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Les chercheur.e.s africain.e.s sont les architectes qui orienteront la manière dont l’Afrique sécurise sa place dans le monde à l’ère numérique

Hajer Gueldich

Conseillère juridique de l’Union africaine

Professeure titulaire agrégée des Universités (Université de Carthage)

Ancienne Présidente de la Commission de l’Union africaine pour le Droit international

hajer.gueldich@yahoo.fr / gueldichH@africa-union.org


Interview réalisée par


Ibrahima Kane

Juriste, spécialiste en droits humains

psykane@yahoo.fr


&


Mame-Penda Ba

Professeure de science politique, Université Gaston Berger, Sénégal

Rédactrice en chef Global Africa

mame-penda.ba@ugb.edu.sn

numéro :

Économie numérique en Afrique

Digital Economy in Africa

Uchumi wa Kidijitali Barani Afrika

الاقتصاد الرقمي في إفريقيا

GAJ numéro 02 première.jpg.jpg

Publié le :

20 décembre 2024

ISSN : 

3020-0458

08.2024

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Plan de l'article

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Kane & Ba

Professeure Gueldich, merci d’avoir accepté d’être interviewée dans le cadre de ce dossier thématique de la revue Global Africa sur l’économie numérique. Nous aimerions commencer par un rappel de votre trajectoire scientifique. Pourriez-vous revenir sur votre parcours en tant que professeure de droit et conseillère juridique de l'Union africaine ? En quoi consiste le travail de la Commission de l’Union africaine pour le droit international, quelles sont ses missions et ses domaines d’intervention ?

Hajer Gueldich 

Du point de vue de mon engagement professionnel avec l’organisation panafricaine, je suis membre élue de la Commission de l’Union africaine pour le Droit international (CUADI) depuis 2015 (élue en 2015 et réélue en 2018). J’ai été le Rapporteur général de la Commission de 2015 à 2019 et j’ai été élue, de 2022 à 2023, Présidente de la CUADI, ce qui a fait de moi la première femme élue à ce poste prestigieux depuis la création de la Commission en 2009.
La Commission de l'Union africaine pour le Droit International (CUADI), en anglais African Union Commission on International Law (AUCIL), a été créée le 4 février 2009. Elle est composée d'experts en droit international élus par les 55 États membres de l'organisation. Son siège est à Addis-Abeba, en Éthiopie et ses activités ont commencé en mai 2010.
La CUADI est composée de 11 membres élus par le Conseil exécutif de l’UA, dans le respect des principes de la représentation géographique équitable, de la représentation des principaux systèmes juridiques et de la représentation des femmes. Les membres siègent à titre personnel. Ils sont élus pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois.
Cet organe statutaire remplit une double mission : d’une part, une mission de conseil auprès des organes de l'Union et d’autre part une mission de prospection juridique. À ce titre, la CUADI peut suggérer la révision de certains textes déjà adoptés, voire des traités de l’OUA/UA. Notre Commission doit soutenir le travail quotidien de la Commission de l’Union et de son département juridique, lesquels doivent recourir à la CUADI en cas de besoin. Elle a, ainsi, vocation à devenir un véritable maillon fort de la prise de décision communautaire. C’est un organe pivot dans le travail de prospection juridique, le seul organe à vocation transversale et capable d’assurer un rôle stratégique dans l’intégration du continent.
 

Kane & Ba

S'agissant précisément d'intégration du continent, la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) est réputée jouer un rôle essentiel dans le développement économique de l’Afrique et dans la réalisation de l’Agenda 2063. Comment cette vision stratégique de l’Union africaine va-t-elle répondre aux défis du commerce, du numérique et de la libre circulation des personnes ?

Hajer Gueldich

La Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) constitue une pierre angulaire de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui aspire à bâtir « L’Afrique que nous voulons ». Ce cadre transformateur vise à favoriser l’intégration économique, à accroître le commerce intra-africain et à libérer le potentiel collectif du continent. La ZLECAf n’est pas qu’un simple accord commercial ; c’est un véritable plan stratégique conçu pour relever les défis majeurs de l’Afrique en matière de commerce, de numérisation et de mobilité.
D’un point de vue juridique, les protocoles de la ZLECAf relatifs au commerce des biens, aux services et aux investissements établissent un cadre juridique robuste facilitant la circulation fluide des biens, des services et des capitaux à travers les frontières. Cette démarche répond directement à des problématiques de longue date, telles que les droits de douane élevés, les barrières non tarifaires et les marchés fragmentés, qui ont freiné le développement économique du continent.
En ce qui concerne la numérisation, l’Union africaine a reconnu que le paysage commercial du XXIe siècle ne peut prospérer sans exploiter les infrastructures numériques. Grâce à la Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique (2020-2030), complémentaire à la ZLECAf, l’Union vise à harmoniser les réglementations sur le commerce numérique, à renforcer le commerce électronique transfrontalier et à garantir que les outils numériques soutiennent les entrepreneurs africains, notamment les petites et moyennes entreprises (PME). Cet alignement est crucial pour créer un écosystème commercial inclusif, compétitif et résilient face aux chocs mondiaux.
Concernant la libre circulation des personnes, la ZLECAf s’inscrit dans la continuité du Protocole de l’UA sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et le droit d’établissement, adopté en 2018. Ce protocole vise à éliminer les barrières à la mobilité et à créer un marché unique africain où les citoyens peuvent circuler librement, contribuant ainsi non seulement au commerce, mais aussi aux échanges culturels et professionnels. Ensemble, ces instruments juridiques marquent un tournant dans la gouvernance économique africaine, en intégrant commerce, technologie et mobilité humaine au cœur de la trajectoire de développement du continent.
 

Kane & Ba

Concernant la libre circulation des personnes, quels sont selon vous, les principaux obstacles à l’exercice de cette liberté, sachant qu’une des aspirations de l’Agenda 2063 était d’introduire le passeport africain délivré par les États membres, en tirant parti de la migration dans le monde par l’émission de passeports électroniques, avec la suppression de l’obligation de visa pour tous les citoyens africains dans tous les pays africains en 2018 ?

Hajer Gueldich 

Bien que la vision de la libre circulation des personnes dans le cadre de l’Agenda 2063 soit à la fois ambitieuse et nécessaire, sa réalisation a rencontré des obstacles significatifs. L’introduction du passeport africain, ainsi que l’élimination des exigences de visa, a progressé plus lentement que prévu, principalement en raison de préoccupations politiques, sécuritaires et économiques.
L’un des principaux défis juridiques et institutionnels réside dans la non-ratification du Protocole de l’UA sur la libre circulation des personnes par de nombreux États membres. Cela reflète des appréhensions liées à la sécurité nationale, notamment les craintes d’une migration irrégulière accrue, de la criminalité transnationale et d’une pression sur les marchés du travail domestique. Pour répondre à ces préoccupations, il est nécessaire de mettre en place des cadres juridiques solides garantissant une gestion des migrations alignée sur les intérêts nationaux, tout en respectant l’esprit d’intégration continentale.
Un autre obstacle réside dans le manque d’infrastructures et de capacités pour mettre en œuvre une vision aussi ambitieuse. Par exemple, de nombreux États membres ne disposent pas des infrastructures techniques nécessaires à la délivrance de passeports biométriques, essentiels pour faciliter une circulation transfrontalière fluide tout en répondant aux préoccupations en matière de sécurité.
De plus, les politiques migratoires fragmentées à travers le continent freinent l’harmonisation. Bien que certaines régions, comme la Cedeao, aient fait des progrès significatifs pour faciliter la mobilité, d’autres restent prudentes. La ZLECAf offre une opportunité unique de combler ces écarts en encourageant les États membres à aligner leurs politiques sur le Cadre de politique migratoire panafricain.
Malgré ces défis, l’Union africaine reste fermement engagée envers cette vision. Le passeport africain symbolise bien plus que la mobilité ; il incarne l’unité, la solidarité et une identité africaine collective. À cette fin, l’UA travaille en étroite collaboration avec les États membres pour promouvoir le renforcement des capacités, améliorer la coopération régionale et répondre aux préoccupations en matière de sécurité grâce à des systèmes partagés de renseignement et de données.
En fin de compte, la concrétisation de la libre circulation dans le cadre de la ZLECAf n’est pas seulement un défi logistique, mais aussi une question de volonté politique et de confiance. En tant que conseillère juridique de l’Union africaine, je suis convaincue que la promotion continue du dialogue, l’harmonisation juridique et le développement des infrastructures permettront de libérer ce potentiel, garantissant que la libre circulation des personnes devienne non seulement un principe juridique, mais aussi une réalité vécue pour tous les Africains.
 

Kane & Ba

Quels sont les principaux enjeux liés à l’intégration de l’économie numérique dans le cadre de la ZLECAf ? Comment la ZLECAf envisage-t-elle d’appuyer l’économie numérique et l’intégration régionale, en tenant compte des réalités économiques des différents États membres ?

Hajer Gueldich 

L’intégration de l’économie numérique dans le cadre de la ZLECAf représente à la fois un défi et une opportunité. L’économie numérique peut transformer le commerce en Afrique en facilitant le commerce électronique, en améliorant l’efficacité des chaînes d’approvisionnement et en connectant entreprises et consommateurs au-delà des frontières. Toutefois, plusieurs défis doivent être relevés pour garantir cette intégration.
Le premier défi majeur est la fracture numérique entre les États membres. Alors que certains pays africains disposent d’une infrastructure TIC avancée, d’autres accusent un retard important. Cette disparité risque d’exclure les nations moins développées numériquement des opportunités offertes par le commerce numérique.
Ensuite, les questions de cybersécurité et de protection des données représentent des préoccupations juridiques et opérationnelles cruciales. L’harmonisation des réglementations entre les États membres pour garantir des transactions numériques sûres et fiables est essentielle, mais elle nécessite une coordination et un renforcement des capacités significatifs. L’absence de normes uniformes en matière de gouvernance des données et de régulation du commerce numérique constitue un obstacle majeur à la création d’un écosystème commercial numérique cohérent.
Enfin, le coût du développement des infrastructures numériques reste prohibitif pour de nombreux États membres. Combler ce déficit infrastructurel nécessite des mécanismes de financement innovants et des partenariats avec le secteur privé.
Pour répondre à ces défis, la ZLECAf travaille à l’élaboration d’un Protocole sur le commerce numérique, qui vise à harmoniser les réglementations, à créer un environnement propice au commerce électronique et à lever les obstacles juridiques et techniques au commerce numérique transfrontalier. Par ailleurs, la Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique (2020-2030) de l’UA complète ces efforts en mettant l’accent sur la littératie numérique, l’entrepreneuriat et l’innovation, garantissant ainsi une croissance inclusive et durable de l’économie numérique en Afrique.
La ZLECAf reconnaît également l’importance d’aligner le commerce numérique sur les objectifs d’intégration régionale. Grâce à des initiatives de renforcement des capacités et une assistance technique, le Secrétariat de la ZLECAf collabore étroitement avec les États membres pour que l’économie numérique devienne un moteur de l’intégration économique globale. En soutenant le commerce numérique, la ZLECAf peut créer une économie africaine plus interconnectée et résiliente, capable de s’adapter aux diverses réalités de ses États membres.
 

Kane & Ba

De nombreux pays africains ont élaboré des stratégies nationales pour s’aligner avec les objectifs de la ZLECAf. Quels mécanismes l’Union africaine peut-elle mettre en place pour soutenir la mise en œuvre effective de ces stratégies ?

Hajer Gueldich 

L’alignement des stratégies nationales sur les objectifs de la ZLECAf reflète un fort engagement des États membres en faveur de l’intégration régionale. Toutefois, la mise en œuvre effective de ces stratégies nécessite des mécanismes de soutien robustes de la part de l’Union africaine.
Un mécanisme essentiel est l’harmonisation des politiques. L’UA peut faciliter cet alignement en développant des lignes directrices régionales et des lois types que les États membres peuvent adapter à leurs contextes locaux. Cette approche garantit la cohérence tout en permettant une certaine flexibilité pour répondre aux défis spécifiques à chaque pays.
Ensuite, l’UA peut renforcer ses cadres de suivi et d’évaluation pour suivre les progrès et identifier les lacunes dans la mise en œuvre des stratégies alignées sur la ZLECAf. En fournissant un appui technique et des initiatives de renforcement des capacités, l’UA peut aider les États membres à relever les défis liés, par exemple, à l’administration douanière, à la facilitation des échanges et au respect des protocoles de la ZLECAf.
De plus, le financement et la mobilisation des ressources sont essentiels. L’UA peut établir des fonds dédiés ou des partenariats avec des institutions financières internationales pour soutenir les projets d’infrastructure et de renforcement des capacités liés à la ZLECAf. Cela garantit que tous les États membres, quelles que soient leurs réalités économiques, puissent pleinement participer à l’accord et en tirer profit.
Enfin, promouvoir la collaboration et le partage des connaissances est crucial. L’UA peut créer des plateformes permettant aux États membres de partager des bonnes pratiques, des enseignements tirés et des solutions innovantes pour mettre en œuvre les stratégies liées à la ZLECAf. En favorisant le dialogue et la coopération, l’UA veille à ce que le processus d’intégration reste inclusif et équitable.
Grâce à ces mécanismes, l’Union africaine peut renforcer la mise en œuvre des stratégies nationales et faire en sorte que la ZLECAf serve de catalyseur au développement économique durable sur tout le continent.
 

Kane & Ba

Quelles sont, selon vous, les principales lacunes dans la régulation de l’économie numérique en Afrique, et comment l’Union africaine s’efforce-t-elle de les combler ?

Hajer Gueldich 

L’économie numérique en Afrique possède un potentiel immense, mais son développement se heurte à plusieurs lacunes réglementaires, notamment l’absence de politiques harmonisées et de cadres juridiques, le manque de mécanismes d’application et l’insuffisance des infrastructures pour soutenir le commerce numérique transfrontalier.
L’une des lacunes les plus critiques est l’incohérence dans la réglementation du commerce électronique et du commerce numérique entre les États membres. Alors que certains pays ont adopté des lois complètes sur le commerce numérique, d’autres manquent de dispositions juridiques de base, créant un environnement fragmenté qui freine les échanges numériques fluides.
Une autre lacune importante réside dans la cybersécurité et la protection des données. L’absence de normes unifiées expose les données personnelles et financières à des risques, sapant la confiance dans les transactions numériques. De même, l’absence de mécanismes juridiques pour résoudre les litiges transfrontaliers dans le commerce numérique constitue un obstacle pour les entreprises opérant au-delà des frontières africaines.
L’Union africaine s’attaque à ces lacunes par des initiatives comme la Convention de Malabo sur la cybersécurité et la protection des données personnelles. Bien que la ratification soit lente, cette convention offre un cadre complet permettant aux États membres de renforcer leurs écosystèmes numériques tout en assurant la protection des données personnelles et en favorisant des transactions en ligne sécurisées. Par ailleurs, le Protocole sur le commerce numérique, prévu dans le cadre de la ZLECAf, vise à harmoniser les lois régissant le commerce numérique et à surmonter les disparités réglementaires.
Grâce à des programmes de renforcement des capacités et à une coopération régionale, l’UA encourage également les États membres à adopter des lois modèles et des meilleures pratiques, créant ainsi un environnement réglementaire numérique plus cohérent.
 

Kane & Ba

Quel type de gouvernance serait nécessaire pour assurer un développement numérique harmonisé entre les États membres au vu de la diversité des systèmes juridiques en Afrique ? En matière d’économie numérique, quelles mesures sont prises pour harmoniser les cadres juridiques nationaux à l’échelle continentale ?

Hajer Gueldich 

Un développement numérique harmonisé en Afrique nécessite un cadre de gouvernance inclusif, adaptable et sensible au contexte, capable d’accommoder la diversité des systèmes juridiques du continent. Ce modèle de gouvernance doit trouver un équilibre entre les objectifs continentaux et la souveraineté nationale.
L’Union africaine a mis en avant l’importance d’une gouvernance à plusieurs niveaux, où les communautés économiques régionales (CER) jouent un rôle central pour combler l’écart entre les cadres nationaux et continentaux. Par exemple, la Cedeao et la SADC ont réalisé des avancées significatives dans le développement de politiques régionales sur le commerce numérique et la protection des données, servant de modèles pour d’autres régions.
Pour harmoniser les cadres juridiques nationaux, l’UA plaide pour l’élaboration de lignes directrices et de protocoles continentaux, tels que la Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique et le Protocole sur le commerce numérique de la ZLECAf. Ces instruments encouragent les États membres à aligner leurs lois nationales sur les meilleures pratiques internationales tout en tenant compte des réalités locales.
De plus, l’UA promeut le partage des connaissances et l’assistance technique, permettant aux États membres d’apprendre des succès et des défis rencontrés dans la gouvernance numérique. La création d’un Observatoire africain de la gouvernance numérique pourrait renforcer cette coordination, surveiller les progrès et fournir des recommandations concrètes pour harmoniser les politiques sur le continent.

Kane & Ba

Comment la ZLECAf peut-elle concilier la promotion du commerce numérique avec la protection des données personnelles et l’inclusion numérique ?

Hajer Gueldich 

La ZLECAf doit relever le double défi de promouvoir le commerce numérique tout en assurant la protection des données personnelles et en favorisant l’inclusion numérique. Trouver cet équilibre est essentiel pour créer une économie numérique durable et équitable en Afrique.
Pour concilier ces objectifs, le Protocole sur le commerce numérique de la ZLECAf met l’accent sur l’importance des normes de confidentialité et des réglementations en matière de protection des données, alignées sur la Convention de Malabo de l’UA. Ces mesures visent à renforcer la confiance dans les plateformes numériques tout en permettant la libre circulation des informations, essentielle au commerce numérique.
L’inclusion constitue un autre pilier fondamental. La ZLECAf reconnaît que le commerce numérique doit être accessible à tous, y compris les communautés marginalisées et les petites et moyennes entreprises (PME). À cette fin, elle promeut des initiatives visant à améliorer l’accès à une bande passante abordable, à soutenir les programmes de littératie numérique et à encourager les innovations adaptées au secteur informel africain.
La ZLECAf favorise également la collaboration avec le secteur privé et les partenaires internationaux pour financer des projets d’infrastructure et fournir une assistance technique aux États membres. Ces partenariats sont essentiels pour combler la fracture numérique et garantir que les avantages du commerce numérique atteignent toutes les régions du continent.
Grâce à ces efforts, la ZLECAf favorise non seulement une économie numérique florissante, mais elle maintient également les principes d’équité, de sécurité et de durabilité, garantissant ainsi que l’avenir numérique de l’Afrique soit inclusif et résilient.
 

Kane & Ba

Comment l’Union africaine soutient-elle les États membres dans l’adoption et la mise en œuvre de lois sur la protection des données personnelles, en particulier face aux géants technologiques mondiaux ?

Hajer Gueldich 

L’Union africaine reconnaît que les données constituent une ressource clé du 21ᵉ siècle, avec des implications importantes pour le développement économique, la gouvernance et les droits individuels. Cependant, l’influence croissante des géants technologiques mondiaux pose des défis uniques à la protection des données personnelles en Afrique, où les cadres réglementaires sont encore en cours de développement.
Pour relever ces défis, l’UA a adopté la Convention de Malabo sur la cybersécurité et la protection des données personnelles, qui fournit un cadre juridique solide permettant aux États membres d’élaborer et de mettre en œuvre des lois sur la protection des données, la cybersécurité et les transactions électroniques. Cette convention met l’accent sur l’importance de protéger la vie privée tout en favorisant l’innovation et la croissance numérique.
L’UA propose également des programmes de renforcement des capacités pour aider les États membres à développer et appliquer des lois sur la protection des données. Ces programmes incluent une assistance technique, des ateliers de formation et le partage de bonnes pratiques. Par exemple, l’UA travaille en étroite collaboration avec les communautés économiques régionales (CER) pour harmoniser les normes de protection des données et garantir leur alignement sur les standards internationaux.
En janvier 2024, le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine a adopté la Position africaine commune sur l'application du droit international à l'utilisation des technologies de l'information et de la communication dans le cyberespace. Ce document historique souligne l'engagement de l'Afrique en faveur d'un cyberespace sûr et stable, en insistant sur l'applicabilité du droit international existant à la conduite des États dans le cyberespace. Il met également en avant l'importance du renforcement des capacités et de la coopération entre les États membres pour lutter efficacement contre les menaces cybernétiques.
En outre, l’UA milite pour une souveraineté africaine dans l’économie numérique. En encourageant les États membres à adopter des lois réglementant les activités des géants technologiques dans leurs juridictions, l’UA vise à créer un terrain d’entente qui protège les consommateurs africains et favorise l’innovation locale.
 

Kane & Ba

Quels sont les principaux obstacles à l’inclusion numérique en Afrique, notamment pour les femmes et les zones rurales, et quels efforts sont entrepris pour y remédier ? Quelles politiques doivent être prioritaires pour garantir l’accès équitable au numérique sur tout le continent ?

Hajer Gueldich 

L’inclusion numérique reste un défi majeur en Afrique, en particulier pour les femmes et les communautés rurales, qui sont affectées de manière disproportionnée par la fracture numérique. Les principaux obstacles incluent :
  1. Infrastructures numériques limitées : de nombreuses zones rurales n’ont pas accès à un internet fiable ni à l’électricité, ce qui complique leur participation à l’économie numérique.
  2. Coûts élevés de la connectivité : le coût des appareils et des services internet reste un obstacle pour les populations à faible revenu.
  3. Illitéracie numérique : un manque de compétences numériques, en particulier parmi les femmes et les groupes marginalisés, limite leur capacité à utiliser les technologies numériques.
  4. Barrières culturelles et systémiques : les disparités entre les sexes dans l’éducation et les opportunités d’emploi aggravent l’exclusion numérique des femmes.
Pour remédier à ces défis, l’Union africaine a mis en œuvre plusieurs initiatives :
  • Développement des infrastructures : grâce à des programmes comme le PIDA (Programme de Développement des Infrastructures en Afrique), l’UA collabore avec les États membres et les partenaires internationaux pour étendre l’accès à la large bande dans les régions mal desservies ;
  • Formation aux compétences numériques : l’UA soutient des initiatives visant les femmes et les jeunes, telles que le programme Digital Skills for Africa, pour les doter des connaissances nécessaires dans l’ère numérique ;
  • Accès abordable : l’UA travaille avec les parties prenantes pour réduire le coût de l’accès à internet par des réformes réglementaires, des partenariats public-privé et des subventions pour les communautés marginalisées ;
  • Politiques axées sur le genre : l’Agenda 2063 de l’UA insiste sur la réduction des écarts entre les sexes en encourageant les États membres à adopter des politiques favorisant la participation des femmes à l’économie numérique.
Pour garantir un accès numérique équitable, les politiques doivent donner la priorité à la couverture universelle en large bande, aux investissements publics dans l’éducation numérique et au soutien ciblé pour les femmes et les communautés rurales. L’UA milite également pour l’intégration des objectifs d’inclusion numérique dans les stratégies nationales de développement.
 

Kane & Ba

Quelles sont ses relations avec les mécanismes sous-régionaux de règlement des différends étatiques et avec la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme ?

Hajer Gueldich 

L’Union africaine joue un rôle central dans la promotion du règlement pacifique des différends sur le continent, en collaborant étroitement avec les mécanismes sous-régionaux et la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme.
Au niveau sous-régional, des communautés économiques régionales telles que la Cedeao, la SADC et la CAE ont mis en place des mécanismes de règlement des différends adaptés à leurs régions respectives. Ces mécanismes traitent des questions allant des différends commerciaux aux conflits politiques. L’UA soutient ces efforts en facilitant la coordination, en partageant une expertise juridique et en offrant une assistance financière ou logistique si nécessaire.
La Cour africaine de justice et des droits de l’Homme, en tant qu’organe juridique continental, joue un rôle complémentaire en offrant une plateforme pour les affaires dépassant les limites régionales ou nécessitant un niveau supérieur d’arbitrage. L’UA œuvre pour renforcer la capacité de la Cour, en encourageant les États membres à ratifier son Protocole (qui n’est pas encore entré en vigueur) et en fournissant le soutien institutionnel nécessaire.
L’UA met également en avant le principe de subsidiarité, qui garantit que les mécanismes sous-régionaux traitent les différends au niveau local chaque fois que cela est possible, en réservant à la Cour africaine les affaires les plus complexes ou escaladées. Cette approche à plusieurs niveaux favorise l’efficacité et renforce la confiance dans les cadres juridiques et institutionnels africains.
En favorisant la collaboration entre les mécanismes sous-régionaux et la Cour africaine, l’UA garantit un système cohérent et efficace pour résoudre les différends sur tout le continent. Ces efforts renforcent non seulement l’état de droit mais contribuent également aux objectifs plus larges de l’Afrique en matière d’intégration, de paix et de développement.
 

Kane & Ba

Quelle est la position de l’Union africaine sur la taxation des activités numériques, en particulier celles des multinationales opérant sur le continent ?

Hajer Gueldich 

L’Union africaine reconnaît que la taxation des activités numériques est un aspect essentiel pour garantir un développement économique équitable à l’ère numérique. Avec la croissance rapide des activités numériques et la domination des multinationales technologiques en Afrique, il est impératif d’établir des régimes fiscaux qui permettent une répartition équitable des revenus tout en encourageant l’innovation.
L’UA plaide pour une approche harmonisée de la taxation numérique entre les États membres afin d’éviter l’évasion fiscale et d’assurer des conditions de concurrence équitables. Elle a soutenu l’initiative BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) dirigée par l’OCDE, en particulier ses cadres du Pilier Un et du Pilier Deux, qui visent à répartir équitablement les droits d’imposition et à établir un taux d’imposition minimum global.
Au niveau continental, l’UA encourage les États membres à élaborer des cadres de taxation des services numériques (DST) adaptés aux réalités économiques africaines. En favorisant la collaboration entre les États membres via les communautés économiques régionales (CER), l’UA veille à ce que ces politiques fiscales soient cohérentes, évitent la double imposition et préviennent les fuites de revenus.
L’UA met également l’accent sur le renforcement des capacités. À travers le Forum sur l’administration fiscale africaine (ATAF), elle soutient les États membres dans le développement des compétences techniques nécessaires pour mettre en œuvre des politiques de taxation numérique efficaces, négocier des accords équitables avec les multinationales et mobiliser les recettes fiscales pour financer des projets de développement essentiels.
En promouvant un cadre fiscal équitable et transparent, l’UA cherche à équilibrer le besoin d’innovation avec l’impératif de garantir que l’économie numérique contribue de manière équitable au développement durable de l’Afrique.
 

Kane & Ba

Comment l’Afrique peut-elle renforcer sa souveraineté numérique tout en intégrant les innovations mondiales ?

Hajer Gueldich 

La souveraineté numérique est au cœur de la vision africaine d’un avenir numérique plus autonome et résilient. Renforcer cette souveraineté tout en intégrant les innovations mondiales nécessite un équilibre stratégique entre indépendance et collaboration.
L’approche de l’UA commence par la construction d’infrastructures numériques robustes. Des initiatives telles que le Programme de Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA) et la Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique (2020–2030) visent à étendre l’accès à la large bande, à développer des centres de données et à garantir une connectivité sécurisée et fiable à travers le continent. Ces efforts réduisent la dépendance vis-à-vis des fournisseurs d’infrastructures externes et posent les bases d’un écosystème numérique souverain.
L’harmonisation réglementaire constitue une autre priorité. L’UA promeut l’adoption de cadres juridiques tels que la Convention de Malabo sur la cybersécurité et la protection des données personnelles, qui garantit que les États membres protègent les données personnelles et la cybersécurité conformément aux priorités africaines. Parallèlement, l’UA travaille à harmoniser ces cadres avec les normes internationales, assurant leur compatibilité tout en maintenant le contrôle local.
La souveraineté numérique de l’Afrique repose également sur le soutien aux innovations locales. L’UA soutient activement les startups et les PME via des initiatives telles que l’Alliance Smart Africa, qui favorise l’entrepreneuriat numérique et encourage la collaboration entre innovateurs africains et partenaires mondiaux.
Enfin, l’UA plaide pour un engagement multilatéral. Bien qu’elle insiste sur l’importance de réduire la dépendance aux technologies étrangères, elle encourage les partenariats avec les leaders mondiaux de la technologie pour transférer des connaissances, renforcer les capacités et adapter les technologies de pointe aux contextes africains. Grâce à une intégration équilibrée, l’Afrique peut atteindre une souveraineté numérique sans s’isoler de l’innovation mondiale.
 

Kane & Ba

Selon vous, quelles seront les priorités stratégiques pour l’Union africaine en matière de numérique au cours des cinq prochaines années ?

Hajer Gueldich 

Au cours des cinq prochaines années, l’Union africaine concentrera ses efforts sur cinq grandes priorités stratégiques dans le domaine numérique pour garantir que le continent reste compétitif, résilient et inclusif dans l’économie numérique mondiale :
  1. Extension des infrastructures : construire et moderniser les infrastructures numériques restera une priorité absolue. Des initiatives telles que le Programme de Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA) et le déploiement d’un accès abordable à la large bande dans les régions mal desservies seront essentielles. Cela inclura la création de centres de données régionaux pour réduire la dépendance aux infrastructures externes et renforcer la souveraineté numérique.
  2. Harmonisation des politiques et cadres juridiques : l’UA accélérera ses efforts pour harmoniser les politiques et réglementations nationales dans le cadre de la Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique. Cela concernera le commerce numérique, la cybersécurité, la gouvernance des données et les droits de propriété intellectuelle, afin de garantir un écosystème numérique continental unifié et sécurisé.
  3. Inclusion numérique : combler la fracture numérique restera une priorité, avec un accent particulier sur l’autonomisation des femmes, des jeunes et des communautés rurales. Des programmes visant à promouvoir la littératie numérique, à réduire les coûts de connectivité et à améliorer l’accès aux équipements garantiront que personne ne soit laissé pour compte dans la révolution numérique.
  4. Encourager l’innovation et l’entrepreneuriat : l’UA continuera de soutenir les startups et les PME via des initiatives comme l’Alliance Smart Africa et d’encourager les partenariats entre les innovateurs africains et les leaders mondiaux de la technologie. En créant des environnements propices à l’entrepreneuriat numérique, l’Afrique peut se positionner comme un hub de l’innovation technologique.
  5. Souveraineté et sécurité des données : alors que les données deviennent une ressource vitale, l’UA donnera la priorité au renforcement des lois sur la protection des données et des cadres de cybersécurité, guidée par la Convention de Malabo. Cela inclut le renforcement des capacités pour aider les États membres à mettre en œuvre des systèmes sécurisés afin de protéger les données personnelles et financières tout en gardant le contrôle des données produites en Afrique.
En abordant ces priorités, l’Union africaine vise à bâtir un avenir numérique résilient, inclusif et innovant pour l’Afrique, en adéquation avec les aspirations de l’Agenda 2063.
 

Kane & Ba

Quel message adresseriez-vous aux chercheurs africains qui travaillent sur les questions de droit international et d’économie numérique ?

Hajer Gueldich 

Aux chercheurs africains qui travaillent sur les questions de droit international et d’économie numérique, j’aimerais souligner l’importance de leurs travaux dans la construction de l’avenir de l’Afrique dans le paysage numérique mondial. Vous êtes les architectes et les cadres qui orienteront la manière dont l’Afrique interagit avec le monde et sécurise sa place dans l’ère numérique.
Mon message se décline en trois points :
  1. Adoptez une perspective africaine : ancrez vos recherches dans les défis et opportunités uniques du continent. Que vous abordiez le commerce numérique transfrontalier, la protection des données ou le règlement des litiges, vos travaux doivent refléter les priorités de l’Afrique et proposer des solutions pratiques et transformatrices.
  2. Collaborez au-delà des disciplines et des frontières : l’économie numérique se situe au croisement du droit, de la technologie, de l’économie et de la gouvernance. Collaborez avec vos collègues issus de diverses disciplines et engagez-vous dans des réseaux panafricains pour enrichir vos recherches grâce à des perspectives variées et contribuer à l’avancement collectif de l’Afrique.
  3. Soyez audacieux et visionnaires : l’avenir numérique de l’Afrique repose sur une pensée novatrice. Ne vous contentez pas d’analyser l’état actuel des choses – proposez des idées audacieuses pour réformer le droit international, établir des politiques commerciales équitables ou renforcer la souveraineté numérique. Vos travaux peuvent influencer non seulement l’Afrique, mais aussi les discussions mondiales sur la gouvernance numérique.
Enfin, sachez que l’Union africaine valorise vos contributions et est prête à soutenir les initiatives qui font progresser l’harmonisation des lois, la promotion des innovations dirigées par l’Afrique et la protection des intérêts numériques du continent.
Ensemble, nous pouvons créer une économie numérique qui reflète les aspirations de l’Afrique et protège sa souveraineté.

Notes

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Bibliographie

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Pour citer l'article :

APA
Gueldich, H. (2024). Les chercheur.e.s africain.e.s sont les architectes qui orienteront la manière dont l’Afrique interagit avec le monde et sécurise sa place dans l’ère numérique. Global Africa, (8), pp. 134-144. https://doi.org/10.57832/vpsk-sg53

MLA
Gueldich, H. "Les chercheur.e.s africain.e.s sont les architectes qui orienteront la manière dont l’Afrique interagit avec le monde et sécurise sa place dans l’ère numérique". Global Africa, no. 8, 2024, p. 134-144. doi.org/10.57832/vpsk-sg53

DOI
https://doi.org/10.57832/vpsk-sg53

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