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La dangereuse réversibilité des droits des femmes : 

le cas des mutilations génitales féminines en Gambie

Isatou Touray

Directrice exécutive, Comité gambien sur les pratiques traditionnelles (GAMCOTRAP)

isatou2000@hotmail.com


Interview réalisée par


Mame-Penda Ba

Professeure de science politique, université Gaston Berger, Sénégal

Rédactrice en chef Global Africa

mame-penda.ba@ugb.edu.sn

numéro :

Les administrations africaines :
décolonialité, endogénéité et innovation

African Administrations:
Decoloniality, Endogeneity, and Innovation

Tawala za Kiafrika:
kuacha ukoloni, endogeneity na ubunifu

:الإدارات الأفريقية
إنهاء التركة الاستعماريّة، المحلّيّة والابتكار

GAJ numéro 02 première.jpg.jpg

Publié le :

20 juin 2024

ISSN : 

3020-0458

06.2024

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Plan de l'article

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Mame-Penda Ba
Bonjour Dr Isatou Touray, merci d’avoir accepté notre invitation pour discuter du débat actuel autour des mutilations génitales féminines (MGF) en Gambie. Avant de commencer, pourriez-vous vous présenter ?

 

Isatou Touray 
Bonjour, merci pour l’invitation. Je suis le Dr Isatou Touray, originaire de la Gambie. Après avoir terminé mes études secondaires, j’ai poursuivi des études supérieures à l’université Usman-dan-Fodio au Nigeria, où j’ai obtenu une licence en éducation et en anglais. Plus tard, j’ai étudié à l’Institut international des études sociales à La Haye, aux Pays-Bas, où j’ai obtenu une maîtrise en études du développement, spécialisée dans l’étude des femmes et du développement. Par la suite, j’ai obtenu un doctorat en études du développement à l’Institut d’études du développement de l’université du Sussex, au Royaume-Uni. Tout au long de ma carrière, j’ai été profondément impliquée dans l’activisme social, notamment dans la lutte contre les mutilations génitales féminines. En 1984, j’ai cofondé le Comité gambien sur les pratiques traditionnelles (GAMCOTRAP) dans le but de mettre fin aux MGF. En tant que directrice exécutive de GAMCOTRAP, j’ai plaidé pour l’éradication de cette pratique néfaste. De plus, j’ai présidé le chapitre gambien du Réseau ouest-africain pour la consolidation de la paix (WANEP) de 2006 à 2011, et j’ai été secrétaire générale du Comité interafricain sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants de 2009 à 2014. En 2016, je suis devenue la première femme candidate à la présidence en Gambie. Bien que je me sois retirée de la course pour soutenir Adama Barrow et la Coalition 2016, j’ai poursuivi mon parcours politique en acceptant divers postes ministériels. J’ai été nommée ministre du Commerce, de l’Intégration régionale et de l’Emploi en 2017, puis ministre de la Santé et des Affaires sociales après un remaniement en 2018. En 2019, j’ai été nommée vice-présidente de la Gambie, succédant à Ousainou Darboe, lors d’un remaniement ministériel important. Tout au long de ma carrière, je me suis dévouée à la promotion de l’égalité des sexes, de la justice sociale et de la santé publique en Gambie, et je reste engagée à servir mon pays et ses habitants du mieux que je peux.
 
Mame-Penda Ba
Que sont les mutilations génitales féminines ? Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il se passe actuellement en Gambie ?
 
Isatou Touray 
Les mutilations génitales féminines impliquent l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes féminins pour des raisons non médicales. En Gambie, les MGF sont profondément enracinées dans les croyances ethniques, traditionnelles, culturelles et parfois religieuses. Les députés gambiens ont voté massivement le 18 mars 2024 en faveur du projet de loi visant à lever l’interdiction des MGF en vigueur dans le pays depuis 2015. Le texte a ensuite été renvoyé à une commission parlementaire, qui devrait procéder à un examen final avant un vote final dans environ trois mois.
 
Mame-Penda Ba
Quelle est votre opinion sur le projet de loi d’amendement sur les femmes de 2024 ?
 
Isatou Touray 
Les plans d’introduction d’un projet de loi par le député de l’Assemblée nationale du district de Foni Kansala, l’honorable Almameh Gibba, sont préoccupants car ils ne sont pas en phase avec les progrès réalisés par la communauté des nations pour promouvoir les droits des femmes et des enfants en Gambie. Je pense que le projet de loi qui vise à lever l’interdiction des MGF en Gambie entend mettre les femmes et les filles en danger, ce qui constitue une violation de leurs droits à la santé sexuelle et reproductive et de leur droit à la vie. L’abrogation de la loi anti-MGF menace tous les progrès réalisés en matière d’égalité hommes-femmes et des droits humains des femmes et des filles. Le projet de loi intitulé « Women’s Amendment Bill 2024 », qui vise à décriminaliser les MGF, a été introduit par le membre de l’Assemblée nationale de Foni Kansala, qui a noté que les GMF sont « une pratique profondément enracinée dans les croyances ethniques, traditionnelles, culturelles et religieuses de la majorité des Gambiens. Elle cherche à préserver la pureté religieuse et à sauvegarder les normes et valeurs culturelles. L’interdiction actuelle de la circoncision féminine est une violation directe des droits des citoyens de pratiquer leur culture et leur religion, tels que garantis par la constitution ».
 
Mame-Penda Ba
Pensez-vous que légitimer les MGF en se servant de la culture et de la religion est un argument valable ?
 
Isatou Touray 
Les MGF ne sont prescrites par aucune religion. Quelques militants musulmans pro-MGF, qui voudraient nous faire croire qu’il s’agit d’une obligation religieuse, ne peuvent présenter aucune source authentique du Coran ou de la Sunna authentique du prophète (PSL). Aucun hadith qu’ils citent n’est authentique. L’Organisation de la conférence islamique (OCI), lors de son sommet de 2024, le grand mufti d’Al-Azhar, un centre de jurisprudence islamique de premier plan, etc. nient tous fortement toute base religieuse pour les MGF dans l’islam et dissocient cette pratique de l’islam. En conséquence, de nombreux érudits islamiques ont noté que les MGF sont purement une pratique culturelle sans aucune valeur religieuse. Le Conseil de la charia islamique, le Muslim College et le Muslim Council of Britain (MCB) ont tous condamné la pratique des MGF au sein de la communauté musulmane. Ils ajoutent que les MGF ne sont pas une exigence islamique et qu’il n’y a aucune référence dans le Saint Coran qui stipule que les filles doivent être circoncises. De même, la pratique n’existe pas dans certains pays islamiques comme le Maroc, la Tunisie, l’Algérie et la Libye. De plus, d’autres pays musulmans où elle était pratiquée, comme l’Égypte, l’Iran et l’Arabie Saoudite, l’ont tous interdite. Le hadith auquel les gens se réfèrent est considéré comme inauthentique et cela est bien établi dans la littérature existante concernant les MGF (voir la publication sur les MGF dans le contexte de l’islam). Il est indéniable qu’elles sont enracinées dans la culture. La culture n’est pas statique mais dynamique et est sujette à changement, en particulier lorsqu’il y a une abondance de preuves montrant qu’elle est nuisible à la santé et au bien-être des femmes et des filles. En outre, l’OCI, qui comprend 57 pays, vient de conclure son 15e sommet ici en Gambie (4-5 mai 2024) dont la présidence est maintenant assurée par Adama Barrow, président de la République de Gambie.
À l’occasion de la Journée internationale de la tolérance zéro pour les MGF 2024, dans un communiqué de presse daté du 6 février 2024, Adama Barrow considère que « les pratiques nuisibles telles que les MGF sont de simples coutumes traditionnelles sans aucune sanction religieuse prouvée. Au contraire, les principes et valeurs islamiques condamnent catégoriquement ces pratiques et plaident fortement en faveur de l’adoption de mesures légales et administratives pour éliminer ces pratiques de manière exhaustive, non seulement comme un impératif religieux, mais aussi pour atteindre l’égalité, l’équité, la justice sociale et le développement durable ». De même, la Convention sur les droits de l’enfant en islam, article 20(2), stipule que les parents ou la personne légalement responsable et les États signataires de la convention doivent protéger l’enfant contre les pratiques et traditions socialement ou culturellement préjudiciables ou nuisibles à la santé et contre les pratiques qui ont des effets négatifs sur son bien-être, sa dignité ou sa croissance, ainsi que celles menant à la discrimination basée sur le genre ou d’autres groupes, conformément aux réglementations et sans préjudice à la charia islamique.

 

Mame-Penda Ba
Pouvez-vous nous parler des conséquences que les MGF ont sur les femmes et les filles ?
 
Isatou Touray 
Les organisations mondiales comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation des Nations unies (ONU) et les experts de la santé en Gambie et ailleurs attestent tous des énormes préjudices physiques et psychologiques que les MGF infligent aux femmes et aux jeunes filles. Selon l’OMS, les mutilations génitales féminines sont une violation des droits des femmes et des filles qui met en danger leur santé physique et mentale et limite leur potentiel à mener une vie saine et épanouissante.
Elles augmentent le risque de douleurs sévères, de saignements et d’infections, ainsi que la probabilité d’autres complications sanitaires plus tard dans la vie, y compris les risques lors de l’accouchement, ce qui peut mettre en péril la vie de leurs nouveau-nés. C’est vraiment une pratique très nocive au nom de la culture. Un récent communiqué de presse de la directive 2024 de l’Union européenne sur la violence à l’égard des femmes a classé les MGF comme un crime. Le Parlement européen a également récemment adopté une résolution dans laquelle il exhorte le Parlement gambien à « démontrer son engagement envers le droit international des droits de l’Homme et les multiples accords internationaux et régionaux desquels la Gambie est signataire, pour protéger les droits des femmes et des filles, et donc à rejeter la proposition et à maintenir la criminalisation des MGF ». Bien que l’ONU encourage la préservation et la pratique du patrimoine culturel et historique, elle ne soutient pas la pratique des coutumes culturelles nuisibles sous lesquelles tombent les MGF. La mutilation est définie comme la coupure ou l’excision de toute partie du corps. En l’absence de toute indication religieuse (comme c’est le cas pour les femmes), médicale et clinique, couper toute partie du corps est par définition une mutilation. Outre les cadres juridiques internationaux et régionaux que la Gambie a signés et ratifiés, la loi suprême du pays tire son autorité et ses pouvoirs de la Constitution et des lois. Ainsi, la Constitution et les lois de la Gambie ont traité de manière adéquate les MGF et d’autres pratiques nuisibles. La Constitution gambienne protège les droits des femmes et des filles à la vie, la liberté contre la torture et les traitements inhumains, le droit à une dignité pleine et égale, et la liberté de discrimination basée sur le genre. Le droit de jouir, de pratiquer, de professer, de maintenir et de promouvoir toute culture ou tradition ou religion est limité et soumis à la condition qu’il n’empiète pas sur les droits et libertés des autres. Comme le stipule l’article 21 : « Nul ne doit être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains et dégradants. »
 
Mame-Penda Ba
Pourquoi pensez-vous qu’il est important de maintenir la loi actuelle interdisant les MGF et de rejeter les dispositions du projet de loi d’amendement sur les femmes de 2024 ?
 
Isatou Touray 
Je crois fermement qu’il est extrêmement important de maintenir la loi actuelle interdisant les MGF et de rejeter les dispositions du projet de loi d’amendement sur les femmes de 2024 pour plusieurs raisons. Premièrement, avoir une loi interdisant et punissant les MGF est une étape fondamentale pour défendre et protéger les droits des femmes. Deuxièmement, les MGF ont été classées comme une forme de torture, et la liberté contre la torture est l’un des droits non dérogatoires en vertu du droit international. Enfin, la médicalisation des MGF ne remédiera pas à cette violation des droits humains, car elle n’a aucun avantage pour les femmes et les filles et présente toujours des risques importants.
 
Mame-Penda Ba
Selon vous, quelles sont les actions clés nécessaires à mettre en œuvre pour mettre fin aux MGF et créer une société plus sûre, plus saine et plus équitable pour tous en Gambie ?
 
Isatou Touray 
Je crois qu’à travers le dialogue, la collaboration et un engagement à respecter les droits et les valeurs fondamentaux, nous pouvons travailler ensemble pour mettre fin à la pratique des MGF en Gambie. Il est essentiel de soutenir la préservation des lois interdisant les MGF et d’investir dans la sensibilisation de la communauté et l’adoption de programmes qui changent les normes sociales et culturelles. La Gambie devrait reconnaître que la mise en œuvre efficace de la loi pour protéger la jeune fille va dans la bonne direction. Les membres de l’Assemblée nationale devraient s’engager à adopter des lois positives qui apporteront progrès et avancement à notre nation.
 

Notes

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Bibliographie

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