l'article

Introduction


Affinités méthodologiques


Qui est Joseph Murumbi ?


« Africa’s greatest collector » ?


Les futurs de la collection


Conclusion


Introduction

Cet article défend l’idée que réfléchir sur un agenda de la recherche africaine à la hauteur des défis du futur nécessite de croiser différentes temporalités et d’engager un dialogue critique avec des expériences fécondes qui nous viennent du passé. La riche histoire politique, intellectuelle et culturelle du panafricanisme, son « histoire vagabonde » (Boukari-Yabara, 2014, p. 5) avec ses « greffes et lignages » (Fila-Bakabadio, 2022), s’y prête et nous engage. L’histoire fragmentaire que retrace cet article est celle de Joseph Murumbi (1911-1990), militant pour l’indépendance et homme politique kényan qui a traversé le xxe siècle à cheval sur plusieurs mondes – l’Afrique, l’Asie, l’Europe –, et sur plusieurs réseaux internationalistes politiques, intellectuels et culturels. Secrétaire de la première organisation politique nationale, la Kenya African Union (KAU), en 1952 (au moment où Jomo Kenyatta est emprisonné par le pouvoir colonial suite à l’insurrection Mau Mau et à la mise en place de l’état d’urgence), militant anti-impérialiste aux contacts panafricains à Londres durant les années 1950, Murumbi fut aussi brièvement homme d’État (premier ministre des Affaires étrangères, puis vice-président du Kenya indépendant) entre 1963 et 1966, date à laquelle il démissionne et quitte définitivement la scène politique. À travers l’évocation de la trajectoire de Joseph Murumbi, cet article vise à mettre en relief la dimension panafricaine de ses gestes et choix patrimoniaux en cette période cruciale de décolonisation des années 1950 et 1970, afin d’en souligner la portée épistémique et, par là, politique. Ses gestes soulèvent en effet des questions foncièrement politiques qui demeurent d’actualité. Elles sont relatives à la production des savoirs (et notamment à l’écriture de l’histoire de l’Afrique : qui l’écrit, pour qui, et à partir de quelles sources et archives ?) et à la décolonisation des études africaines encore massivement produites hors du continent, ou encore à la réappropriation du patrimoine africain que le rapport Sarr-Savoy (2018) sur la restitution du patrimoine africain a puissamment remis sur le devant de la scène internationale. Depuis la publication de ce rapport, l’historienne de l’art Bénédicte Savoy a exhumé les prémices d’un débat africain sur les restitutions engagé depuis les années 1960 (et particulièrement entre les années 1970 et 1980) mettant en lumière un dense réseau d’acteurs européens et africains à l’échelle transnationale (Savoy, 2023). La recherche sur l’historicité de ce débat ne cesse de s’épaissir, et cet article entend y contribuer à sa manière. Enfin, l’actualité des choix de Murumbi peut se lire également à la lumière du regain d’intérêt, dans le champ de la recherche mais aussi des arts contemporains, pour les archives du panafricanisme dans son versant culturel (Malaquais et al., 2015 ; Malaquais & Vincent, 2019 ; Chimurenga, 2019 ; Pugh, 2022).

Affinités méthodologiques

Dans le cadre du projet Panafest Archive qui visait à documenter et à penser ensemble quatre grands festivals panafricains des années 1960 et 1970 en interrogeant leurs relations et discontinuités respectives, les chercheur.e.s Dominique Malaquais et Cédric Vincent se sont notamment intéressé.e.s aux acteurs laissés dans l’ombre (« conseillers, consultants, mécènes, diplomates, "petites mains" […] ») de ces événements majeurs (Malaquais et al., 2015, p. 216). Suivant cette proposition méthodologique, on retrouve dans la figure méconnue de Joseph Murumbi – dont l’héritage oscille aujourd’hui dans son pays entre ombre et lumière – une formidable porte d’entrée pour saisir le travail en coulisse des luttes internationalistes pour l’indépendance, y compris sur le plan culturel et patrimonial. En déchiffrant ses importantes archives, mais aussi à la lecture des entretiens qu’il a donnés à la fin des années 1970 en vue d’une biographie jamais publiée de son vivant, émerge un dense réseau d’acteurs et de voix qui échangent points de vue, notes confidentielles, extraits de presse, bribes d’intimité et d’amitiés qui, considérés ensemble, donnent à penser, à imaginer, voire à ressentir (voir infra), le travail d’émancipation en train de se faire.
Afin de saisir, dans toute sa complexité, le travail de solidarités actives entre l’Afrique et l’Asie dans les années 1950 et 1960, les auteur.e.s du manifeste « Networks of Decolonization in Asia and Africa » (2018) défendent également la nécessité de dépasser la seule échelle de la diplomatie interétatique des grands rassemblements des élites politiques, pour retracer des trajectoires et des expériences vécues d’individus (artistes, activistes, syndicalistes, etc.), y compris de celles et ceux qui, loin des capitales, opèrent dans de petites villes enclavées. Cette approche, qui requiert de mener un travail à partir d’autres archives que celles institutionnelles, rejoint ainsi celle de Malaquais et Vincent qui, avec leur équipe de recherche, ont produit de nouvelles archives des festivals panafricains étudiés. De façon similaire, les historien.ne.s britanniques du projet « Another World? East Africa and the Global 1960s » s’appuient sur les histoires de vie d’individus « dont l’œuvre et la pensée ont constitué les liens transfrontaliers qui nous intéressent » (Milford et al., 2021, p. 402), afin d’étudier les multiples branchements, mais aussi les disjonctions, à l’œuvre dans la période des décolonisations des années 1940 aux années 1970 dans cette région du monde. En suivant ces approches méthodologiques, cet article permet de saisir, dans un même mouvement, l’effort conjoint du travail politique et culturel de Joseph Murumbi dans ce moment historique de décolonisations et de luttes internationalistes pour l’indépendance.
Lorsque l’on se penche sur la topographie des archives des panafricanismes – archives dispersées, fragmentées, multicentrées à l’image des multiples centres intellectuels et politiques que leur histoire a reliés et produits –, Nairobi ne vient pas d’emblée à l’esprit. On retrouve pourtant dans les milliers de documents rassemblés par Joseph Murumbi à partir de son activité militante dans les années 1950, un formidable gisement pour saisir la ramification d’un important réseau d’acteurs engagés sur quatre continents, y compris dans le versant panafricain. Une foule de personnages, pour certains ayant marqué l’histoire du Kenya, des Afriques ou des mondes noirs, émerge ainsi de ces documents personnels : correspondances, livrets, programmes, cartes de visite, discours, bulletins de liaison, cartons d’invitation. Ces documents pointent parfois des dates et des événements iconiques, telle la All African People’s Conference (AAPC), dont la première session s’est tenue à Accra du 8 au 13 décembre 1958. À noter que Murumbi avait côtoyé durant ses années londoniennes le secrétaire général de cette première conférence, George Padmore (1903-1959), alors chargé d’affaires africaines auprès du Premier ministre Kwame Nkrumah. Dans son allocution Le Panafricanisme de 1919 à 1958, W.E.B. Du Bois inscrit cet événement dans la lignée des cinq conférences panafricaines précédentes (1900, 1919, 1920, 1923, 1945). Parmi les documents de ce dossier, figure également la banderole « Free Jomo Kenyatta » qui fut déroulée le 10 décembre 1958 par des membres de la délégation kényane (dont Joseph Murumbi faisait partie) lors de l’AAPC, et que j’ai pu moi-même dérouler silencieusement, soixante ans plus tard, sur la table de consultation des Archives nationales. Tenter d’écrire cette histoire multipolaire et multiscalaire de l’émancipation transnationale noire, ici dans son versant culturel et à partir de la collection de Joseph Murumbi, nécessite de tenir compte de l’émotion suscitée par la manipulation de ces documents historiques résonnant avec les immenses espérances que ces événements ont soulevées pour l’histoire à venir du continent et de ses diasporas ; espérances qui s’entrechoquent aujourd’hui avec les mémoires et les histoires de la période de crises post-indépendance. À ce titre, tout comme Arlette Farge (1989), ou comme Mathias Danbolt (2011) qui plaide pour une prise en compte de la performativité du travail historique et archivistique dans l’écriture de l’histoire, cet article veut entrelacer ces multiples temporalités, chargées d’émotions, et les restituer dans le travail d’écriture.

Qui est Joseph Murumbi ?

Joseph Murumbi naît à Eldama Ravine (Kenya) en 1911 d’un père issu d’une famille de Goa – ancien comptoir portugais en Inde – arrivé en Afrique de l’Est en 1897, et d’une mère maasaï, dont le père avait été un farouche opposant à la présence britannique (Thurston, 1979a, p. 18). En 1917, Joseph Murumbi est envoyé par son père en Inde pour suivre sa scolarité dans des écoles tenues par des jésuites à Bangalore, puis à Bellary, dans le sud de l’Inde. C’est durant ces années en Inde qu’il fait l’expérience de la « race », puis des castes, qu’il réprouve catégoriquement : « Ce fut, dit-il, le début de ma conscience politique. » (Thurston, 1979a, p. 21). À son retour au Kenya en 1931, afin d’acquérir un lopin de terre en pays maasaï, il décide de prendre le nom de sa mère (Murumbi, alors qu’il se nommait Zuzarte de par son père), tout en sachant que ce choix lui vaudra la perte des droits dont bénéficiaient les Indiens par rapport aux Africains dans la hiérarchie politique et sociale du Kenya colonial, ségrégué politiquement et spatialement et soumis à la politique de la colour bar (« ligne de couleur »). Après avoir passé plus de dix ans en Somalie (1941-1952), principalement durant la période d'administration millitaire britannique (1941-1949), il revient à Nairobi, à un moment où il sent le vent tourner : « Les gens étaient plus conscients du besoin d’indépendance […] Ils voulaient une assemblée législative entre leurs mains, au moins la majorité, […] l’élimination de la ségrégation sur base raciale, plus de moyens dépensés dans l’éducation, l’agriculture, plus de terres […]. » [tda] (Thurston et al., 2015, pp. 27-28).
Engagé un peu « par accident » dans la lutte pour l’indépendance du Kenya, Joseph Murumbi est nommé secrétaire par intérim de la KAU en octobre 1952, alors que tout le directoire de l’organisation est emprisonné par le pouvoir britannique (Thurston, 1979b, p. 26). Il deviendra l’un des maillons essentiels de l’équipe de défense de Jomo Kenyatta dans le procès politique que lui intentent les autorités coloniales, qui accusent ce dernier d’être la tête pensante de l’insurrection Mau Mau. D’après Murumbi, c’est Kenyatta lui-même qui lui suggère de partir à l’étranger afin d’alerter l’opinion publique sur la « sale guerre » que le gouvernement britannique mène au Kenya.
En 1953, Murumbi entame ainsi un périple qui l’amène d’abord en Inde où il rencontre à plusieurs reprises Jawaharlal Nehru qui soutient économiquement la cause nationaliste : son gouvernement a déjà financé la participation de l’avocat Diwan Chaman Lall, parlementaire et pionnier du mouvement syndical en Inde, dans l’équipe de défense transraciale/impériale de Kenyatta. Surveillé par les autorités britanniques, Murumbi reste en Inde quatre mois, avant de se rendre en Égypte, puis en Grande-Bretagne. Les archives de Murumbi montrent d’ailleurs qu’en Inde, il plaida également la cause de Goa, alors sous domination portugaise. Cette convergence des luttes contre les impérialismes britannique et portugais se retrouve également chez son ami et mentor politique : l’infatigable freedom fighter kényan Pio Gama Pinto (1927-1965), qui milita aussi pour la libération des colonies portugaises en Afrique, notamment le Mozambique. Pio Gama Pinto lui fait aussi parvenir les informations des violences politiques au Kenya, que Murumbi relaie dans ses nombreuses conférences à travers le pays afin de conscientiser le public britannique.
Toutefois, ce séjour en Angleterre, qui ne devait représenter qu’une étape de son tour international – le programme prévoyait une tournée en Afrique de l’Ouest et aux États-Unis –, se prolongea in fine en un exil de neuf ans, la KAU ayant été bannie en juin 1953 par les autorités coloniales. Arrivé en septembre 1953 à Londres, il en repartira seulement en 1962, alors que l’indépendance est négociée, après une lutte acharnée et meurtrière, dans le cadre des Lancaster Conferences. Durant ces conférences, en coulisse, Murumbi met au service de la cause nationaliste tout son talent organisationnel, ainsi que les réseaux développés pendant son exil en Angleterre où il travailla successivement pour le Movement for Colonial Freedom (MCF) en tant que secrétaire adjoint (1954-1957), puis à l’ambassade du Maroc à Londres. Le MCF est fondé en 1954 par le parlementaire travailliste Fenner Brockway à la suite du Congress of Peoples Against Imperialism (COPAI), créé en 1948. L’historien Hakim Adi (2012, p. 281) écrit que « Murumbi a probablement été le premier réfugié africain à diriger une grande organisation politique britannique. Le MCF comptait plus de mille membres individuels et trois millions de membres affiliés » [tad]. Des années au MCF, Joseph Murumbi dira plus tard :
Cela m’a donné beaucoup de latitude, non seulement pour aider mon propre pays, mais aussi pour me faire une idée plus générale de la lutte [anti]-coloniale dans le monde entier. Nous publiions de nombreuses brochures sur diverses questions coloniales et formions des comités locaux à Londres qui s’occupaient des problèmes du monde colonial. Dans ces comités, des députés, ainsi qu’un certain nombre d’étudiants basés à Londres, s’intéressaient particulièrement à une région. Nous nous réunissions régulièrement à la Chambre des Communes, dans les salles des commissions situées sous la Chambre : je me figure toujours que nous étions comme de petits termites creusant dans la structure de l’édifice colonial. Ces comités informaient les députés concernés qui, à leur tour, posaient des questions à la Chambre des Communes. Cette démarche devint une arme très efficace contre la mauvaise administration coloniale. [tda] (Thurston, 1979b, p 27-28).
Les chercheurs Ismay Milford et Gerard McCann, qui ont récemment souligné combien la « trajectoire de Murumbi confirme l’inséparabilité de l’internationalisme et du nationalisme dans l’Afrique des années 1950 », indiquent qu’il fut « l’un des principaux organisateurs de la deuxième AAPC à Tunis en janvier 1960 » [tad] (Milford & McCann, 2022, pp. 113, 126) et que George Padmore l’avait invité à venir travailler à Accra dans le Bureau of African Affairs. Quelques années plus tôt, dans son article « Behind Mau Mau » publié en 1953 dans la revue Phylon (fondée par W.E.B. Du Bois à Atlanta en 1940), George Padmore cite les actions menées par Murumbi auprès du Colonial Office dans le réquisitoire sans concession qu’il dresse contre le système colonial brutal en vigueur au Kenya basé sur la ségrégation raciale, l’expropriation des (meilleures) terres et l’exploitation de la force de travail noire au profit des colons. Il est légitime de supposer qu’une large part des informations sur lesquelles il bâtit son argument provient de Murumbi en tant que représentant de la KAU à Londres : chargé de bâtir des alliances et de rendre notoire la violence de la répression britannique face à l’insurrection Mau Mau, il dispose d’informations de première main qui lui parviennent par son réseau de militants anticoloniaux.

« Africa’s greatest collector » ?

C’est encore à Londres que Joseph Murumbi fait sa première acquisition d’un objet africain dans une petite boutique de Camden Town : une défense en ivoire sculptée, vraisemblablement du Congo, qu’un brocanteur lui vend pour environ deux livres, en lui disant : « Je préfère te la vendre à toi, car tu viens d’Afrique, et elle devrait revenir en Afrique. » [tda] (Thurston et al., 2015, p. 268). Back to Africa, retour (de l’objet) en Afrique : on est ici quelque part entre une forme de panafricanisme et une forme de restitution emmêlées…
À partir de ce premier achat entre la fin des années 1950 et le début des années 1960 et pendant environ vingt ans, Murumbi acquiert un nombre important d’œuvres d’art (notamment d’artistes est- et ouest-africains tels l’artiste ougandais Francis Nnaggenda, né en 1936, ou l’artiste nigérian Bruce Onobrakpeya, né en 1932) et d’objets dits ethnographiques issus du continent africain. En 1981, une mission de l’Unesco évalue, la collection à « 6 500 volumes africanistes [Africana] et un nombre important de documents, en plus de la collection d’art africain composée de 1 100 items, dont environ 400 objets ethnographiques kényans, environ 500 objets ethnographiques et sculptures d’autres parties de l’Afrique, y compris de nombreuses pièces d’Afrique occidentale et centrale ; environ 100 peintures d’art moderne, dessins, aquarelles, gravures et photographies, principalement du Kenya et d’autres parties de l’Afrique ; quelques pièces de sculpture moderne, principalement d’Afrique de l’Est ; le reste étant un assortiment d’objets du Moyen-Orient, de l’Inde et de l’Europe » (Trone, 1981, p. 1). Étrange paradoxe : alors que les articles parus dans la presse kényane au sujet de Joseph Murumbi le qualifient fréquemment du plus grand collectionneur d’Afrique (Ndungu, 2013), sa collection est pratiquement inconnue en dehors du Kenya. Alors qu’historiquement l’étude des arts africains a été principalement menée à partir de collections européennes ou nord-américaines, cette recherche s’inscrit dans le sillage d’autres travaux sur les collections d’art africain basées en Afrique (Spiesse, 2012 ; Bondaz, 2015, 2019). Comme l’écrit Sylvester Ogbechie (2012, pp. 11-12) dans son étude de la collection du banquier nigérian Femi Akinsanya à Lagos : « L’étude de l’art africain est conduite essentiellement en Occident, où les débats sur l’authenticité et la valeur de l’art africain se construisent autour d’un petit nombre d’objets qui circulent en boucle dans un système clos de musées, de marchands d’art, de collections privées et de salles de ventes. […] Les études portant sur l’art africain font donc l’impasse sur l’attachement des Africains à l’égard de leurs propres traditions artistiques et ne tiennent aucun compte de l’existence des collectionneurs africains d’art africain. » Toutefois, même si la coloration panafricaine des collections étudiées est souvent mise en avant par leurs détenteurs (de même que la dimension de sauvegarde culturelle, ce qui les rapproche des conceptions de Murumbi), elles se focalisent plus généralement sur l’espace nigérian ou ouest-africain. Aussi, dans les cas analysés par Bondaz (2015), la « dimension ethnique » demeure très présente, là où elle est totalement absente du projet de Murumbi qui, quant à son identité, affirmait : « Je n’appartiens à aucune ethnie [tribe], je suis et j’ai toujours été un Kényan. Mon travail en tant que politicien était de servir le Kenya et le peuple, j’espère que l’histoire me respectera parce que je suis un homme honnête. » [tad] (Patel, sans date). Ainsi, l’un des intérêts majeurs de l’étude de cette collection réside dans le fait que le projet patrimonial panafricain de Murumbi – dont l’envergure dépasse largement l’espace kényan – est arrimé à son projet politique et vice versa, de sorte qu’il y a un véritable continuum entre les deux sphères, patrimoniale et politique. Dans un texte tapuscrit inédit intitulé « African Art by Joseph Murumbi », en grande partie consacré au travail de l’artiste nigérian Ben Enwonwu (1917-1994), Murumbi écrit :
En tant qu’Africain, je crois que nous devons continuer à maintenir cette clarté d’expression, même si son apparente dimension fétichiste peut déconcerter les Européens et nos Africains "modernes". […] Nous aussi, en Afrique, devons nous rendre compte que nous pouvons apporter notre contribution à la richesse du développement artistique si nécessaire dans le monde d’aujourd’hui [phrase raturée et réécrite]. Nos arts doivent être l’expression de nous-mêmes, de notre caractère et de notre âme. […] Il se peut que je sois partial en ce qui concerne Ben Enwonwu. C’est un sculpteur, domaine dans lequel il excelle particulièrement, je trouve qu’il saisit l’esprit véritable de l’Afrique. Bien qu’il ait passé un certain temps à la Slade, il n’a pas perdu l’approche subtile, brutale et claire de l’expression africaine. […] On devrait lui accorder une place d’honneur et lui permettre de travailler et de répandre son influence parmi les jeunes artistes du Nigeria d’aujourd’hui. Il possède un héritage et une tradition qui pourraient être transmis à la génération suivante. […] Je viens d’Afrique de l’Est, du Kenya pour être plus précis, mais j’ai le sentiment que Ben appartient à l’est autant qu’il appartient à l’ouest de l’Afrique. Il appartient à toute l’Afrique et il est dommage de le voir gâcher ses efforts pour quelque chose ou quelqu’un qui n’apprécie pas sa valeur. Il serait dommage que, alors que Ben est apprécié en Europe, il ne le soit pas par ses gens. [tda].
Travailler sur le parcours de Joseph Murumbi requiert ainsi de penser ensemble et de relier ses orientations politique, artistique (ici teintée de primitivisme) et patrimoniale, qui ont toutes une envergure internationaliste/panafricaine. Que l’on écoute son introduction, intitulée « Strands of Pan Africanism [Courants du panafricanisme] », prononcée à la Conference on Africa (dont il était président) qui s’est tenue les 2 et 3 juillet 1960 au New College d’Oxford :
[…] Dans le cas du nationalisme africain qui a été autant stimulé récemment, nous devons nous rappeler que nous avons besoin de quelque chose de plus positif derrière ce nationalisme, c’est ce qui, je l’espère, ressortira de ces discussions. Parce que le nationalisme, pour moi, le nationalisme pur, n’est pas une fin en soi. […] Je crois qu’il n’est pas nécessaire pour nous, en Afrique, d’essayer de développer une idéologie ou d’emprunter une idéologie, ou de copier une idéologie issue de l’Europe. Il nous faut des Africains qui se réunissent et s’organisent ensemble autour de ce problème et qui essaient de créer une idéologie typiquement africaine, une idéologie qui a ses racines en Afrique. […] Nous pouvons trouver cette idéologie parce qu’elle fait partie de la vie ou est à la base de la vie de notre peuple. Certains d’entre nous qui sont éduqués, par exemple, semblent oublier nos propres expériences. […] Allons-nous perdre d’autres choses liées à notre mode de vie ou à notre propre culture, par exemple les arts africains, la musique africaine ? Aujourd’hui, ce sont certains Européens qui tentent de préserver l’art africain et on trouve des Européens qui sont allés en Afrique et qui ont essayé d’enregistrer autant de musique africaine que possible avant qu’elle ne soit perdue. Je pense que ce sont des choses que non seulement les gouvernements africains, mais aussi les organes panafricains en Afrique qui tentent d’éduquer leur population, devraient préserver. […] En particulier les pays qui sont indépendants aujourd’hui et qui ont le pouvoir de faire des études détaillées sur ces problèmes, par exemple nous avons très peu d’anthropologues africains. [tda].
S’il reste à éclaircir les circonstances de la rencontre (à Londres ?) entre Joseph Murumbi et Ben Enwonwu, la suite de son texte sur l’art africain indique que tous deux échangeaient souvent à propos de ces questions. On retrouve d’ailleurs dans l’article de Ben Enwonwu (1956), « Problems of the artist today », publié dans Présence africaine à la suite de sa participation au premier Congrès international des écrivains et artistes noirs, des questions similaires : non seulement quant à la recherche de nouvelles esthétiques pour les artistes africains dans un contexte politique et social de transformations majeures, mais aussi pour ce qui est de la question de la préservation des arts africains in situ (tâche que, on l’a vu, Murumbi assigne aux organes panafricains et aux nouveaux États indépendants). Pour sa part, Enwonwu (1956, p. 176) se prononce ainsi :
Tandis que l’Europe peut s’enorgueillir de posséder, dans les musées et chez les collectionneurs privés, quelques-unes des plus belles sculptures africaines, l’Afrique n’a droit qu’aux exemples les plus médiocres de l’art anglais en particulier et aux œuvres de second ordre des autres arts d’Europe. La préservation de l’art ancien dans certaines régions d’Afrique est menée bien sûr en particulier au Nigeria, mais il est étrange – j’aimerais vous faire part de ce point – que ceux qui détiennent l’autorité suprême de la préservation de ce qui reste de l’art africain, ainsi que de ce qui peut être acheté ou ramené au pays, ce ne sont pas les Africains dont les ancêtres ont créé les sculptures, mais les Européens dont les prédécesseurs ont été responsables de la disparition de nombreuses œuvres d’art africain de leur pays d’origine […]. [tda].
La suite de l’article souligne la question critique de la production de savoirs et de l’autorité de l’expertise autour des arts africains, autre point de convergence avec les réflexions de Murumbi qui reste convaincu que « le patrimoine africain est notre responsabilité » (1973, [tda]). Il est d’ailleurs remarquable que ses gestes en faveur de ce patrimoine vont de pair avec son soutien à la création africaine contemporaine : dans un autre entretien publié en 1977, mentionnant une œuvre de l’artiste kényan Elkana Ongesa dont il a fait l’acquisition, Murumbi affirme : « Si nous ne trouvons pas les moyens de soutenir nos propres artistes, l’art continuera à quitter l’Afrique. » [tda]. On le voit : Murumbi a une conception large du « patrimoine » – œuvres d’art contemporain, ouvrages, archives – et, à l’heure des décolonisations et du panafricanisme, il le reliait à des enjeux d’écriture de l’histoire et à la nécessité de le transmettre aux générations futures. Si ce triple fonds (collection d’art et d’objets, archives et bibliothèque) gagne à être pensé ensemble, il devrait également être mis en relation avec l’« intérêt pour l’éducation de base au Kenya et la capacité d’interpréter des pratiques pédagogiques à travers les cultures et les continents » [tda] que les chercheur.e.s Milford et McCann (2022, p. 128) ont récemment mis en évidence chez Murumbi.
Après l’indépendance du Kenya en 1963, Murumbi devient ministre des Affaires étrangères, un poste qui, dit-il, lui sera utile pour la constitution de sa collection (Thurston et al., 2015, p. 274). Puis, pendant quelques mois seulement, il est nommé vice-président par Jomo Kenyatta, devenu entre-temps premier président du Kenya indépendant (1964-1978), avant de se retirer définitivement de la vie politique à la fin de l’année 1966. C’est dans ces fonctions qu’il œuvre à la création des Archives nationales du Kenya (1966), considérant toutefois que cette mission aurait dû être accomplie dès l’indépendance : « Nous devons préserver la majeure partie de notre documentation, sinon elle quittera le pays. » [tda] (Thurston et al., 2015, p. 308). Il se réfère ici aux archives relatives à la période Mau Mau déplacées et détruites par les Britanniques avant l’indépendance (Elkins, 2015). S’il avance des motifs de santé pour quitter la scène politique, la réalité est toute autre : son ami Pio Gama Pinto a été assassiné quelques mois plus tôt (le 24 février 1965), premier assassinat politique de l’ère post-indépendance dont les véritables commanditaires n’ont jamais été inquiétés.

Les futurs de la collection

Une exposition de la collection Murumbi, « Art africain d’hier et d’aujourd’hui – Collection Murumbi », a été présentée à la Maison française de Nairobi du 1er au 15 novembre 1976, à l’occasion de la dix-neuvième Conférence générale de l’Unesco tenue pour la première fois en Afrique (du 26 octobre au 30 novembre 1976), revêtant par là une signification toute particulière. Dans le mot du directeur général de l’institution, Amadou Mahtar M’Bow (1974-1987), « l’événement marquait pour l’Afrique une étape importante dans la voie du partage plus équitable des responsabilités au sein de la communauté internationale » (M’Bow, 1976, p. 2). Dans la revue Présence africaine, Pathé Diagne (1977, p. 159) dépeint ainsi le contexte politique dans lequel se tient cette première conférence générale de l'Unesco en Afrique :
Il y a, sous la pression d’une crise mondiale, qui prend racine dans les succès du mouvement anti-impérialiste, émergence et affirmation de nouvelles forces internationales, nécessité pour un projet d’ordre ou de nouvel équilibre. Les événements qui ont mis en premières lignes le Vietnam et l’Asie, la Palestine et le Moyen-Orient, l’Angola, les mouvements de lutte d’Afrique australe et du Sud contre l’hégémonie coloniale et l’apartheid, ont bouleversé les rapports de force. […] Il se dessine une évolution à l’égard de laquelle l’institution internationale est appelée, selon les forces qui y prédominent, à se transformer, à s’adapter ou à disparaître.
Elle ne peut continuer comme elle l’a fait jusqu’ici, à être un appareil de gestion assurant dans un monde de contestation au plan économique, social, culturel et politique, l’intérêt et la seule perspective de quelques nations.
Si la grande question débattue dans le cadre de cette conférence générale est celle du contrôle de l’information, le sujet des restitutions y fut également discuté et dut sans doute beaucoup aussi au contexte politique décrit par Diagne ci-dessus, menant in fine à la résolution 4.128 et au mandat confié à M’Bow pour la constitution d’un « comité intergouvernemental ayant pour fonction de rechercher les voies et les moyens de faciliter les négociations bilatérales pour la restitution ou le retour des biens culturels aux pays qui les ont perdus par suite de l’occupation coloniale ou étrangère […] » (Unesco, 1976, p. 49).
La même année 1976, la collection, les archives et sa maison de Muthaiga sont vendues à l’État kényan, Murumbi refusant toute offre venant de l’étranger. Il explique alors son choix : « L’Afrique a déjà été dépouillée d’une grande partie de son art le plus précieux. Il montre un soldat en armure de bronze qui monte la garde sur la véranda. C’est une copie d’un bronze du Bénin, en Afrique de l’Ouest. Les originaux sont tous en Europe. Même le masque en ivoire qui était le symbole du Festac (le festival artistique panafricain qui s’est tenu à Lagos) n’a pas été exposé pendant le festival. Il était en Grande-Bretagne ! » L’année de parution de cet article, 1977, coïncide avec l’année où se tient à Lagos le Festac, le second festival mondial des arts et de la culture noirs et africains. L’histoire du bras de fer qui a opposé le Nigeria à la Grande-Bretagne pour le prêt du pendentif de la reine Idia, conservé au British Museum et choisi comme emblème du festival, menant in fine (suite au refus du musée britannique) à la fabrication sur place d’une copie qui sera démultipliée à l’envi sur tous les supports du festival, a été brillamment étudiée par Dominique Malaquais et Cédric Vincent (2019, pp. 53-56). Le fait que Murumbi mentionne le cas du « Festac Mask » témoigne à la fois de sa popularité et de sa propre connexion à ces débats transnationaux et panafricains.
Il semble que pendant un temps, pendant les négociations de la vente de la collection, Murumbi ait hésité à la délocaliser hors du Kenya, dans la région est-africaine : « En ce qui concerne ma bibliothèque, j’ai promis qu’elle ne quitterait pas le Kenya, mais après en avoir discuté avec le président Nyerere à Dar es Salaam, je pense qu’il serait peut-être bon que la bibliothèque aille à un centre d’études africaines, soutenu par la communauté, plutôt que d’être utilisée dans un pays d’Afrique de l’Est en particulier. La raison en est que je crois que nous devrions avoir en Afrique de l’Est un centre d’études africaines, où les étudiant.e.s non seulement d’Afrique de l’Est, mais de toutes les parties du monde, pourraient trouver un endroit dans lequel il y a une concentration de littérature et de documents sur l’Afrique disponibles pour l’étude […] » [tda].
L’ensemble, vendu enfin à l’État kényan, doit constituer la base d’un futur centre d’études africaines. On l’a vu : la constitution progressive de sa collection d’art et d’objets dits ethnographiques est pensée comme un moyen de résister au flux, unidirectionnel, d’objets qui quittent l’Afrique vers le Nord (ce que le « Manifeste culturel d’Alger » avait qualifié d’« hémorragie » en 1969, p. 121). De même, il s’agit ici d’inverser celui qui mène les chercheur.e.s du continent à devoir s’expatrier pour avoir accès aux sources pour écrire leur histoire. Si les études conjointes d’étudiant.e.s africain.e.s et européen.ne.s sont importantes, explique Murumbi dans un entretien donné dans les années 1970, « il est temps pour les Kényans d’écrire leur propre histoire » (Thurston et al., 2015, p. 312). La question demeure centrale aujourd’hui : Chao Tayiana Maina (2021, p. 34), l’une des voix africaines dans le débat sur les restitutions, la formule ainsi : « En tant qu’historienne du Kenya contemporain ayant émergé sous l’apparence d’un État indépendant, je suis contrainte de faire face à la visibilité constante de cette histoire [coloniale], son hyper "présence" m’entoure et informe ma vie, tout en étant résignée à l’invisibilité des archives. » [tda].
Ce qui est remarquable dans le projet de Murumbi, c’est que sa collection d’objets d’art, elle-même panafricaine, ses archives et sa bibliothèque doivent constituer le cœur de ce centre d’études africaines. Le rêve de ce centre panafricain ne s’est, hélas, jamais concrétisé, la maison de Muthaiga ayant été rasée et la propriété sur laquelle elle avait été bâtie ayant fait l’objet de spéculations foncières. C’est finalement grâce aux efforts d’Alan Donovan et au financement de la fondation Ford que la Murumbi Gallery a vu le jour en décembre 2006 aux Archives nationales du Kenya, quelque trente ans après l’achat de la collection laissée à l’abandon dans les sous-sols de l’institution.

Conclusion

Profondément ancré dans son temps, le projet politique de cette collection devenue publique nouait la réappropriation du patrimoine et des arts africains à la production des savoirs en Afrique. Si la manière dont cette collection est aujourd’hui présentée n’est pas sans poser question, la puissance politique de son projet, avec son potentiel de germination de nouveaux savoirs, demeure plus que jamais d’actualité. Jadis, Joseph Murumbi avait mobilisé la métaphore du termite pour qualifier le travail militant qu’il menait dans les années 1950 avec ses camarades de lutte, rongeant les fondations mêmes de l’empire aux fins de son effondrement. En filant cette métaphore, je propose de réimaginer la collection qu’il a bâtie au cours de sa riche trajectoire à travers l’image annexe de la termitière – une « structure biogénique aux formes, aux tailles et aux structures très variées, créant un habitat favorable à de nombreux autres organismes vivants » –, afin de la replacer dans la sphère du vivant, du « reprendre » (Mudimbe, 1994) et du futur car, comme Murumbi le dit lui-même : « L’objectif de cette opération est de constituer une collection en guise d’héritage, de patrimoine pour les générations futures. » [tda] (Thurston et al., 2015, p. 321).

Notes

[1] Voir par exemple Pailey (2016).

[2] Voir par exemple les projets de l’artiste franco-algérienne Zineb Sedira autour des archives du premier festival culturel panafricain d’Alger (1969) : Standing Here Wondering Which Way to Go (2019).

[3] Le webdocumentaire produit dans le cadre de ce projet de recherche est aujourd’hui hébergé par la plateforme panafricaine Chimurenga basée à Cape Town : https://panafest.org.za/

[4] Voir le site du projet : https://globaleastafrica.org/

[5] Dans la biographie posthume A Path not Taken (Thurston et al., 2015), Murumbi présente George Padmore comme un ami « vers qui je pouvais toujours [me] tourner lorsque j'étais désespéré ». (p. 76). [tad].

[6] Archives nationales du Kenya, MAC/CON/181/1 « All African People’s Conference – Meeting held at Accra, Dec. 1958 ». Il est à noter que cette allocution fut lue lors de cette conférence par sa femme Shirley Graham, W.E.B. Du Bois étant privé de passeport par l’administration étasunienne.

[7] Ce parti pris s’ancre dans un tournant de la recherche en sciences sociales s’emparant de la question des émotions. Voir par exemple les travaux de la revue Sensibilités publiée par Anamosa.

[8] Traduction de l’auteure.

[9] Il sera condamné à sept ans de prison assortis de travaux forcés.

[10] Sur l’équipe de défense de Kenyatta (composée de Dennis Pritt, membre du parlement britannique réputé communiste, seul avocat blanc du groupe, de Chaman Lall, de Dudley Thompson de la Jamaïque, de H.O. Davies du Nigeria et de deux avocats locaux d’origine indienne : Achhroo Kapila et Fitz de Souza) qui transcende et défie la colour bar en vigueur au Kenya, voir Lonsdale (2004, pp. 183-185).

[11] Murumbi raconte lui-même ce projet dans sa biographie posthume (Thurston et al., 2015, pp. 76-77). Les archives disponibles n’ont pas permis de comprendre pourquoi ce projet ne vît pas le jour.

[12] Le travail pour en étudier de manière fine la nature, la chronologie et les provenances reste à faire.

[13] « […] Les collectionneurs accordent très souvent un intérêt plus spécifique aux œuvres qui sont attribuées à l’ethnie à laquelle ils appartiennent, de telle sorte qu’on observe presque systématiquement un espace de noyau ethnique au sein de leurs collections. »

[14] Slade School of Fine Art, école d’art londonienne établie en 1871 où ont été formés nombre d’artistes issus des espaces coloniaux. Voir le projet Transnational Slade : https://www.ucl.ac.uk/slade/research/slade-archive-project/transnational-slade/

[15] Murumbi fait référence à la All African People’s Conference mentionnée plus haut.

[16] Archives nationales du Kenya, MAC/KEN/77/1 « Kenya, Prominent Personalities. Murumbi, Joseph Anthony Zuzarte, 1911 – U.K. Meetings – Conference on Africa, July 1960 ». Je souligne.

[17] Organisé par Présence africaine en la Sorbonne du 19 au 22 septembre 1956.

[18] Enwonwu semble se référer ici à la figure de Kenneth Murray, à l’origine du musée national du Nigeria à Lagos (ouvert en 1957) qui, à partir des années 1940, « acquiert des pièces partout dans le pays pour établir cette collection dans la capitale, à Lagos », y compris en les rachetant sur le marché international (Bodenstein, 2019, pp. 231-232).

[19] « Outsiders still the main art lovers », Kenya News export, août 1977.

[20] National Archives of Kenya, dossier MAC/KEN/98/3 « Kenya. Prominent personalities. Murumbi, Joseph Anthony Zuzarte, 1911, Exhibitions - part II ».

[21] Actes de la Conférence générale. Dix-neuvième session, Nairobi, 26 octobre-30 novembre 1976, vol. 1, « Résolutions », UNESCO, p. 49.

[22] « Outsiders still the main art lovers », Kenya News export, août 1977.

[23] Archives nationales du Kenya, MAC/KEN/99.3 « Proposed sale for the Murumbi Africana collection, 1970, 1974 ».

[24] Voir par exemple son projet « Open Restitution Africa » : https://openrestitution.africa/

[25] Un designer américain avec lequel Murumbi avait créé une galerie commerciale, African Heritage, à Nairobi en 1973.

[26] On peut, entre autres, se demander dans quelle mesure elle remet en question les schémas muséaux occidentaux et le système classificatoire basé sur la logique de l’ethnie que le musée ethnographique a hérité de son histoire.

[27] D’après la page Wikipédia « Termitière », consultée le 10 février 2023. Consciente de la limite de cette seule référence, je suis à la recherche de références plus spécifiques.

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Pour citer l'article :

APA

Goni, M. N. (2023). « Un travail de termites » : la dimension panafricaine des gestes patrimoniaux de Joseph Murumbi (1911-1990). Global Africa, 3, pp. 124-136. https://doi.org/10.57832/jwch-x826


MLA

Goni Marian Nur. "« Un travail de termites » : la dimension panafricaine des gestes patrimoniaux de Joseph Murumbi (1911-1990)". Global Africa, no. 3, 2023, p. 124-136. doi.org/10.57832/jwch-x826


DOI

https://doi.org/10.57832/jwch-x826


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