Analyses critiques
Centrer en Afrique l’humanitarisme global
Professeure de sciences politiques à l’université de Californie, Irvine.
Corédactrice du blog CIHA (www.cihablog.com), spécialisée dans les thèmes interdépendants de la religion, de l’éthique et des problèmes de l’aide humanitaire, et des relations internationales
clynch@uci.edu
L’« humanitarisme global » est à la fois le complexe d’acteurs, d’organisations et d’institutions qui travaillent sur les questions de secours et d’aide au développement, et les cadres conceptuels, épistémologiques et cosmologico-religieux de connaissance et d’éthique dont ils émanent. Dans cet article, j’appelle à (re)centrer l’humanitarisme mondial en Afrique. En m’appuyant sur le travail des chercheurs africains, je soutiens qu’un tel recentrage est crucial pour apprendre, à partir des structures de connaissance et des relations religieuses et cosmologiques africaines, comment mettre en avant les questions de globalité ontologique, de manière à reconfigurer les prétendus objectifs humanitaires. Un tel centrage poursuit également des objectifs matériels et de représentation, c’est-à-dire qu’il permet d’enrayer les échecs de la domination actuelle des programmes, régis par les évaluations néolibérales chiffrées de prétendues « réussites », et de renverser les hiérarchies racialisées de représentation des organisations et acteurs tant africains que non africains.
Mots-clés
Humanitarisme global, religion, cosmologie, bien-être, onto-épistémologie, relationalité
Plan de l'article
Ouvertures et mandats cosmologiques et onto-épistémologiques
Objectifs humanitaires défaillants et vacillants
(Mauvaise) représentation et renversement de perspective
Quelques points pour conclure
Dans cette contribution, j’appelle à centrer l’« humanitarisme global » en Afrique. Je considère que l’humanitarisme global comprend ce qu’Alex de Waal appelait en 1997 « l’international humanitaire », c’est-à-dire « l’élite transnationale des travailleurs humanitaires, fonctionnaires chargés de distribuer l’aide, universitaires, journalistes et autres, ainsi que les institutions pour lesquelles ils travaillent » (de Waal 1997/2006, xv). Mais selon ma lecture, le terme d’humanitarisme global comprend bien plus que la définition de Alex de Waal. Le terme fait référence non seulement à un positionnement géographique, mais aussi conceptuel, épistémique/épistémologique, et cosmologique-religieux. Il fait référence non seulement à la myriade d’organisations [organisations non gouvernementales internationales (ONGI), organisations non gouvernementales (ONG), organisations confessionnelles (OC), organisations intergouvernementales (OIG), États, grandes fondations donatrices] et de personnes qui s’engagent dans l’aide humanitaire et l’assistance à long terme, mais aussi aux structures de connaissance dont elles viennent et qui fournissent leur éthos opérationnel et organisationnel et aux pratiques qu’elles exportent dans le monde entier, y compris sur le continent africain. Ces structures de connaissance sont actuellement modernistes au sens où elles incluent une croyance et un engagement envers : a) la valeur du progrès linéaire, b) des indicateurs et des programmes conçus pour obtenir des résultats prédéfinis, et c) des façons techniques et scientifiques d’accéder aux problèmes et de les résoudre. Elles tendent également à intégrer l’acceptation (parfois à contrecœur) de l’autorité de l’État-nation et des organisations internationales, et une croyance ainsi qu’un engagement envers l’observance universelle des droits de l’homme (bien qu’on puisse contester cela au niveau des détails). Enfin, elles sont à la fois sécularistes dans leur conscience primaire de soi, et pourtant majoritairement chrétiennes dans leur évolution historique. Chacune de ces caractéristiques façonne des aspects importants de l’international humanitaire contemporain.
En s’alignant sur les objectifs de Global Africa, particulièrement celui de « (re)problématiser les défis mondiaux et leur gouvernance à partir de l’Afrique », il existe au moins trois raisons essentielles de reconfigurer et recentrer l’humanitarisme mondial en Afrique. Au lieu de démarrer par les aspects problématiques de l’humanitarisme, je commencerai par le raisonnement le plus important, qui est cosmologique-religieux, ontologique et épistémologique. Il est crucial de s’appuyer sur la riche multiplicité des visions africaines du monde, des manières d’être et des modes de connaissance de ce continent, de la relationalité entre donneur et receveur, humain et non-humain, des cosmologies qui reconfigurent la temporalité et donnent la priorité à l’intégralité pour reconfigurer l’entreprise humanitaire afin qu’elle atteigne ses objectifs présumés. En ce sens, les visions du monde et les spiritualités africaines font se lever des modes de connaissance et de relation entre les humains, et entre eux et les non-humains qui mettent au centre la guérison écologique qui doit être au cœur des objectifs humanitaires actuels et futurs, et qui dévalorisent en conséquence le développementalisme fondé sur le marché, qui – de ce point de vue – a causé d’énormes dommages. En d’autres termes, elles inversent complètement la hiérarchie actuelle de la connaissance telle qu’elle existe dans l’humanitarisme développementaliste, offrant de nouvelles façons de comprendre les mots à la mode dans l’humanitaire, tels que « partenariat », « durabilité » et « résilience ». Ce faisant, elles reconfigurent les conceptions de la guérison, de la santé et du bien-être – au cœur des objectifs humanitaires – qui ne reposent pas exclusivement sur des onto-épistémologies imposées de l’extérieur (Phiri et Nadar 2006 ; Ogunnaike 2020). Elles se connectent aussi à des cosmologies similaires autour du globe, y compris les cultures et les religions celtiques, arctiques, latino-américaines et celles d’Asie du Sud et de l’Est.
Le recentrage met à jour les deuxième et troisième raisonnements, dont chacun révèle les faiblesses du système humanitaire actuel. Comme l’ont documenté de nombreux chercheurs africains et de la diaspora africaine, l’ignorance et le déclassement des cosmologies, des traditions religieuses et des pratiques africaines, se sont accomplis à travers la violence coloniale et missionnaire, qui a structuré les relations économiques et politiques/juridiques africaines et les relations culturelles et religieuses, respectivement, pour refléter les intérêts dominants et la cosmologie de la métropole (pour de puissantes perspectives sur cette histoire, voir Rodney 2018 [1972] ; Fanon, 1961 ; Phiri et Nadar 2006 ; Mbembe 2001 ; Mamdani 2018, parmi de nombreux autres). Pourtant, la plupart des commentateurs du « Grand Débat sur l’Aide » (Gulrajani 2011) notent que les pratiques humanitaires (développement inclus) émanant de la cosmologie métropolitaine et de l’onto-épistémologie n’ont pas « vaincu la pauvreté », ni créé des moyens de subsistance pérennes, ni engendré une paix durable au sein de certains États africains ou entre eux. En fait, selon Tim Murithi (2009), le résultat fut plutôt un « colonialisme de l’aide », c’est-à-dire une perpétuation du contrôle externe par le biais de programmes d’aide[1]. Plus encore, de nombreux anciens travailleurs humanitaires et universitaires du Nord global ont déploré l’absence de véritables partenariats dans la prise de décision en matière d’aide, depuis l’élaboration des demandes de propositions de financement (RfP) jusqu’à la mise en œuvre de l’aide (Autesserre 2014; Barnett 2017; Fassin 2012; Fast 2017; Johansson 2018).
Au lieu de cela, ce que Tanya Schwarz et moi-même appelons le « prosélytisme des donateurs » (Lynch et Schwarz 2016) continue de réinscrire une temporalité progressiviste et linéaire, dont la priorité est la recherche de réussite des projets au moyen de normes discutables, au lieu d’apporter un soutien égalitaire et équitable aux projets humanitaires. Le prosélytisme des donateurs « implique que des pressions s’exercent pour l’acceptation de types particuliers d’engagements et pratiques idéologiques de la part des ONG ». Cependant, au lieu d’exiger des gens la participation à des « réunions de prière comme condition pour recevoir de l’aide », le prosélytisme des donateurs promeut des objectifs et des méthodes néolibérales (Lynch et Schwarz 2016). Ces méthodes sont « prêchées », inculquées et, surtout, requises comme étant les « meilleures pratiques » pour garantir professionnalisme et responsabilité. Pourtant, dans plusieurs de mes propres entrevues, des représentants d’organisations conféssionnelles et d’ONG au Kenya, au Cameroun et en Afrique du Sud ont évoqué les implications négatives du prosélytisme des donateurs, y compris – mais sans s’y limiter – le fait de consacrer énormément de temps à remplir des tas de formulaires pour documenter les types d’indicateurs requis par les donateurs, que de tels indicateurs puissent démontrer ou non que les bénéficiaires de l’aide s’en sortent mieux du fait de l’assistance fournie (p. ex. Lynch 2011a).
Il existe toutefois quelques contre-exemples à ce type de micro-contrôle. Le plus répandu, peut-être, est la tendance de nombreux groupes « de terrain » à reconfigurer les projets d’aide en vue de garantir une conformité formelle avec les rapports rédigés par les donateurs, tout en créant des ouvertures en faveur d’autres façons de mener à bien les projets (par exemple, Reiling 2017). Apparemment, une autre tendance potentielle plus récente provenant apparemment de l’intersection de la Covid-19, du mouvement Black Lives Matter et des recherches destinées à montrer des résultats positifs en faveur des transferts monétaires directs concerne l’octroi de subventions très importantes à des groupes transversaux de praticiens (et parfois d’universitaires) sur une période de temps significative, afin de fournir les ressources nécessaires à une profonde ré-imagination de problèmes « insolubles » (par exemple, l’oppression raciale mondiale, des relations internationales inéquitables et le changement climatique). Le but est d’offrir aussi une plus grande flexibilité, afin d’ajuster les programmes en cours. Le récent appel d’offres de la Fondation Kellogg en est un bon exemple : il déclare que « les systèmes qui perpétuent l’iniquité et l’injustice sont le fruit de plusieurs générations. Racial Equity 2030 offre une chance de réimaginer et de construire un avenir où se concrétisera l’équité » (Racial Equity 2030). Les sommes accordées sont considérables (20 millions de dollars sur dix ans pour les trois à cinq bénéficiaires finaux), mais l’idée reste relativement originale dans le milieu des fondations. Cependant, le processus est également critiqué, car il perpétue une « prise de décision méritocratique [qui] dérive des approches de marché » au lieu d’une approche de construction de mouvement (par exemple, Bezahler 2020)[2]. Par conséquent, malgré les tentatives de reconfigurer les projets en fonction des besoins émergents, ou de fournir des transferts d’argent de plus ou moins grande importance, les bailleurs de fonds continuent généralement à perpétuer des relations de pouvoir inégales entre donateurs et bénéficiaires. En recentrant l’humanisme en Afrique, y compris ses contributions cosmologiques, religieuses et onto-épistémologiques, on peut démontrer comment et pourquoi ces relations sont improductives et doivent être inversées. Les ressources devraient être fournies à long terme, de manière totalement transparente, et données sans condition en tant que faisant partie de mécanismes intégrés de réparations. Avec une telle configuration, la guérison du monde mettrait en scène des projets cosmologiquement innovants, dont le « succès » est difficile à mesurer de manière conventionnelle.
La troisième raison du recentrage de l’humanitarisme en Afrique est intimement liée aux deux autres et porte sur la question de la représentation des bénéficiaires et des pourvoyeurs d’aide, combinée à la définition opérationnelle, mais implicite, de l’humanité elle-même de la part des acteurs du complexe de l’aide humanitaire. Historiquement, en commençant tout au moins par le travail de Frantz Fanon, la dégradation de la dignité humaine des Africains par les acteurs coloniaux et missionnaires a été démasquée et critiquée. L’humanitaire aujourd’hui, pourrait-on raisonnablement penser, devrait par définition rectifier les modes de pensée néfastes et les pratiques qui leur sont associées, qui ont constitué les formes coloniales d’« aide » et qui ont créé et maintenu de nouvelles formes d’asservissement. Mais à ce jour, les organisations humanitaires continuent de donner la priorité à des formes de production de la connaissance qui, au mieux, continuent à traiter de haut les récipiendaires, perpétuant des représentations de l’ère coloniale reconfigurées dans le présent (voir par exemple Fassin 2012 ; Ngugi 2012 ; Kemedjio 2009).
Là encore, la recherche et les systèmes de pensée africains concernant l’« humain » ouvrent la voie en recentrant notre connaissance de l’humanité, des relations humaines et donc de l’humanitarisme. Le travail féministe du Circle of Concerned Women African Theologians (« le Cercle » ; Mombo 2003), le travail contextuel des théologiens sud-africains, la reconnaissance des concepts d’Ubuntu, Ukama, et Terenga (Murove 2009) ; le travail philosophique sur l’humain (par ex., Grovogui, à paraître), et le leadership des guérisseurs africains qui s’est révélé à travers de PROMETRA et des OIG (https://prometra.org/ ; OMS 2013) fournissent de nombreuses sources, outre les témoignages, rituels et pratiques des communautés dans tout le continent (par exemple, Ngugi 2012). Ces systèmes de pensée, une fois encore, supposent généralement des relations holistiques avec des entités non humaines. Il est de plus en plus évident que de telles relations sont cruciales pour la survie des humains et des non-humains (voir, par exemple, le rapport d’août 2021 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, GIEC). La représentation a donc des répercussions à la fois onto-épistémologiques et matérielles.
Il est devenu aussi bien à la mode que nécesaire, dans le milieu universitaire occidental (d’abord pour l’anthropologie, mais aussi désormais pour les sciences politiques interprétatives), d’énoncer sa position quand on écrit sur les rélations Nord/Sud ou en fait sur pratiquement tous les types de relations intersectionnelles – principalement en vue de percevoir la situation géographique et le caractère situé des chercheurs, et ainsi rejeter l’illusion d’une science sociale objectiviste. J’écris ceci à partir de ma positionnalité de femme blanche, occidentale, cisgenre, spécialiste des relations internationales, de l’humanitarisme, de la religion et de l’éthique, dont l’objectif principal dans cet article concerne l’intersection de ces questions au niveau des relations entre les sociétés et États africains et ceux du Nord global. On pourrait se demander pourquoi j’écris. Je n’écris pas pour « orienter » la discussion sur le recentrage de l’humanitarisme en Afrique ni pour créer une grande théorie de l’humanitarisme africain. Ce n’est pas de mon ressort. Je suis plutôt motivée par des rélations de longue date avec des chercheurs et des étudiants africains, et par les mouvements dé-coloniaux dans le milieu universitaire, pour faire valoir le devoir qu’ont des chercheurs comme moi de mettre en valeur et de suivre la voie tracée par nos pairs continentaux dans nos propres travaux, et lorsque cela est possible, de jouer notre partition avec eux pour la relier à d’autres humanismes et holismes (par exemple, celtique, arctique, peuples premiers) là où nos propres positionnalités ou recherches nous mènent[3]. Un tel travail peut contribuer à recentrer l’humanitarisme sur le continent, ainsi qu’à décoloniser le milieu universitaire et à modifier notre compréhension du « global », en montrant comment les ontologies et les épistémologies longtemps ignorées par la « modernité » occidentale sont en fait présentes dans toutes les régions du monde.
Dans cet article, j’emploie le terme « cosmologie » pour désigner une compréhension de la « place » multidimensionnelle des êtres (humains et non humains) dans l’univers. Cela est proche, mais pas entièrement synonyme, du terme qui en astronomie désigne l’étude de « l’origine et de l’évolution de l’univers ». Selon moi, cependant, la cosmologie est lié à des idées portant sur ces origines et cette évolution, mais aussi à des « traditions » religieuses, c’est-à-dire à des idées sur la relation appropriée des êtres dans l’univers entre eux. Ainsi, les perspectives cosmologiques sont généralement constitutives des perspectives religieuses (en utilisant une conception expansive de la religion). Elles sont également intimement liées aux questions d’ontologie et d’épistémologie : Quelles sortes d’« être » (et d’« êtres ») sont perçues comme comptant dans le monde pour les relations que nous étudions, et comment nous nous y prenons pour les étudier ; c’est-à-dire quelles formes de connaissance paramètrent nos processus de collecte de savoirs et d’interprétation des exemples recueillis dans le monde ? Certaines cosmologies et religions, en particulier, peuvent inclure des compréhensions des êtres et des façons de les connaître qui se meuvent entre les mondes immanent et transcendant ; qui donnent la priorité à l’un ou l’autre, ou qui posent des relations hiérarchiques ou non hiérarchiques entre les humains, et entre eux et les non-humains (animaux, planètes, feu, eau, air, esprits). Les cosmologies et les traditions religieuses peuvent également être hybrides ou syncrétiques. Par conséquent, ce qui est souvent présenté comme une forte distinction entre les onto-épistémologies « modernes » et les onto-épistémologies « indigènes » peut au contraire être considéré comme un éventail à multiples facettes de possibilités syncrétiques.
Ouvertures et mandats cosmologiques et onto-épistémologiques
Nous entrons dans un moment historique où les penseurs du Sud global reconfigurent les onto-épistémologies, y compris en faisant avancer la théologie dite « des marges » (cf. de La Torre et Floyd-Thomas 2011 ; alors qu’il serait peut-être plus exact de dire qu’il s’agit en fait d’un noyau reconfiguré ? étant donné mon affirmation précédente) et en forçant des ouvertures vers des perspectives cosmologiques qui fournissent une alternative à ce qui en est venu à être connu comme la modernité (occidentale). Bien que cette réflexion n’ait jamais cessé (par exemple, Oduyoye 2001 ; Ela 2005 ; Martey 2009), elle prend de plus en plus d’importance (voir, par exemple, Bongmba 2020 ; Opongo et Bere 2021 ; le dialogue entre le Programme religion et théologie de l’Université Kwa-Zulu Natal et les Églises initiées africaines – AIC). Étant donné l’auto-questionnement de nombreux Blancs en Occident suscité par le Mouvement des Black Lives (M4BL) et le racisme démontré par les gouvernements autoritaires, actuels et antérieurs, aux États-Unis, en Hongrie, au Royaume-Uni, en Pologne et au Brésil, entre autres, un plus grand nombre de chercheurs occidentaux profitent de ce moment pour examiner leurs propres histoires et préjugés disciplinaires.
Il s’agit donc d’un moment fort de remise en question de la modernité sous son aspect progressiviste. On assiste à un profond réexamen de nombreuses facettes de la modernité occidentale, émanant de ses entrailles mêmes. Aux États-Unis, par exemple, le récit triomphaliste de l’histoire américaine conventionnelle comme libératrice et pourvoyeuse de droits a été ébranlé dans ses fondements. Les critiques se sont cristallisées autour du Projet 1619 (Hannah-Jones 2019), publié en août 2019 par le New York Times. Ce projet reconfigure l’histoire des États-Unis pour qu’elle ne commence pas avec la Révolution américaine de 1776, mais plutôt avec l’arrivée en 1619 des premiers esclaves sur les rives de l’État de Virginie. Depuis 2019, presque toutes les instances scolaires du pays ont été poussées à agir ; soit pour instituer des changements dans les programmes scolaires afin d’intégrer (plutôt que d’ignorer) la progression et l’institutionnalisation à plusieurs niveaux du racisme systémique depuis l’ère de la colonisation jusqu’à aujourd’hui ; soit pour s’engager dans un débat véhément sur l’opportunité et la manière d’enseigner l’esclavage, le génocide des peuples indigènes et les structures toujours en place du racisme systémique. Certaines législatures d’État, dans un déni et un retour de bâton significatifs, ont interdit l’enseignement du Projet 1619, en l’intégrant dans leur représentation erronée de la « théorie critique de la race » comme fantasme inventé du « racisme inversé » (Schwartz 2021 ; Baker 2021).
La reconnaissance du racisme systémique a également fait mouche dans certaines Églises chrétiennes traditionnelles, surtout en 2020. Notamment, les organisations chrétiennes traditionnelles aux États-Unis, qui reconnaissent leur rôle dans la violence du colonialisme – et certaines tentent même d’imaginer de possibles réparations. Des groupes d’étude sur Zoom et des webinaires sur la « Doctrine de la découverte » ont fleuri. Cette doctrine du XVe siècle, proposée par le pape Alexandre VI, s’appuyait sur le concept de « terra nullius ». Conjugué à des hiérarchies de classification des personnes déterminées par la race et la religion, il donnait aux colonisateurs européens le « droit » de conquérir et coloniser des territoires non chrétiens, tout en éradiquant, réduisant en esclavage ou convertissant de force les populations indigènes du monde entier. La doctrine était un fondement essentiel de légitimation de la traite transatlantique des esclaves dans le « droit international » naissant. Elle a d’ailleurs été intégrée au droit américain par la décision de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Johnson contre M’Intosh en 1823, devenant ainsi un fondement essentiel de l’expansion américaine sur le continent. Elle a ainsi institutionnalisé la suprématie blanche antinoire et anti-indigène, et justifié la violence politique et religieuse contre les « autres », les Non-Européens, chrétiens ou non.
L’activisme dirigé contre cette doctrine s’est coalisé au début des années 2010, lorsque les groupes autochtones de l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones ont demandé à l’ONU de répudier la doctrine et « d’enquêter sur les revendications territoriales historiques » (ECOSOC 2012) ; et la Convention générale de l’Église épiscopale américaine adopta en 2009 une résolution renonçant à la doctrine (Indian Country Today l’a qualifiée de « première action du genre dans le monde chrétien », Toensing 2009). L’Église catholique n’a pas rejeté la doctrine, affirmant lors du Forum sur les questions indigènes de 2012 que, selon la bulle papale de 1537 entre autres décrets de 1741, « les peuples indigènes et autres qui seraient découverts par les chrétiens ne devaient pas être privés de leur liberté. Ils pourraient jouir de leur liberté et de la propriété de leurs biens ». Lucas Swanepoel, le représentant du Saint-Siège, a également noté que le Vatican II condamnait « la conversion forcée des non-chrétiens » et que l’Église catholique « avait toujours recherché dialogue et réconciliation » avec les peuples autochtones du monde entier (ECOSOC 2012). Cependant, toutes les sources catholiques n’ont pas été aussi conciliantes. Le National Catholic Reporter (importante source médiatique catholique basée aux États-Unis), par exemple, a publié en 2015 une série de cinq articles très critiques à l’égard de la doctrine et de ses implications pour les peuples autochtones des Amériques (Rotondaro 2015).
Depuis que les meurtres de George Floyd, Breonna Taylor et de nombreuses autres personnes en 2020 ont galvanisé le Movement of Black Lives (M4BL) dans le monde, la doctrine et la complicité de longue date des Églises en matière de racisme aux États-Unis sont devenues la base d’un auto-questionnement communautaire, dans certaines églises américaines traditionnelles, au niveau paroissial[4]. Dans le même temps, le discours sur le développement « séculier » évolue également, du moins en théorie. « Décoloniser le développement » est devenu la plus récente tendance discursive. L’influente Development Studies Association (DSA), basée au Royaume-Uni, a lancé en septembre 2020 un groupe d’étude sur la « décolonisation du développement ». Selon la DSA, « 33 % des sondés britanniques, 32 % des sondés japonais, 30 % des sondés français et 27 % des sondés néerlandais déclarent respectivement qu’ils pensent que les pays qu’ils ont anciennement colonisés sont “mieux lotis” grâce à la colonisation » (sondage YouGov 2020). Parallèlement, il se fait opportunément sentir le besoin de discussions critiques sur les façons dont l’histoire influence les conceptions contemporaines du pouvoir et de la nation (https://www.devstud.org.uk/studygroup/decolonising-development/).
Pourtant, à l’heure actuelle, un grand écart se creuse entre ces processus de prise de conscience et leur traduction en a) une ouverture cosmologique et onto-épistémologique, et b) la conceptualisation et la mise en œuvre de programmes humanitaires réels. L’auto-examen des Églises, des ONG et des organisations confessionnelles, des universitaires et des donateurs doit inclure l’exploration ouverte d’autres manières cosmologiques et religieuses d’accéder au monde et d’y être.
Un coup d’œil sur plusieurs sites d’ONG et d’organisations confessionnelles de premier plan (dont Catholic Relief Services (CRS), Episcopal Relief et Development (ERD), Lutheran World Relief (LWR), Mennonite Central Committee (MCC), American Friends Service Committee (AFSC), Médecins sans frontières (MSF), et Oxfam), montre que seuls le MCC et l’AFSC ont commencé à examiner pour leur travail la signification de l’histoire coloniale et missionnaire. Depuis un an, le personnel du MCC est en train d’explorer The Color of Compromise: The Truth About the American Church’s Complicity in Racism, de Jemar Tisby (2019); et le site présente un webinaire du mouvement anabaptiste, « Dismantling the Doctrine of Discovery » (https://dofdmenno.org/), bien que le reste du site présente des histoires et appels conventionnels d’aide et de développement. Sur son site, l’AFSC n’inclut pas d’auto-examen explicitement historique, mais son objectif central est la justice économique et sociale (ce qui est assez exceptionnel parmi les groupes humanitaires) ; elle soutient Black Lives Matter (BLM) et appelle à démanteler les systèmes de suprématie blanche (https://www.afsc.org/newsroom/we-wont-stop-until-we-dismantle-whole-racist-system).
Le fait de reconnaître le racisme du passé colonial et missionnaire ainsi que de l’humanitaire actuel tend à ouvrir un questionnement sur les onto-épistémologies coloniales et missionnaires qui ont soutenu de telles constructions. L’étape suivante consiste à se demander quelles « alternatives » pourraient exister, ce qui peut conduire à une ouverture plus cosmologique/religieuse. Le recentrage aussi bien figuratif que littéral est une partie importante de ce processus. Mais il est également important de comprendre la profondeur et l’ampleur de l’échec du système humanitaire actuel.
Objectifs humanitaires défaillants et vacillants
Le manque relatif d’auto-interrogation historique par les ONG et les organisations confessionnelles est intéressant, car, comme l’ont noté de nombreux chercheurs/anciens travailleurs humanitaires, les projets humanitaires « religieux » et « laïcs », y compris leurs composantes développementalistes, échouent fréquemment (Anyidoho 2012 ; Johansson 2018 ; Fast 2017 ; Autessere 2014 ; Ager et Ager 2015 ; Lynch 2015, 2016 ; Fassin 2012). Universitaires et activistes de l’Ouest/Nord global attribuent ces échecs à plusieurs causes, notamment la norme du secteur humanitaire, qui consiste à privilégier les connaissances « techniques » au détriment du savoir « local » (Autesserre 2014) ; le problème du manque d’écoute (Johansson) ; le refus de partager la prise de décision et l’autorité (Fast), et les préjugés sécularistes de ce secteur (Ager et Ager 2015). C’est tout cela qui empêche de comprendre l’importance de la spiritualité et des autres besoins non physiques des récepteurs de l’aide[5]. Ces auteurs élucident des éléments importants du problème. En outre, le complexe d’aide occidental des activistes et des universitaires doit reconnaître les échecs ontologiques, épistémologiques et cosmologiques d’un désir d’aider les autres qui est découplé des considérations historiques, racistes et intersectionnelles, et qui reste encore beaucoup trop fermé aux ontologies relationnelles et holistiques qui restreignent ou rejettent les temporalités progressivistes. Ces temporalités progressivistes, à leur tour, sont constitutives du « prosélytisme des donateurs » néolibéral, basé sur le marché, et qui donne priorité aux évaluations chiffrées d’efficacité et de réussite. En même temps, le désir humanitaire des Occidentaux – c’est-à-dire aider ceux qui, « ailleurs », souffrent ou sont dans le besoin (par exemple, Malkki 2015) – renforce les hiérarchies entre ceux qui sont donneurs et ceux qui sont receveurs, les mondes de l’immanence et ceux de la transcendance, et les « religions mondiales » (au sens wébérien) par rapport aux religions « indigènes » ou « traditionnelles ».
Les manifestations de tels binômes et temporalités restent typiques des sites Web des ONG/OBF mentionnés ci-dessus (à l’exception de l’AFSC). C’est le cas même lorsque les partenariats communautaires/de base/« locaux » sont devenus l’une des revendications les plus importantes des ONG et des organisations confessionnelles – ces tentatives de partenariat sont aussi régulièrement critiquées pour ne pas avoir été à la hauteur des espérances (Johansson 2018). Les sites des ONG et des organisations confessionnelles privilégient toujours des perspectives tournées vers l’avenir, mais en éludant les détails de la façon dont les injustices passées ont été créées, se limitant à promettre des programmes communautaires et à fournir des mesures chiffrées de performance. La page « What We Believe » du site d’Oxfam, par exemple, explique : « Selon nous, la pauvreté est soluble, c’est un problème qui prend racine dans l’injustice. Donc, éliminez l’injustice et vous éliminerez la pauvreté. Nous ne disons pas que ce sera rapide ou facile, mais c’est possible » (https://www.oxfamamerica.org/about/what-we-believe/). Dans ce cadre, l’injustice est nommée, mais on ne lui donne pas une histoire spécifique. Le CRS et ERD fondent leur travail sur, respectivement, l’obtention d’un « changement durable » et des « résultats authentiques et pérennes ». Le CRS déclare : « Nous mettons notre foi en action pour aider les plus pauvres du monde à créer un changement durable », en affichant bien en évidence les mots « foi.action.résultats » (https://www.crs.org/about/mission-statement) ; de son côté, le travail d’ERD se concentre sur « trois priorités qui changent la vie [enfants, femmes, climat] pour obtenir des résultats authentiques et pérennes » (https://www.episcopalrelief.org/). Ces déclarations, garantissant aux donateurs des résultats, sont typiques. La FLM va cependant plus loin en promettant « d’aider les gens à devenir autonomes et à créer de nouvelles approches communautaires de résolution de problèmes qui se prolongeront longtemps après la fin de nos projets » (https://lwr.org/about-lwr). La plupart des groupes fournissent à divers endroits de leurs sites Web des évaluations du nombre spécifique de bénéficiaires, mais la page d’accueil de MSF présente les chiffres totaux actuels de consultations externes, de cas de paludisme traités, de patients admis et des pays dans lesquels elle opère (88) (https://www.msf.org/). Bien que MSF (ainsi que d’autres organisations) fournisse des soins cruciaux, il est également évident que le nombre des consultations et des patients admis ne dit rien sur la santé des personnes bénéficiant de ces prestations après leur admission.
Ces exemples suggèrent que les bases néolibérales et progressivistes du monde de l’aide humanitaire sont bien ancrées et aussi extrêmement multiformes. Cela signifie que, si à bien des égards, elles sont profondément contestées par les participants et les observateurs africains, elles sont aussi fréquemment acceptées et observées par des groupes sur le continent. La multiplicité des strates et ramifications se traduit par la coexistence d’un large éventail d’approches de la manière de faire de l’humanitaire en Afrique. Il se trouve que les universitaires africains et occidentaux, les organisations d’aide basées en Afrique et en Occident, ainsi que les travailleurs humanitaires africains et occidentaux expriment souvent des sentiments contradictoires vis-à-vis des critères de performance, des expressions à la mode (« renforcement des capacités », « durabilité », « partenariat ») et du phénomène de « dépendance ».
Par conséquent, on en vient à se demander quels changements se produiront si l’humanitarisme mondial continue d’être centré en Occident – comme c’est le cas depuis des générations – plutôt qu’en Afrique. Il existe certainement des similitudes de sensibilités humanitaires entre continents. Depuis deux ans, l’écoute d’étudiants, tant kenyans, sud-africains et sénégalais que californiens, lors de mes séances de formation en ligne « Critical Investigations into Humanitarianism in Africa », le travail de coédition du CIHA Blog (www.cihablog.org), ainsi que mes entretiens avec des travailleurs humanitaires à travers le continent, pour mes propres recherches, confirment ce large éventail de perspectives. Le recentrage de l’humanitarisme en Afrique devrait nécessairement prendre en compte ces engagements multiformes envers certains aspects de l’aide humanitaire contemporaine, y compris ses hypothèses néolibérales et basées sur des indicateurs – actuellement dominantes ; reprendre les remises en question de ces hypothèses et des pratiques imposées à ceux qui les mettent en œuvre ainsi qu’à ceux qui reçoivent l’aide ; et se fonder sur la redéfinition des cosmologies religieuses et des onto-épistémologies auxquelles les populations du continent ont accès pour comprendre les relations entre les êtres sur la planète. En outre, le concept premier qui façonne la distribution des fonds humanitaires et pratiques connexes devrait émerger d’une relation donneur-récepteur radicalement inversée.
(Mauvaise) représentation et renversement de perspective
Plus précisément, un tel renversement de perspective conduit à la troisième raison de centrer l’humanitaire en Afrique, et s’accorde avec une puissante construction perceptuelle articulée par Ngugi wa Thiong’o. Dans son livre Something Torn and New, publié en 2009 – ainsi que dans ses commentaires lors d’une conférence organisée en 2009 à l’université de Californie, Irvine – Ngugi a appelé à inverser notre compréhension des identités respectives du donneur et du bénéficiaire dans la relation d’aide entre Occident et Afrique. « À mon avis, l’Afrique n’a, littéralement, jamais cessé de donner » (UCI 2009). « [L]a relation du continent au monde a jusqu’à présent été celle d’un donateur en faveur de l’Occident. L’Afrique a beaucoup donné : ses êtres humains, ses ressources, et même ses productions spirituelles, par le biais d’Africains s’exprimant dans des langues européennes. Nous devrions nous efforcer de faire la même chose dans l’autre sens » (Something Torn and New, p. 128). L’appel de Ngugi exhorte principalement les Africains à se réapproprier leur mémoire (notamment par l’utilisation et la valorisation des langues africaines), c’est-à-dire à s’éloigner de la « mémoire européenne post-renaissance et reprendre le droit et l’initiative de nommer le monde en se reconnectant à la nôtre » (Something Torn and New, p. 130). Dans cette acception, le re-membrement est un acte à la fois physique et métaphysique. C’est savoir que les colonisateurs ont pris grand soin de dé-membrer tout ce (ceux) qui leur résistai(en)t et de détruire les sites sacrés. De même, les missionnaires ont activement supprimé rites religieux et langues locales, punissant physiquement les étudiants des écoles confessionnelles qu’ils prenaient à parler leur langue maternelle (Ngugi 2012).
Ce troisième raisonnement pour recentrer l’humanitarisme mondial en Afrique a donc trait à la nécessité d’inverser la déshumanisation pluri-séculaire des peuples africains et la négation de leur personnalité par le biais de pratiques, de discours et de représentation, depuis « l’âge des explorations » de ce continent, jusqu’à aujourd’hui. Cette déshumanisation, comme nous le savons maintenant, a été accomplie par la création de catégories raciales hiérarchiques qui reléguaient les Africains au bas de l’échelle, et par la croyance en des hiérarchies religieuses qui plaçaient les religions « modernes » ou « mondiales » au-dessus des « primitives » (lire : indigènes) (comme dans Weber [1920] 1993). Ngugi, dans d’autres travaux, a parlé de la nécessité d’exhumer et d’éliminer les façons dont cette déshumanisation a été intériorisée par les peuples africains, et l’a nommée « l’indispensable décolonisation des esprits ». Au bout du compte, la déshumanisation des peuples africains, combinée à la prise de conscience que l’Afrique et les Africains sont des donneurs et les Occidentaux des receveurs requiert que la perception/représentation actuelle dominante de la relation change radicalement et se recentre sur le continent lui-même.
Eileen Wakesho et Omaymi Gutbi (2018) soulignent que les dons de l’Afrique à l’Occident se poursuivent par le biais de l’extraction illégale. En 2015, l’ONU a, conjointement avec l’Union africaine (UA), publié un rapport estimant à « 60 milliards de dollars US le manque à gagner qui échappe illégalement à l’Afrique chaque année » – chiffre énorme qui n’inclut pourtant pas l’expropriation et l’extraction « légales » actuelles[6]. L’intersection des formes illégales et légales d’extraction/épuisement des ressources du continent repose sur la cupidité (antithèse du généreux élan humanitaire) au service de représentations racistes de l’humain. Certes, l’action humanitaire fournit aide et soins plutôt que de servir une quelconque cupidité, mais elle propose aussi une version plus douce de représentations racialisées similaires pour ériger ainsi les peuples africains en victimes passives, ayant besoin de connaissances et d’expertise extérieures (Kemedjio 2017).
Les critiques de la représentation des bénéficiaires africains de l’aide abondent. Non seulement dans la presse écrite (voir les nombreuses contributions au blog du CIHA, par exemple), mais aussi dans des vidéos. Le groupe sud-africain/norvégien Radi-aid a créé une série de parodies brillantes des hypothèses racialisées et victimaires sous-tendant l’aide occidentale au continent (https://www.radiaid.com/). D’autres vidéos se moquent de la tendance, en vogue chez des Occidentaux blancs, à se photographier au milieu d’enfants africains (Barbie Savior), et de la tendance des ONG à décider de ce que veulent les sociétés africaines ou à définir leurs besoins (My Aid Life). Je commence fréquemment mes cours sur l’humanitarisme avec des vidéos des concerts Band-Aid de 1984 au Royaume-Uni et aux États-Unis. Ces concerts, organisés pour collecter des fonds en faveur des victimes de la famine en Éthiopie, attirèrent la quasi-totalité des plus célèbres musiciens rock des deux pays (la première vidéo de Radi-Aid représente une comique et pertinente inversion des rôles de ces concerts).
Le logo le plus connu des concerts représentait une guitare dont la silhouette évoquait celle de l’ensemble du continent africain, et pourtant cette famine avait sévi dans sa partie nord-est exclusivement. Les étudiants américains sont souvent embarrassés, certains même horrifiés, lorsqu’on leur demande de réfléchir sur ces clips vidéo. Pourtant, d’autres concerts similaires ont été offerts en 2014, afin de collecter des fonds pour les victimes du virus Ebola. En dépit d’une série de critiques plus renseignées de l’initiative de 2014 (Adewunmi 2014), les sites Web des ONG et des organisations confessionnelles tendent aujourd’hui à présenter un pêle-mêle d’Africains bénéficiaires de l’aide – passifs (mais souvent souriants) –, accompagné de déclarations sur l’autonomisation des communautés. Le message global continue de renforcer les représentations reflétant des hiérarchies épistémologiques, raciales et cosmologiques-religieuses qui placent les Occidentaux dans la position de détenteurs du savoir et du pouvoir, se penchant sur le sort de moins fortunés qu’eux, sans aucune référence à l’histoire antérieure et sans examen des hypothèses onto-épistémologiques.
Quelques points pour conclure
J’ai soutenu que l’humanitarisme mondial a besoin d’un recentrage littéral et figuratif, de l’Occident vers l’Afrique. Dans cette construction, le recentrage est une entreprise à la fois physique/géographique et autoritative/ontologique, comportant aussi des ramifications épistémologiques et cosmologiques.
Je n’ai pas tenté ici de développer une cosmologie alternative ou une onto-épistémologie pour l’humanitarisme mondial. J’ai néanmoins suggéré que les conceptions africaines de l’holisme temporel, spirituel et matériel sont essentielles. Toutefois, il est important de ne pas idéaliser les autres manières d’être, tout comme il est important de reconnaître l’imbrication de différentes épistémologies dans l’humanitaire international actuel. En d’autres termes, le recentrage n’est pas un événement déconnecté de l’ensemble, mais une reconnaissance des préjudices passés et présents, ainsi qu’un engagement à acquérir la compréhension de nouvelles possibilités pour le soin et la guérison mutuels.
En quoi la construction décrite ici est-elle similaire ou différente d’autres conceptualisations du pluralisme onto-épistémologique, telles que « les mondes multiples » (Agathangelou et Ling 2009), « le plurivers » (Escobar 2018) ou le « Ch’ixi » (Scauso 2020) ? Chacune de ces dernières évoque la nécessité de niveler, en quelque sorte, la cosmologie de la modernité, pour qu’elle ne devienne qu’une cosmologie parmi d’autres, en élevant d’autres sortes d’onto-épistémologies et de relationalités, pour les mettre à égalité. Mais la théorie que j’esquisse émane également de la reconnaissance et de l’observation de nombreuses onto-épistémologies hybrides et syncrétiques sur tout le continent africain (ainsi qu’ailleurs dans le monde), et de leur infusion dans le discours et de la pratique humanitaires. En ce sens, le recentrage de l’humanitarisme en Afrique adopte les complexités de l’humanitarisme contemporain comme elles sont, mais met à jour et fait émerger les couches cachées du palimpseste cosmologique du continent comme sources et ressources humanitaires, pour les sociétés africaines et occidentales, ainsi que celles du monde entier.
Notes
Ma définition de « l’humanitarisme » a toujours fait référence à la fois aux secours d’urgence et aux projets à plus long terme pour ce que l’on appelle le « développement », notamment en termes d’infrastructures, d’éducation et de soins de santé. Des termes tels que « consolidation de la paix » sont donc également inclus. Ma définition est large pour des raisons pratiques, éthiques et épistémologiques. En pratique, la plupart des organisations (mais pas toutes) qui s’engagent dans l’aide d’urgence mènent également des projets de développement à des degrés divers (par exemple, Oxfam, World Vision, Save the Children, Episcopal Relief and Development, Caritas, etc.). Sur le plan pratique et éthique, l’aide d’urgence et l’aide au développement peuvent être contradictoires (par exemple, l’apport massif de nourriture de l’extérieur pour lutter contre la famine compromet la capacité à (ré)établir des sources de nourriture à l’intérieur du pays, et vice versa). D’un point de vue éthique et épistémologique, la division entre « aide d’urgence » et « développement » est une division technocratique, qui divise la souffrance et la pauvreté en catégories qui fonctionnent principalement pour les donateurs plutôt que pour les bénéficiaires, et qui perpétue des hiérarchies de connaissances donnant la priorité à l’efficacité et à des mesures souvent contradictoires.
Mme Bezahler note toutefois que l’initiative Kellogg a été exemplaire en termes de transparence, bien que toutes les infor- mations et les candidatures soient en anglais, ce qui, note-t-elle, risque d’empêcher des groupes bien informés de postuler. (Pour information, je participe à ce processus en tant que membre d’une équipe de candidats.)
Il existe de nombreuses ressources sur le développement et l’humanitarisme dans différentes parties du continent (comme l’indiquent mes propres visites à l’université de Makerere en Ouganda, l’université du Ghana à Legon, l’université de Witswatersrand à Johannesburg, l’université du Cap, sans oublier le CODESRIA à Dakar, parmi beaucoup d’autres) – dont certaines ne sont pas facilement accessibles aux États-Unis ou en Europe. Il en va de même (selon mon expérience person- nelle) dans l’Arctique (sur la base d’un séjour comme bénéficiaire d’une bourse Fulbright en Finlande). Les universitaires africains et occidentaux qui sont capables de naviguer entre les continents sont bien placés pour mettre en valeur de telles ressources pour des publics transcontinentaux.
Par exemple, le programme « Becoming Beloved Community », prenant les mots de Martin Luther King Jr. pour point de départ, est devenu un programme actif dans toute l’Église épiscopale des États-Unis. https://www.episcopalchurch.org/ beloved-community/.
e note qu’une réponse innovante à ces problèmes, « How Matters », a été créée par Jennifer Lentfer pour contrer la re- cherche de « solutions miracles » par le monde de l’humanitaire. http://www.how-matters.org/about/. Lentfer est actuelle- ment impliquée dans l’organisation du Healing Solidarity Collective, pour que les travailleurs humanitaires reconnaissent et trouvent des moyens de réparer les torts causés par les organisations d’aide, et aussi pour contribuer à la guérison du traumatisme de l’ensemble des acteurs de l’humanitaire, https://collective.healingsolidarity.org/.
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Pour citer l'article :
APA
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Lynch, C. « Centrer en Afrique l’humanitarisme global ». Global Africa, no. 1, 2022, p. 132-142, 153-155. doi.org/10.57832/ga.v1i1.22
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https://doi.org/10.57832/ga.v1i1.22
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