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L’art des femmes berbères : un lien entre l’Afrique du Nord et le reste du continent
Professeure de linguistique et d’études de genre
Elle travaille sur les questions relatives aux femmes et au genre dans l’Afrique du Nord moderne, Université Sidi Mohamed Ben Abdellah, Fès
sadiqi_fatima@yahoo.fr
L’art des femmes berbères est le plus ancien d’Afrique du Nord. Il remonte à l’Antiquité. Cet art a survécu face à de puissantes civilisations conquérantes, et il est toujours vivant. Il a fasciné et inspiré des érudits et des gens ordinaires, mais c’est seulement à l’époque postcoloniale que des lectures sérieuses de ces dessins ont commencé à se faire jour. Interprété comme un puissant marqueur culturel, un marqueur identitaire, et comme expression féminine, cet art a des affinités avec l’art africain « mainstream ». Soutenir que l’art des femmes berbères est peut-être le seul lien significatif subsistant entre l’Afrique du Nord et le reste du continent est une revendication féministe. En plus de fournir une lecture de l’histoire nord-africaine, elle fait ressortir comment l’expression artistique des femmes berbères éclaire certains aspects de la manière dont les communautés vivent et interagissent dans cette histoire. Elle met également en lumière le lien entre cette expression artistique et la codification et la stabilisation de la langue berbère. Ce dernier point mène la revendication féministe à un degré supérieur dans lequel on présume que l’art féminin produit un savoir linguistique, un thème jusqu’ici inexploité. De plus, en se focalisant sur l’art des femmes, cet essai adopte, pour aborder l’histoire sociale et la langue berbères, un type particulier de méthodologie féministe dans lequel les sources historiques sont utilisées pour produire de la connaissance et non pas simplement pour honorer le passé.
Mots-clés
Art, femmes, berbères, Afrique du Nord
Plan de l'article
La spiritualité telle qu’exprimée dans les dessins des tapis féminins
La sémantique du tissage de tapis des femmes berbères
Les dessins de tapis comme marqueurs d’identité
Les dessins de tapis comme art
L’interprétation des dessins de tapis comme archive historique
Le tatouage
Le henné
Les vêtements
Les dessins de tapis sont-ils liés à la langue berbère ?
Conclusion
L’art des femmes berbères est le plus ancien d’Afrique du Nord. Il remonte à l’Antiquité. Cet art a survécu face à de puissantes civilisations conquérantes, et il est toujours vivant. Il a fasciné et inspiré des érudits et des gens ordinaires, mais c’est seulement à l’époque postcoloniale que des lectures sérieuses de ces dessins ont commencé à se faire jour. Interprété comme un puissant marqueur culturel, un marqueur identitaire, et comme expression féminine, cet art a des affinités avec l’art africain mainstream. Soutenir que l’art des femmes berbères est peut-être le seul lien significatif subsistant entre l’Afrique du Nord et le reste du continent est une revendication féministe. En plus de fournir une lecture de l’histoire nord-africaine, il fait ressortir comment l’expression artistique des femmes berbères éclaire certains aspects de la manière dont les communautés vivent et interagissent dans cette histoire. Elle met également en lumière le lien entre cette expression artistique et la codification et la stabilisation de la langue berbère. Ce dernier point mène la revendication féministe à un degré supérieur dans lequel on présume que l’art féminin produit un savoir linguistique, un thème jusqu’ici inexploité. De plus, en se focalisant sur l’art des femmes, cet essai adopte, pour aborder l’histoire sociale et la langue berbère, un type particulier de méthodologie féministe dans lequel les sources historiques sont utilisées pour produire de la connaissance et non pas simplement pour honorer le passé.
Certains des dessins de tapis que les femmes ont imaginés et créés au fil des siècles ont été reproduits dans des techniques d’ornementation corporelle telles que le henné et le tatouage, ainsi que dans l’habillement. Ils ont été lus comme des marqueurs culturels, des marqueurs identitaires, et comme un art féminin. Aussi éclairantes soient-elles, ces lectures tendent à considérer ces dessins comme des héritages de la créativité féminine devant être préservés (pour des études sur les marqueurs culturels, voir Boely 2000 ; Saulniers 2000 ; Samama 1996 et 2000 ; et Chafik 2005. Sur les marqueurs identitaires, voir Ben Miled 1998 ; Ennaji 2006 ; et Chtatou 2020. Sur l’art des femmes, voir Jereb 1990 ; Mernissi 2004 ; et Becker 2006). Dans cet article, je m’appuierai sur ces lectures afin de présenter ces dessins comme des archives historiques qui continuent de se développer.
La spiritualité telle qu’exprimée dans les dessins des tapis féminins
Parmi les dessins associés à la spiritualité et aux croyances féminines, le soleil, les étoiles, la lune et le ciel occupent une place prépondérante. Ces dessins pourraient être liés à la nature de l’ancienne religion berbère (Hérodote, livre IV ; Ibn Khaldoun traduit par Rosenthal 1958 ; El Bekri 1857 ; Mercier 1901 ; Doutté 1909 ; Basset 1910 ; et Ouachi 1985). D’après l’orientaliste et linguiste française René Basset (1910), les anciens Berbères considéraient le ciel, les montagnes et les rivières comme des genius loci, des lieux abritant des divinités. Le ciel renfermait le Soleil, la Lune et les étoiles, les montagnes incluaient les rochers et les grottes, et les fleuves comprenaient les surfaces aquatiques telles que les mers et l’océans. Ils considéraient que les massifs montagneux de l’Atlas « touchaient le ciel » et surplombaient l’océan Atlantique, dont le nom dérive du mot Atlas.
La représentation de ces sites sacrés dans le tissage manifeste les croyances de ces femmes et leur création d’une cosmologie propre qui s’est diffusée dans leurs familles et leurs communautés, et, en l’absence de documentation sur les religions berbères, ces dessins pourraient bien être les seules sources capables d’aider les chercheurs à saisir ces manifestations de la créativité humaine et leurs interactions avec la religion et la spiritualité. La récurrence de triangles, de lignes horizontales et de cercles, qui se trouvent regroupés pour représenter Tanit – le cercle dans l’espace supérieur (la tête), le triangle en dessous (le corps) et une ligne horizontale médiane (les bras) – est ici particulièrement intéressante. Tanit était une déesse berbère de l’eau (pluie, fertilité) dans l’Afrique du Nord de l’époque antique (Ben Miled 1998). Elle était la principale divinité de Carthage (l’actuelle Tunisie), d’où son culte s’est répandu dans la région méditerranéenne. Tanit était aussi la déesse de la Lune et le symbole de la guerre. Elle s’est vu attribuer différentes formes, dont l’ustensile de cuisson traditionnel berbère, le tajin, mais la récurrence du cercle, de la ligne horizontale et du triangle reste frappante.
De manière significative, la présence de la déesse Tanit dans les dessins de tapis montre l’importance, dans la cosmologie féminine berbère antique, de la sexualité, de la procréation et de la fertilité. Les significations liées à ces dessins sont immortalisées dans l’un des rituels les plus importants des communautés berbères du Maroc et de toute la région : le rite de la Taghunja (ou tasliyt n unzar – l’arc-en-ciel) (Ben Miled 1998). Image matérialisée de Tanit, la Taghunja (grande poupée à la tête cerclée, au corps vertical et aux bras tendus à l’horizontale) est brandie dans une procession formée d’enfants, qui implorent par leurs chants le retour de la pluie. Tout comme les dessins de tapis, le rite de la Taghunja, encore mené de nos jours, constitue une importante parties des archives et une source d’information sur la cosmologie des femmes berbères de la période antérieure à l’avènement des religions monothéistes. En plus de nous introduire à la spiritualité des femmes berbères, les dessins de tapis servent aussi de point de départ à la compréhension de l’environnement naturel de ces femmes et de leurs tâches quotidiennes, comme l’atteste la fréquence des scarabées, des serpents et des scorpions, ainsi que des rivières et des fleurs. Scarabées, serpents et scorpions dénotent un environnement rural et chaud, à côté d’un environnement plus tempéré dans lequel les rivières sont en hautes eaux et les fleurs sont écloses. L’esthétique suggérée par ces derniers dessins, ainsi que le contraste entre les environnements chaud et frais, pourrait indiquer le cycle changeant des saisons, auquel est lié le cycle des récoltes, au cœur de la vie et de la cosmologie berbères.
D’autres dessins montrent des tajines (ustensiles de cuisson marocains), des théières et des cuillères et servent, de ce fait, de point d’entrée à l’univers des tâches quotidiennes féminines. Il est important d’ajouter ici qu’au-delà de leur usage pour la subsistance quotidienne, ces ustensiles symbolisent également l’hospitalité berbère et la fierté de la communauté. Le tajin en particulier relie les tâches quotidiennes féminines à leur divinité, un lien qui est aussi attesté dans l’analyse que fait Margaret Raush (2004) de la poésie des femmes berbères. Ce lien est caractéristique du goût de ces femmes pour le symbolisme en tant que reflet de leur expérience de la spiritualité.
Pour résumer, les dessins géométriques, les formes et les figures que les femmes ont créés, tissés, sacralisés et immortalisés sur les tapis constituent un accès important à leur monde cosmologique et à leur univers quotidien, dans lequel la spiritualité se mêle aux expériences journalières. La puissance de ces dessins réside dans leur capacité à donner sens et à symboliser, permettant à ces dessins de survivre et de continuer d’attirer l’attention. Le symbolisme profondément enraciné que ces dessins encodent est devenu une partie intégrante de l’« inconscient » berbère, au sens de l’« inconscient collectif » de Jung. Cela explique en partie le caractère sacré, la vénération, les rituels et les chants qui accompagnent les différentes étapes du tissage d’un tapis, que la communauté chérit encore aujourd’hui.
Le tissage a toujours été, dans les tribus berbères, entouré de mystique, et les tisseuses étaient et sont toujours considérées comme porteuses de baraka (bénédiction) et, en tant que telles, imposent le respect et l’autorité au sein de la famille et dans la communauté tout entière (Chafik 2005). Cette baraka se reporte sur la laine utilisée. L’astta, l’acte de tisser en berbère, est une performance hautement ritualisée. La laine est sélectionnée avec soin, lavée dans la rivière, peignée, filée, et teinte avant que les tapis ne soient tissés sur des métiers verticaux, souvent employés comme objets sacrés au cours d’évènements importants, tels que les cérémonies de protection de la virginité des jeunes filles (Becker 2006). La cérémonie qui accompagne l’utilisation du métier à tisser varie d’une région à l’autre, mais dans les montagnes du Haut Atlas, la jeune fille enjambe sept fois le métier à tisser en un mouvement de va-et-vient et répétant « bismillah, bismillah, bismillah » (« au nom de Dieu »), invoquant ainsi le pouvoir sacré qu’a l’outil de protéger sa virginité. Cette cérémonie souligne la sacralité du métier à tisser et sa capacité à maintenir la cohésion familiale et communautaire, assurant la virginité des jeunes filles comme garantie lignagère.
Envisager les dessins de tapis comme des archives historiques est une entreprise intéressante, dans laquelle l’utilitaire et le sacré se mêlent sur le plan sémantique et matériel. D’un point de vue sémantique, la combinaison de l’utilitaire et du sacré fait partie de la vision du monde de ces femmes – que ce soit physiquement ou abstraitement –, et d’un point de vue matériel, dans la vie réelle, cette double perception fait partie des expériences journalières de ces femmes. L’extraordinaire combinaison de l’utilitaire et du symbolique se communique des femmes aux familles et à la communauté. Ce n’est pas un hasard si les communautés berbères ont toujours prospéré sur le besoin simultané de bénéfices économiques et de symbolisme. Cela met en évidence le rôle des femmes non seulement dans la production d’un savoir artistique au sein de la communauté, mais aussi dans la consolidation de la survie et de la pérennité de cette dernière. Les dessins sont à ce point centraux dans le système symbolique des communautés berbères qu’ils ont été reproduits dans les ornements du corps et les vêtements à travers les siècles.
La sémantique du tissage de tapis des femmes berbères
L’origine historique du tissage de tapis dans les communautés berbères remonte à l’ère paléolithique, à une époque où les premiers habitants de l’Afrique du Nord, les anciennes populations berbères, filaient le tissu manuellement (Brett et Fentress 1996 ; Chafik 2005). De manière significative, chaque tribu possède son propre style de tapis qui la distingue des autres. Des études ont montré que le tissage de tapis est l’art le plus ancien que l’on puisse observer en Afrique du Nord et que cette pratique est intrinsèquement associée aux femmes berbères (Mernissi 2004 ; Becker 2006 ; Sadiqi 2014, entre autres). De nos jours, le tissage de tapis est perçu comme un art rural et féminin. La plupart de ces artistes étaient et sont toujours illettrées en ce sens qu’elles n’ont pas appris à lire ou à écrire. La présence de symboles liés à la divinité féminine, tels que le triangle, est le produit d’une transmission ancestrale qu’elles peuvent modifier sans détruire les dessins dont elles ont hérité. Ainsi, l’art de faire des tapis résulte de la créativité et de l’imagination de ces femmes, loin de tout modèle préconçu (Chtatou 2020). Historiquement, le tissage des tapis, au Maroc et dans la région, a toujours rempli des fonctions majeures à la fois économiques et symboliques.
L’anthropologue Claudine Cohen (2016) affirme que les femmes tissent depuis des temps immémoriaux et que leur travail a toujours été important pour l’économie des communautés. Cohen s’appuie sur le travail de l’anthropologue américain James Frazer, qui déclarait que :
« les femmes ont contribué plus que les hommes au progrès de l’histoire économique, en particulier à la transition d’un genre de vie sédentaire, d’une base de subsistance naturelle, à une base artificielle. » (Frazer 1912: 129, cité dans Cohen 2016: 141)
Cette affirmation s’applique aux femmes berbères, comme diverses autres études l’ont montré (Benmiled 1998 ; Chafik 2005 ; Mernissi 2004 ; Becker 2006 ; Naji 2007). Tout au long de l’histoire, des femmes ont imaginé des dessins et les ont intégrés au tissage de tapis. Les hommes vendaient ensuite ces tapis, et l’argent gagné était employé à l’achat de denrées alimentaires et autres produits de première nécessité pour le foyer. Cette pratique se poursuit à l’époque actuelle dans les villages des montagnes de l’Atlas et les tapis de femmes continuent d’être vendus sur les marchés locaux où ils constituent la principale source de revenus des familles rurales (Belghiti 1971 ; Belarbi 1995). Le volume et la nature des transactions commerciales ont été historiquement affectés par les environnements spécifiques dans lesquels ces tapis étaient fabriqués : les tapis étaient plus petits et transportables si les tribus étaient nomades ou semi-nomades ; ils étaient plus grands si les tribus étaient sédentaires. En d’autres termes, le type et la taille des tapis devaient s’accorder au mode de vie des tribus. Les tapis épais et multicouches qui abondaient dans les froides montagnes de l’Atlas contrastaient avec ceux, légers et plats, des chaudes régions sahariennes. Aujourd’hui, les tribus sont plus sédentaires et les tapis sont généralement de taille moyenne à grande.
Il est évident que les différents styles et textures des tapis constituent par conséquent des sources majeures d’information quant aux modes de vie anciens et à la manière dont les êtres humains interagissaient avec leur environnement en Afrique du Nord. En outre, en aidant les communautés à survivre, le tissage des tapis est une source d’information sur le statut des femmes en tant qu’artistes dans les communautés berbères. Les tapis revêtent également une importance certaine pour l’étude de l’histoire et de l’évolution des modes de vie tribaux. Ils peuvent, par exemple, nous apprendre beaucoup du mode de vie agricole des tribus, dans lequel le rôle joué par le mouton (dont provient la laine utilisée pour le tissage) est essentiel. Ils peuvent également fournir des informations sur la direction que prennent les tribus nomades, sur la continuité ou la discontinuité de leurs déplacements, et sur leurs variations de taille et leur situation économique.
Ces tapis peuvent également nous renseigner sur l’origine et le développement de l’artisanat dans les communautés berbères, car ils n’étaient pas uniquement utiles dans la maisonnée et la communauté, ils l’étaient et le sont encore pour le développement d’autres activités, telles que la conception des métiers à tisser utilisés par les femmes. Ces derniers sont généralement longs de deux mètres, sont faits en bois et ont des formes à la fois verticales et horizontales qui facilitent leur usage au sol, les femmes étant assises derrière. L’étude de l’histoire et de l’évolution de ces outils nous éclaire sur la façon dont les êtres humains ont évolué en Afrique du Nord dans leur quête de subsistance et de survie à travers les âges. Ces études nous aident à comprendre la division du travail selon le sexe et la structure familiale à l’époque antique, mais elles peuvent être encore mises à contribution pour nous aider à interpréter le temps présent. Pour résumer, le rôle joué par les tapis dans l’économie en fait de véritables archives historiques et culturelles capables de servir de sources d’information précieuses sur le passé et le présent des pays et régions dans lesquels vivaient et vivent encore les communautés berbères.
Les tapis ont eu une fonction symbolique, comme le révèle l’analyse textuelle des dessins dont ils sont porteurs depuis des siècles. Les tapis berbères se caractérisent par ce que l’on appelle le « nœud berbère », une technique pratiquée manuellement par la tisseuse. Les tisseuses berbères n’ont historiquement utilisé aucun modèle et le tapis berbère ne s’origine pas dans les tapis orientaux du monde islamique, bien que les deux types partagent des techniques de nouage similaires ainsi que certains dessins. Il semble que ce soient les femmes berbères qui aient inventé le nœud berbère, et comme le tissage était le privilège de quelques femmes, l’exécution du nœud conférait la baraka à la tisseuse, une baraka ensuite transmise à la laine et aux outils de tissage (Basset 1992). Le nœud confère la bénédiction en ce qu’il incorpore le savoir secret d’une femme sur l’art de nouer. Cette bénédiction se transmet à la laine et aux instruments de tissage, car c’est par ces instruments que se transmet le savoir des femmes de génération en génération. Les formes des dessins de tapis varient, mais présentent des récurrences, les plus frappantes étant : les triangles inversés ou non, les lignes horizontales, les cercles, les serpents, les scorpions, les rivières, les fleurs, les étoiles, les lunes, les mains, les yeux, les tajin, les théières et les cuillères. Les tapis se caractérisent également par des couleurs vives, principalement le rouge, le jaune, le bleu et le vert. Symboliquement, la couleur rouge représente la force et la protection, le bleu la sagesse, le jaune l’éternité, et le vert la paix.
Les dessins des tapis ont attisé la curiosité de divers chercheurs et voyageurs durant l’histoire, mais ce n’est qu’à l’ère postcoloniale que des lectures sérieuses à leur sujet ont commencé d’apparaître, pour la plupart dans le cadre de l’histoire sociale et de la reconstitution de l’histoire de l’Afrique du Nord. Ces lectures peuvent être classées en trois catégories principales : celles qui considèrent ces dessins comme des marqueurs culturels, celles qui voient en eux des marqueurs identitaires, et celles qui les envisagent comme un art féminin.
À l’époque moderne, les premiers à avoir été intéressés par les dessins des tapis berbères étaient les colonisateurs français. Durant la colonisation du Maroc (1912-1956), les Français se sont efforcés d’assimiler et de démystifier les dessins des tissages berbères en s’appropriant l’art de ces femmes. Ainsi, dans les années 1930, de nombreux designers occidentaux, tels Le Corbusier, Charles et Ray Eames, ou Hugo Alvar Alto, intégraient à leurs intérieurs de moelleux tapis berbères pour agrémenter leur austère mobilier. D’autres, comme Frank Lloyd Wright, faisaient venir des tapis du Maroc pour leur clientèle. Ce sont ces pratiques qui ont popularisé les tapis berbères en Occident. Pour ces colonisateurs, les tapis berbères constituaient un marqueur d’une culture berbère distincte, une distinction qui confirmait la stratégie de « diviser pour régner » à laquelle ils avaient recours pour séparer les Berbères des Arabes. À côté de cela, de nombreux chercheurs français s’intéressaient à l’étude de ces tapis pour eux-mêmes (Westmarck 1904 et 1926 ; Ricard, 1 982 ; Berque 1964 et 1978).
Après l’indépendance, des chercheurs marocains se sont intéressés à l’histoire sociale comme moyen de réhabiliter des voix restées marginalisées par l’histoire nationale officielle. Des romanciers comme Driss Chraibi et des sociologues comme Abdelkébir Khatibi écrivaient en français, mais utilisaient les productions des femmes berbères comme sous-texte culturel de leurs fictions et de leurs recherches. Parallèlement à cela, des promoteurs de la langue et de la culture berbères, comme l’historien Mohamed Chafik, virent dans les tapis berbères un puissant emblème d’une culture et d’une langue berbères réhabilitées. Ce dernier affirmait que les tribus berbères s’étaient toujours mutuellement distinguées par le type de tapis et le style de dessins employés (Chafik 2005). Selon lui, chaque tribu était réputée pour son style distinctif de tissage, qui ornait souvent les espaces intérieurs des tentes et des maisons ou était exhibé sur le dos des chevaux lors de cérémonies tribales telles que les mariages et les fêtes locales.
Les tapis berbères étaient envisagés comme des marqueurs culturels et des témoignages de la résistance à la colonisation française (Chafik 2005). En sauvegardant leur savoir-faire et en exposant leurs tapis dans leur lutte contre les colonisateurs, les Berbères manifestaient leur fierté et leur chevalerie ancestrale, parant leurs chevaux des dessins de tapis propres à leur tribu. D’une certaine manière, les tapis constituaient les drapeaux des temps de crise. Tandis que les colonisateurs français s’appropriaient les tapis des femmes en les intégrant aux transactions commerciales entre les deux pays, minorant ainsi leur caractère artistique et le rôle d’artiste des femmes berbères, les Marocains utilisaient les tapis comme un discours apte à reconstruire et décoloniser l’histoire moderne du pays, en y incluant la langue et la culture berbère restées marginalisées dans les récits nationaux de résistance (Sadiqi 2014). Les dessins artistiques employés par les femmes constituent également une forme d’écriture, des modes combinatoires capables de nous renseigner sur l’histoire passée et présente. Ainsi, Khatibi (2002) a recours à des données venues de la philosophie du langage pour défendre l’idée selon laquelle le tatouage (qui est lié au tissage, comme il sera montré plus loin) est une forme d’écriture en sa qualité de système sémiotique visuel et spatial. Cette thèse prend appui sur le fait que les tatouages, dans la culture berbère, se manifestent sur les parties visibles ou exposées du corps, telles que le visage, les mains, les bras, et le cou, ce qui présuppose qu’ils recèlent des significations destinées à être lues et interprétées. Pour résumer, le corps tatoué est pour Khatibi corps écrit, au sens où il forme un langage qui transmet et conserve l’histoire. Ceci est un élément d’analyse important, car l’écriture est liée à la parole : des sémioticiens tels que Julia Kristeva (1969) considèrent que l’écriture inclut la voix et le langage corporel. De même, la sociologue marocaine Rahma Bourquia (1995) voit, dans les traces laissées par l’acte de tatouer, la parole des femmes. Ces deux points de vue sont importants dans l’argument que je propose dans cet essai, car le tatouage reprend des dessins de tissage de tapis préexistants.
Les dessins de tapis comme marqueurs d’identité
À partir du milieu des années 1980 et avec la montée du mouvement berbère, les dessins de tapis sont devenus les emblèmes d’une revendication identitaire. En plus d’orner les couvertures de livres consacrés à l’identité, l’histoire ou la culture berbères, ils ont commencé à apparaître sur les brochures d’organisations non gouvernementales (ONG) berbères et dans divers journaux et médias, tels que les sites web promouvant la culture et la langue berbères. Le symbolisme et l’esthétique de ces dessins ont inspiré des chercheurs et des hommes politiques berbères. Des activistes, en particulier, ont adopté, pour le nouveau drapeau berbère, les couleurs employées dans les dessins de tapis. En parallèle, certains chercheurs ont commencé à recourir à l’histoire du tissage berbère féminin pour attester de la longue histoire de ce peuple (Ennaji 2014 ; Chtatou 2020). Il est frappant de voir que les dessins de tapis réapparaissent aujourd’hui dans la culture des jeunes comme signe d’identité berbère, et il est intéressant de noter que ces dessins ont parfois été utilisés pour exprimer une identité marocaine, maghrébine ou plus largement africaine, par opposition à celle du Moyen-Orient (Sadiqi 2014). L’usage des dessins de tapis s’est intensifié avant, pendant et après les soulèvements des années 2010–2011 en Afrique du Nord. La reconnaissance du berbère comme langue officielle dans la Constitution post-soulèvements a renforcé le pouvoir symbolique de ces dessins comme marqueurs identitaires.
Les dessins de tapis comme art
Au début du siècle, et avec la consolidation du mouvement des femmes au Maroc, les dessins de tapis ont commencé à être lus d’un point de vue féministe en tant qu’expression artistique des femmes berbères. La première chercheuse féministe à présenter ce type de lecture est Fatima Mernissi, qui a mené des recherches sur les tisseuses de tapis des montagnes du Haut Atlas marocain (Mernissi 2004 et 2006). Selon Mernissi, le tissage de tapis est une forme d’art qui mérite d’être protégée dans des musées parce que sa continuité pourrait se trouver sérieusement menacée par la migration des jeunes en direction des petites et grandes villes ou vers l’Europe. Mernissi affirme :
Les tapis tribaux, anciens et contemporains, avec leurs couleurs vives et leurs dessins audacieux m’ont toujours fascinée, tout comme l’art de Matisse, de Klee et d’autres personnes tombées sous le charme de cet art autochtone. De nombreux amateurs d’art et collectionneurs du monde entier se sentent passionnément attirés par ces créations artistiques venues des zones montagneuses et des déserts les plus reculés de l’Afrique du Nord. De nombreux ouvrages ont été publiés, mais personne ne s’est intéressé à ces femmes artistes qui, depuis si longtemps, créent ces tapis. (Voir Mernissi 2006)
La lecture que fait Mernissi du tissage des tapis berbères souligne la valeur historique et sociale de l’art des femmes berbères. Historiquement, cet art est le seul lien qui demeure entre les deux rives de la Méditerranée après que la Second Guerre mondiale ait détruit la plupart des caractères ruraux de l’Europe (Fatima Mernissi, communication personnelle). D’un point de vue social, cet art a échappé à la fois au contrôle du colonisateur et à celui de l’État marocain, et il est parvenu à survivre dans les zones rurales. Cela est propre au pouvoir de l’art.
L’interprétation des dessins de tapis comme des archives historiques
De manière significative, les dessins qui ont été imaginés et créés par les femmes berbères sont des métaphores possédant des significations spécifiques au sein des communautés et qui peuvent, de ce fait, être utilisées comme de véritables archives historiques et linguistiques. Les métaphores ne sont pas qu’une expression : elles enregistrent et donnent vie à l’imagination (Lakoff et Johnson 1980). En tant qu’archives historiques, elles devraient cesser d’être considérées comme relevant d’un « discours subordonné » (Messick 1987) et être plutôt reconnues comme représentant un « canon différent » (Pollock 1999). Dans le contexte de cet essai, elles constituent une authentique entrée vers trois directions de recherche : la spiritualité des femmes, l’environnement général dans lequel ces femmes ont évolué, et leur effort constant pour se protéger, elles-mêmes, leurs familles et leurs communautés, des puissances maléfiques et surnaturelles.
Les parures corporelles dans les communautés berbères forment un art ancestral féminin, dont les formes, les dessins et les rituels peuvent aisément être reliés à ceux du tissage de tapis. Parmi ces symboles, les triangles, les cercles, et les lignes d’horizon abondent. Il y a trois types principaux de parure corporelle : le tatouage traditionnel, les applications de henné, et le costume traditionnel. Alors que le premier type est presque éteint aujourd’hui, les deux derniers sont toujours vivants, non seulement au sein des communautés berbères, mais dans toute l’Afrique du Nord actuelle et au-delà.
Le tatouage
Le tatouage (injection d’encre à la surface du corps humain) a été reconnu historiquement comme une pratique humaine remontant au Néolithique (Deter-Wolf 2013 ; Deter-Wolf, Robitaille, Krutak et Galliot 2016). En Afrique du Nord, une étude récente fait état de la découverte en Égypte des plus anciens tatouages figuratifs jamais pratiqués sur le corps humain[1]. Dans les communautés berbères, le tatouage du visage et du corps est appelé lusham ou siyala, et cette pratique traditionnelle laisse sur la peau des marques permanentes. Les tatouages sont réalisés sur différentes parties du corps, principalement les joues, le menton, le cou, et la poitrine. Leurs significations dépendent de la partie tatouée. Ainsi, les tatouages sur le menton symbolisent la fertilité, tandis que ceux sur le cou et la poitrine représentent la protection contre le mauvais œil. La couleur des tatouages va du vert clair au vert sombre, résultant sans doute naturellement des ingrédients végétaux employés.
Les tatouages étaient traditionnellement réalisés par des femmes âgées sur les corps des jeunes filles et des jeunes garçons lors de rites ou d’évènements importants de la vie tels que la naissance, le mariage, la circoncision, etc. Plus spécifiquement, les futures belles-mères réalisaient des tatouages sur le visage et le corps des jeunes filles vierges afin de les marquer en tant futures brus. Cet acte spécifique est appelé rshim en berbère. Quant aux jeunes garçons, ils étaient traditionnellement tatoués avant leur circoncision, dans le but d’assurer leur virilité et de les protéger du mauvais œil. Le résultat de ces deux performances était exposé aux regards, au cours des cérémonies de mariage et de circoncision, afin de mettre en évidence la pureté de la fiancée et du garçon devant être circoncis. Cette exhibition faisait partie des rites qui accompagnaient les cérémonies de mariage et de circoncision et marquaient l’entrée des filles et des garçons dans la communauté. Accompagnant ces importants rites de passage, le tatouage traditionnel combinait esthétique (l’embellissement des visages et des corps des femmes), protection face au mauvais œil et aux esprits maléfiques, et socialisation.
Au-delà de leurs fonctions sociales, les tatouages traditionnels marquaient aussi d’autres cycles dans la vie des femmes, ainsi le début d’une grossesse, l’accouchement et le baptême, symbolisant la valeur de la communauté pour l’individu. Le tatouage était également employé en tant que pratique de soin et comme bouclier protecteur contre l’infertilité. Les fonctions esthétiques, thérapeutiques et sociales du tatouage traditionnel dans les communautés berbères ont été enregistrées sous forme d’images et reliées aux pratiques locales antérieures à l’avènement de l’islam en Afrique du Nord (Brousse 2012).
À l’heure actuelle, les tatouages traditionnels ont perdu l’estime de la population et sont en train de disparaître comme témoignage de l’ancien paganisme, strictement prohibé par l’islam. En effet, l’avènement de l’islam, religion monothéiste, a été instrumentalisé par les interprètes masculins des textes sacrés afin d’interdire toute exposition du corps humain. Ces derniers ont vu dans les tatouages une menace à la foi et considéré ceux dont des parties du corps étaient tatouées comme étant promis à l’enfer, où seul le feu pourrait les effacer. Toutefois, bien qu’il soit en voie de disparition, le tatouage traditionnel est toujours considéré comme faisant partie des savoir-faire féminins dans les communautés berbères, principalement en raison de sa dimension symbolique séduisante.
Les formes et les dessins des lusham sont similaires à ceux que présentent les tapis. Cette affirmation est corroborée par le fait que les dessins des lusham, comme ceux des tapis, étaient généralement accompagnés de chants rituels et, tout comme les dessins des tapis, considérés comme sacrés par la communauté. En outre, au-delà du cercle de la maisonnée, les formes et les dessins de tatouage, comme ceux des tapis, étaient un moyen de distinguer une tribu d’une autre. Ils constituaient également un moyen de recueillir le lignage familial d’un individu ou l’histoire de sa terre, soulignant ainsi la position occupée par les femmes dans la cohésion et la pérennité des communautés berbères (Brousse 2012).
Les tatouages, tout comme les dessins des tapis, sont l’expression de la spiritualité des femmes berbères. L’image de la déesse Tanit se matérialise dans les deux types d’art, offrant une combinaison de lignes verticales et horizontales, de cercles ou de points, réactualisant ainsi le symbolisme de la sexualité et de la fertilité féminines. Au final, tout comme les dessins des tapis, les tatouages sont de précieuses clés d’interprétation du savoir symbolique féminin en l’absence de documentation écrite. Ils peuvent aider à reconstituer l’identité et l’histoire non seulement des femmes, mais aussi des communautés berbères, leur art et leur cosmologie en péril.
Le henné
Le henné est l’acte de teindre ou de colorer le corps humain. Les couleurs du henné vont du rouge clair au rouge foncé. Comme le tissage de tapis et le tatouage, la préparation et l’application du henné sont une pratique féminine souvent accompagnée de rituels et de chants et qui est associée à la baraka, au soin et à la protection contre le mauvais œil ; c’est pour les communautés berbères une pratique sacrée et les dessins au henné sont également utilisés pour lutter contre l’infertilité (Westmarck 1926).
L’une des fonctions majeures du henné est de marquer les principaux évènements et cycles de la vie d’une femme, d’un homme ou d’un enfant : naissance, mariage, grossesse, circoncision, et autres évènements culturellement significatifs. Il est appliqué sur les cheveux, les mains et les pieds, de même que sur le corps des femmes, mais également sur les nouveau-nés, les garçons circoncis et les jeunes mariés. Le henné demeure l’élément principal de la parure corporelle de la mariée. Cet usage spécifique a pour objectif de la protéger des mauvais esprits, des forces surnaturelles, des maladies et de la mort. Dans une moindre mesure, cette utilisation s’applique aussi au marié et au nouveau-né. Au-delà du corps physique, le henné occupe, dans les communautés berbères, une fonction thérapeutique et il est utilisé pour soigner des maladies mentales telles que la dépression. Il est, à cet égard, réputé apporter le réconfort et la paix de l’esprit dans les moments de tension intérieure. En effet, le mot henné est associé sémantiquement à celui de lhnint (« affection »), et ce dernier pourrait dériver du premier ; le henné est également supposé provenir du Paradis. Fait intéressant, les dessins appliqués au henné sont similaires à ceux des tapis et des tatouages. La fréquence des triangles inversés et non inversés, des cercles, et des lignes horizontales rappelle beaucoup les autres dessins artistiques employés par les femmes et partage leur symbolisme.
Les vêtements
Dans les communautés berbères, les femmes ont créé des styles variés de vêtements pour les femmes, les hommes et les enfants, célébrant les étapes de la vie familiale telles qu’un mariage, une naissance ou une circoncision. Le premier port de ces vêtements est souvent accompagné de rituels particuliers, dans lesquels on implore la divinité d’accorder sa bénédiction aux porteurs. Ces vêtements spéciaux créent des liens familiaux et soulignent les significations culturelles que revêtent ces étapes dans la vie d’une personne, tout en mettant en évidence la centralité des femmes dans la conception et la transmission de ces évènements. Ces robes sont aussi un moyen d’assurer la socialisation particulière des personnes au sein de leur communauté et d’inscrire des significations sociales spéciales, de construire des valeurs spécifiques et, par le rituel, de transmettre une identité et d’assurer la continuité de leurs communautés. En plus des robes de fête, les femmes berbères confectionnent des robes qui sont portées lors de danses collectives publiques et mixtes. Un exemple de ces danses est l’ahidous, qui au départ célébrait le temps des récoltes, et qui est exécuté dans des espaces privés comme publics. L’ahidous jouit toujours d’une grande popularité auprès des Berbères (et des Marocains).
Les dessins et les modèles utilisés sur les vêtements faits par les femmes sont similaires à ceux employés dans le tissage, le tatouage et le henné. De même, le triangle, le cercle, les lignes horizontales et la Lune, ainsi que les couleurs vives, sont repris dans la fabrication des textiles. Tout comme le tissage de tapis, on considère que la fabrication de textiles confère la baraka à quiconque porte des vêtements faits maison et les protège des forces obscures (djins ou esprits) ainsi que du mauvais œil. Une créatrice de textiles, tout comme une tisseuse de tapis, une tatoueuse ou une couturière, force le respect et est investie d’une autorité dans sa communauté.
Dans l’ensemble, les dessins que les femmes berbères ont conçus et créés, et qui étaient à l’origine utilisés sur les tapis, ont été reproduits dans les domaines du tatouage, du henné et du vêtement. Qu’ils soient tissés, tatoués, passés au henné ou sur les vêtements qu’on porte, ces dessins constituent de véritables clés pour la compréhension de la spiritualité et de la cosmologie des femmes berbères. Dans ces communautés, on considère généralement que ces dessins apportent la paix de l’esprit dans les moments de transition ou d’angoisse, d’où leur constante association avec la baraka si fortement recherchée qu’invoque l’art féminin. Il faut noter que les dessins des tapis, tout comme le symbolisme dont ils sont porteurs, ont été reproduits dans les parures corporelles comme si les femmes avaient inconsciemment résisté à la perte de leur art face à la puissante agression des religions hégémoniques. Cette constante réplication de leurs dessins protecteurs a sauvé leur art. Tout comme le pouvoir des dessins imaginés et créés par les femmes est la clé de leur monde spirituel et cosmologique, il est aussi essentiel pour la langue qu’ils ont préservée et transmise à travers les millénaires, comme je le démontre dans la section suivante.
Les dessins de tapis sont-ils liés à la langue berbère ?
Bien que les communautés berbères n’aient jamais été unies sur le plan religieux, elles l’ont toujours été sur celui de la langue[2]. En d’autres termes, l’unité linguistique a constitué l’épine dorsale de la culture berbère et le principal moyen de sa survie. En un sens, si les pratiques religieuses étaient locales, l’unité linguistique a sauvegardé les frontières extérieures des communautés berbères. Et cette configuration unique du religieux et du linguistique a été solidifiée, préservée et transmise par les femmes.
L’une des caractéristiques de la langue berbère est son alphabet, le tifinagh, l’un des plus vieux au monde, et son système grammatical a fait l’objet d’études sérieuses depuis le milieu du vingtième siècle. Ceci ne signifie pas que le berbère n’avait pas de grammaire antérieurement au milieu du vingtième siècle, car la langue est par définition un système grammatical. Ce retard relatif dans la production d’une grammaire berbère est principalement dû au fait que, contrairement à l’arabe, le berbère est une langue séculière et privée qui n’a pas été promue publiquement puisqu’elle n’a jamais été soutenue par un livre sacré[3].
Il est frappant que l’alphabet berbère, le tifinagh, ait une si longue existence en dépit du fait qu’il n’a pas été beaucoup utilisé dans l’histoire et jamais pour de longs textes. De plus, le temps écoulé entre l’adoption d’un alphabet et la standardisation de la langue est théoriquement long ; or dans le cas du berbère, la standardisation du tifinagh et celle du berbère se sont produites quasi simultanément à partir des années 1960. À la lumière de ces faits, je soutiens que l’alphabet berbère n’a pas été créé ex nihilo, mais qu’il a adopté les dessins des tapis berbères. Cette affirmation est étayée par la similarité physique frappante entre les dessins de tapis et l’écriture de l’alphabet berbère, ainsi que par l’évolution de cet alphabet.
Il existe une ressemblance physique frappante entre les dessins de tapis et ceux des gravures rupestres en ce qui concerne l’utilisation des lignes horizontales et verticales, ainsi que du cercle – une étonnante présence de Tanit et de la spiritualité des femmes. Les recherches archéologiques ont également révélé de nombreuses autres inscriptions similaires à travers toute l’Afrique du Nord et la Méditerranée. Cette ressemblance physique entre dessins de tapis et caractères tifinaghs soulève la question suivante : comment expliquer la relation entre l’alphabet tifinagh et l’écriture de la langue berbère ?
Le tifinagh est l’une des plus anciennes formes d’écriture de l’histoire humaine (Bouhali 1987 ; Camps 1996 ; Claudot-Hawad 1996 ; Chaker 1996 ; Brous 1996 ; Souag 2004 ; et Lefkioui 2018). Il existe depuis vingt-cinq siècles et est l’un des rares alphabets à avoir résisté à l’hégémonie d’autres alphabets accompagnant de puissantes civilisations, telles que les Romains et les Byzantins. Le tifinagh trouve son origine dans les symboles graphiques des gravures rupestres. Il a d’abord été utilisé par les nomades touaregs pour la rédaction de textes courts en tamashek (un type de berbère). Seule une maîtrise du tamashek permet de déchiffrer ces textes, principalement en raison de l’absence de voyelles. Comme dans la plupart des langues humaines, la première version du tifinagh ne contient qu’un stock limité de consonnes. Le contact accru du berbère avec d’autres langues écrites, en particulier le phénicien, a été un facteur positif dans le développement et la modernisation de l’alphabet tifinagh (Billouche 2003 ; O’Connor 1996 ; et Souag 2004). L’ancien tifinagh touareg originel a donc fait l’objet de plusieurs révisions (appelées parfois néo-tifinagh), les plus importantes étant : le tifinagh saharien, le libyque vertical, le libyque horizontal, et l’agraw de l’Académie berbère[4].
La version actuelle du tifinagh qui est utilisée au Maroc est appelée Tifinagh-IRCAM (Institut royal pour la culture amazighe). Alors que le tifinagh ancien et le néo-tifinagh ne comportent pas de voyelles, le tifinagh contemporain contient 33 symboles incluant des consonnes et des voyelles et est unicode (un son par symbole). Cette dernière version a été établie au Maroc à partir de versions antérieures de tifinagh et est utilisée pour écrire les mots et les textes dans comme hors des écoles nationales publiques et privées, au Maroc et en Algérie. Le Tifinagh-IRCAL est également utilisé dans la publicité présente dans les villes et villages de la région, tout comme à l’accueil des ministères et autres institutions officielles. Pour résumer, le tifinagh est à présent pleinement accepté comme alphabet de la langue berbère, consolidant ainsi l’unité linguistique ancestrale des communautés berbères.
La ressemblance physique des dessins de tapis avec le tifinagh est liée aux femmes, que ce soit dans le passé ou à l’époque moderne. Traditionnellement, ce sont les mères qui enseignaient le tifinagh à leurs enfants en traçant les lettres sur le sable (Sadiqi et al. 2009). Les signes tifinagh étaient également réputés recéler des significations particulières et véhiculer des messages cachés que seules les femmes pouvaient comprendre ou déchiffrer (Sadiqi et al. 2009). À l’époque moderne, des études dans le domaine de l’anthropologie, de la sociologie et de la littérature ont montré que les dessins des tapis comme des tatouages des femmes berbères étaient, tout comme le tifinagh, des formes d’écriture (Marcy 1973 ; Ramirez et Rollot 1995).
Étant donné que l’alphabet d’une langue est la base de sa morphologie et de sa syntaxe (c’est-à-dire de sa grammaire), les signes de l’alphabet tifinagh sont les éléments constitutifs de la grammaire berbère, une grammaire qui a résisté à l’épreuve du temps alors même que le tifinagh n’était que très peu employé dans les textes berbères à l’écrit. L’unique explication de la survie du tifinagh et de la langue berbère réside dans la trajectoire ininterrompue du tissage de tapis. La thèse que je défends ici est que la langue berbère a existé sous forme orale des siècles durant, mais qu’elle n’a été codifiée et écrite accompagnée de son alphabet que plus tard, en utilisant les dessins des tapis des femmes comme source d’inspiration. En d’autres mots, le tifinagh a survécu grâce à l’art du tissage de tapis, et c’est l’imagination artistique des femmes qui a créé, perpétué et sauvé à la fois les dessins de tapis et la langue berbère. Le symbolisme qui les caractérise tous deux confirme le rôle central, sur le plan à la fois spirituel et matériel, des femmes berbères dans la pérennité de leurs communautés à travers les siècles.
La survie du tifinagh en tant que système d’écriture est, par conséquent, due à son étroite relation sémantique et sémiotique avec les dessins artistiques pratiqués par les femmes, lesquels fonctionnent aussi comme une forme d’écriture et de parole féminine. En d’autres mots, les dessins des tapis et des parures corporelles ont été essentiels à la codification et à la stabilisation de la langue berbère. Si les dessins des tapis ont inspiré les tatouages, puis l’alphabet tifinagh, alors il est possible de postuler qu’ils ont inspiré la codification de la langue berbère.
Il s’agit d’un phénomène unique en linguistique, qui appelle des recherches supplémentaires, car il y a dans ce domaine d’étude une hypothèse solide selon laquelle, lorsqu’un alphabet n’est pas utilisé pendant longtemps, la langue qu’il est censé écrire meurt. Le cas du berbère réfute cette hypothèse puisque cette langue existe depuis des millénaires, mais seulement sous forme orale. C’est là un phénomène linguistique extraordinaire et ses implications symboliques restent encore à sonder. En outre, le caractère unique du cas berbère réside dans ce qu’il diffère des cas usuels, dans lesquels la codification et la stabilisation des langues sont davantage fondées sur la linguistique plutôt que sur des éléments artistiques (Ayres-Bennet et Sanson 2020). Les femmes étant généralement marginalisées dans le canon linguistique, une autre implication de cette étude est que ce sont elles, et non les hommes, qui ont codifié et stabilisé la langue berbère (Bennett et Sanson 2020).
Conclusion
Dans cet article, j’ai présenté une lecture des dessins artistiques ancestraux réalisés par les femmes berbères sur les tapis comme constituant une archive toujours en expansion et une clé de compréhension du passé comme du présent de cette société. Ces dessins sont les dépositaires de la spiritualité de ces femmes et de leur rôle dans la codification et la stabilisation de la langue berbère. Cette lecture élucide la relation des dessins symboliques des femmes avec leur spiritualité, leur environnement, leur communauté et leur langue. Ces relations sont essentielles à la poursuite de recherches sur le pouvoir du symbolisme féminin, qui a préservé ces relations et les préserve aujourd’hui encore. Les dimensions historiques et linguistiques des expressions symboliques féminines sont vastes et révèlent de nouvelles et passionnantes orientations de recherche sur les femmes en Afrique du Nord. Aujourd’hui, l’intérêt naissant pour le rôle des femmes dans l’histoire des langues et dans la linguistique oblige à une plus grande attention à la dimension linguistique de l’art des femmes berbères (Bennett et Sanson 2020).
Notes
Ce que j’entends par unité linguistique dans le présent contexte est le fait que le berbère constitue une langue puisqu’il est doté d’une grammaire unique. Les différences attestées entre les dialectes de cette langue expriment des degrés de son et de signification. Voir entre autres Basset (1952) et Sadiqi (1997).
Bien que l’Afrique du Nord ait été dirigée par de puissantes dynasties berbères du XIe au XVe siècle, la langue des cours royales et de la politique publique a toujours été l’arabe classique. Marginalisé dans les sphères publiques du pouvoir et relégué dans le domaine privé, le berbère a principalement été préservé par les femmes et le destin du berbère et des femmes a toujours été parallèle : ils ont tous deux été marginalisés durant la colonisation et l’édification de l’État et se sont tous deux organisés en mouvements à la fin du XXe siècle. Voir Sadiqi (1997) où je présente une grammaire du berbère et Sadiqi (2003) où je soutiens que l’arabe est une langue « mâle » et le berbère une langue « femelle ».
Voir Tifinagh, n° 1, décembre 1993/janvier 1994, p. 12.
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Pour citer l'article :
APA
Sadiqi, F. (2022). L’art des femmes berbères : un lien entre l’Afrique du Nord et le reste du continent. Global Africa, 1, pp. 188-198, 210-211. https://doi.org/10.57832/ga.v1i1.8
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Sadiqi, F. « L’art des femmes berbères : un lien entre l’Afrique du Nord et le reste du continent ». Global Africa, no. 1, 2022, p. 188-198, 210-211. doi.org/10.57832/ga.v1i1.8
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https://doi.org/10.57832/ga.v1i1.8
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