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Analyses critiques

Les futurs africains de Nnedi Okorafor, Sankofa et les échos du panafricanisme

numéro :

Panafricanisme, recherche africaine et enjeux globaux

Pan-africanism, African Research, and Global Challenges

Upana-Afrika, Utafiti wa Kiafrika na Changamoto za Kimataifa

البان أفريقيا والبحوث الأفريقية والقضايا العالمية

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Publié le :

20 septembre 2023

ISSN : 

3020-0458

03.2023

Les écrits prolifiques de Nnedi Okorafor évoquent des perspectives spéculatives africaines en se plongeant dans les philosophies, les modes de vie, les expériences et les modes d’être traditionnels africains qui transcendent les diverses identités africaines. Nous avançons qu’Okorafor imagine systématiquement des tropes panafricanistes en s’appropriant un mélange de thèmes culturels africains. Ceci est particulièrement vrai dans sa réappropriation du concept philosophique akan de Sankofa fondé sur la nécessité d’être ancré dans le passé pour mieux s’engager dans l’avenir. À travers la dialectique tradition-modernité, Okorafor présente une pensée progressiste, imaginant une Afrique éloignée de la notion eurocentrique du continent. Dans cet article, nous nous concentrerons sur trois romans d’Okorafor : Zahrah the Windseeker (2005), Binti (2015) et Remote Control (2021), qui se déroulent respectivement au Nigéria, en Namibie et au Ghana. Par ces différents pays, l’œuvre d’Okorafor évoque le panafricanisme en présentant diverses cultures africaines qui valorisent les identités physique, sociale et spirituelle. Tout aussi importants, les différents aspects de la culture africaine dans les textes d’Okorafor sont liés les uns aux autres, ignorant les représentations hégémoniques. Cet état décolonial des relations souligne la valeur de la représentation de l’identité africaine dans les imaginations futuristes qui caractérisent ces romans sélectionnés à dessein.

Les trois textes utilisent une large sélection de ressources culturelles africaines qui non seulement renforcent les préoccupations des personnages, mais aussi l’engagement thématique avec le cadre et d’autres aspects littéraires. Cet article examine la manière dont Okorafor atteint ces objectifs littéraires en s’inspirant de Sankofa. L’utilisation du concept de Sankofa à ces fins fait évoluer le cours de la décolonisation en récupérant l’histoire, la culture et le pouvoir pour décentrer la fiction spéculative noire des conventions de la science-fiction hégémonique blanche. Cette exploration devient donc une source d’innovation pour les futurs africains, s’inscrivant ainsi directement dans le terme de « futurisme africain » inventé par Okorafor : une rupture avec l’afrofuturisme.


Mots-clés

Fiction spéculative, futurisme africain, culture, Okorafor, panafricanisme, Sankofa


Plan de l'article

Introduction


Le panafricanisme et le potentiel de la fiction spéculative


Visions panafricaines dans Zahrah the Windseeker, Binti et Remote Control


Identité physique : cheveux et corps


Identité sociale : nom et représentation


Identité spirituelle : fétichisme africain et récupération de la mystique africaine


Conclusion : Panafricanisme et futurisme africain


Introduction

Dans une interview accordée au New York Times, l’écrivaine nigéro-américaine Nnedi Okorafor se souvient d’une visite au Nigeria, au début des années 1990, au cours de laquelle elle a interrogé son oncle sur le nsibidi, une écriture symbolique sacrée utilisée depuis des siècles par les Efik, les Ejagham, les Ibibio et les Igbo du sud-est du Nigeria et du sud-ouest du Cameroun. Malgré le refus catégorique de son aîné d’en discuter, Okorafor a finalement appris cette écriture et l’a intégrée à son œuvre. Nous considérons que cet acte reflète et fonde l’art littéraire d’Okorafor : elle considère l’histoire des cultures africaines comme un réceptacle dans lequel puiser son inspiration, indépendamment du fait qu’elle soit controversée ou ignorée. L’intégration du passé africain dans ses écrits futuristes est caractéristique du concept philosophique akan connu sous le nom de « Sankofa », qui considère l’histoire comme une source d’inspiration et d’orientation. Sankofa se traduit de l’akan par « retour » (san), « aller » () et « prendre » (fa). Il s’agit de l’un des nombreux symboles Adinkra propres aux Akan du Ghana et de la Côte d’Ivoire.
L’oiseau de Sankofa est présent dans le folklore oral et se retrouve dans le proverbe akan : sɛ wo wirefina wo sankɔfa a, yenkyi, qui encourage un retour au passé pour y puiser des concepts et des leçons précieux[1]. Historiquement, le Sankofa se rattache à la littérature orale telle que les proverbes et le folklore, même s’il s’applique à d’autres textes littéraires[2]. Okorafor adapte les principes du Sankofa pour valoriser le passé et présenter ainsi un discours avant-gardiste répondant aux concepts erronés qui ont défini le continent. En utilisant ce concept comme modèle, Okorafor explore systématiquement les thèmes panafricanistes en s’appropriant un mélange de thèmes culturels identitaires africains. Elle intègre les particularités historiques africaines tout en reconnaissant le rôle joué par la technologie moderne de manière à dépasser la dialectique d’une Afrique « traditionnelle » et un Occident « moderne ». Cette affirmation permet d’imaginer une présence panafricaine dans la sphère mondiale, qui va au-delà du modèle binaire fondé sur une présentation historique des cultures traditionnelles africaines comme manifestations primitives et sous-humaines du sentiment subliminal d’appartenance à la race blanche.
Dans cette optique, une lecture attentive des romans Zahrah the Windseeker (2005), Binti (2015) et Remote Control (2021) nous permet d’explorer la façon dont les personnages d’Okorafor reprennent à leur compte les échos du passé africain. Ce passé est éclectique, et la capacité à traverser l’espace, le temps et les cultures pour englober le continent, sa diaspora et les imaginaires spéculatifs met en évidence la vision du panafricanisme d’Okorafor, inscrit dans un contexte afrofuturiste. Cette vision se retrouve dans l’ensemble de son œuvre, comme nous le verrons.
Les trois romans étudiés montrent à quel point l’œuvre d’Okorafor est fondamentalement panafricaine. Le choix de situer ses romans dans différents pays africains est une position politique forte qui va à l’encontre de la limitation traditionnelle de l’identité de l’auteure à des frontières ethniques ou nationales. Ces lieux servent donc de catalyseur à l’étude de sa vision du panafricanisme.
 

Le panafricanisme et le potentiel de la fiction spéculative

Même s’il existe des définitions contradictoires du panafricanisme, au cœur de chaque tentative se trouve le désir de mettre en lumière la collaboration entre les peuples, les nations et les cultures d’Afrique, au-delà des frontières. Ces trois paramètres sont importants pour cet article et déterminent le sens de la philosophie panafricaine d’Okorafor. L’utilisation de différents pays africains est également révélatrice à cet égard, même si nous reconnaissons les implications restrictives qui découlent de l’utilisation de l’« État-nation africain moderne » comme base d’identification du panafricanisme. Il faut rappeler que l’État-nation est une création moderne de la conférence de Berlin de 1884-1885 qui a violemment regroupé des royaumes et des États disparates au moyen de frontières artificielles, tout en en désintégrant d’autres. En d’autres termes, les pays africains tels que nous les connaissons sont en grande partie nés de la violence coloniale, et leurs frontières sont artificielles par essence. Ainsi, comprendre le panafricanisme comme une simple transition entre ces pays est limitatif. Comme le soulignent Obadele Kambon et Roland Mireku Yeboah (2019, p. 569), le panafricanisme s’articule autour de l’adoption des identités et des normes africaines au-delà des frontières culturelles. Autrement dit, le panafricanisme peut exister à l’intérieur d’un ensemble de frontières artificielles, à condition qu’il soit fait référence à plus d’une culture ou d’un groupe ethnique. La nature générale du panafricanisme est comprise différemment dans d’autres contextes qui ne tiennent pas toujours compte des liens avec la fiction spéculative. Ainsi, lorsqu’en 1996 l’universitaire Horace Campbell s’est projeté dans le xxie siècle, ses préoccupations concernant l’avenir du panafricanisme étaient fondées sur sa « dimension large » et englobaient des questions sociales, politiques et culturelles ("Pan African Renewal in The 21st Century", pp. 84-85). Ce vaste champ d’application explique probablement pourquoi il n’a pas suffisamment pris en compte le rôle de l’expression créative, et encore moins celui de la fiction spéculative[3]. Si d’autres recherches ont épousé la démarche de Campbell, les travaux portant sur les arts créatifs ont également retenu l’attention. La recherche sur la relation plus large entre l’expression créative et le panafricanisme comprend des travaux sur des événements tels que le Festival panafricain du théâtre et des arts (Panafest) et l’Année du retour organisés au Ghana, et le Festival panafricain du film et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) qui s’est déroulé au Burkina Faso, ainsi que des recherches universitaires sur les visions du panafricanisme chez des écrivains africains modernes tels que Chinua Achebe, Ayi Kwei Armah, Ama Ata Aidoo, Ousmane Sembène et Ngugi Wa Thiongo’O. Ces recherches ont abordé des thèmes dans lesquels les idéaux panafricains étaient présents, ce qui est cohérent avec la recherche dans la littérature africaine moderne[4].
Tout retour sur la fiction spéculative noire est malheureusement incomplet, malgré la tendance de ce courant littéraire à traverser les cultures et les coutumes de manière radicale. Les études associées à des auteurs de fiction spéculative comme Okorafor sont généralement dépourvues de liens avec le panafricanisme, une lacune que cet article cherche à combler. Certaines recherches considèrent l’identité dans son œuvre en relation avec d’autres sujets tels que l’environnement et le changement climatique (Death, 2022, p. 241), le genre (Hashemi et al., 2022, p. 85 ; Lindow, 2023, p. 25 ; Oku, 2021, p. 79), la moralité (Lindow 2017, p. 47), l’homosexualité (Ncube, 2020, p. 72), le corps (Eze, 2016, p. 76), et l’impérialisme (O’Connell, 2016, p. 292). En mettant l’accent sur le panafricanisme et l’histoire, nous contribuons à ce champ de connaissances en examinant l’importance de la tradition dans le renforcement de l’unité africaine dans les romans d’Okorafor.
 

Visions panafricaines dans Zahrah the Windseeker, Binti et Remote Control

Zahrah the Windseeker (2005) est le premier roman d’Okorafor. Il met en scène Zahrah, qui vit dans le sud-ouest du Nigeria – sous la forme fictive du royaume d’Ooni –, et constitue sa première exploration des éléments traditionnels africains. Zahrah est une jeune fille de 13 ans qui peut voler et dont les cheveux sont naturellement attachés par des lianes. Elle est donc une sorte de dada[5]. Elle part à l’aventure pour trouver un remède pour sa meilleure amie Dari, mordue par un serpent venimeux. Elle obtient l’antidote – un œuf d’elgort non fécondé –, permettant à la vie de reprendre son cours après avoir guéri Dari. Les expériences de Zahrah font d’elle une chercheuse de vent meilleure et plus mature.
Binti (2015) est une histoire de passage à l’âge adulte qui présente une jeune Binti, Ekeopara Zuzu Dambu Kaipka, du Namib (situé le long de la côte namibienne), dotée d’une intelligence et d’une volonté d’explorer le potentiel de ses prouesses technologiques. Binti est une Himba de première génération, un groupe ethnique indigène sur le continent, et a été acceptée dans la prestigieuse institution académique intergalactique : l’université d’Oomza. Au fil de l’histoire, les lecteurs voient Binti embrasser une nouvelle vie et s’efforcer de surmonter divers obstacles. Finalement, elle parvient à instaurer la paix entre les Khoush et les Meduse au sein de l’université d’Oomza.
Le dernier ouvrage que nous explorons ici est Remote Control (2021). Il retrace la vie d’une jeune fille née Fatima – qui s’appellera plus tard Sankofa –, dans la ville de Wulugu, au nord du Ghana. À l’âge de 4 ans, l’amour de Fatima pour la nature l’amène à fusionner avec un élément résiduel d’une pluie de météores. L’intrigue s’articule autour de la quête de Fatima de découvrir le but de sa vie, tout en manipulant l’étrange pouvoir qui cherche à la contrôler. Cette aventure l’entraîne de Wulugu jusqu’au Sud ; un voyage qui ne s’achève que lorsqu’elle est parvenue à ramener l’élément à ses origines. Remote Control soulève des questions thématiques centrées sur l’exploitation des communautés rurales par les dirigeants politiques et les entreprises internationales, sur la solidarité féminine, sur la perte et le deuil qui y est associé.
Chacun de ces trois textes appartient au genre de la fiction spéculative noire, qui met l’accent sur les concepts et les thèmes afrocentristes sur fond de technologie, de fantaisie, de réalisme magique et de science-fiction. Dans ce qui suit, l’article examinera trois méthodes par lesquelles Okorafor utilise des éléments culturels en relation avec l’identité physique, l’identité sociale et l’identité spirituelle pour exprimer et orienter sa vision du panafricanisme. Pour exprimer le panafricanisme comme représentant « l’ensemble du patrimoine historique, culturel, spirituel, artistique, scientifique et philosophique des Africains » (Epochi-Olise & Monye, 2021), il est important que les trois textes soient examinés comme une collection de l’ensemble de l’œuvre d’Okorafor. Le sentiment panafricain partagé dans le journal Echo de l’Union africaine selon lequel « les Africains ne partagent pas seulement une histoire commune, mais un destin commun » devient une voie par laquelle Okorafor, d’origine Igbo/nigériane, reconnaît ce destin futuriste des Africains et, en conséquence, réunit diverses identités ou représentations dans le contexte d’héritages coloniaux partagés afin de représenter ce destin. L’étendue du contenu de ces trois textes suppose implicitement que nous procéderons à une sélection ciblée plutôt qu’à un examen exhaustif de la question.
 

Identité physique : cheveux et corps

Dans les trois textes, l’auteure se focalise sur les cheveux en tant que repère identitaire et culturel qui rappelle la résistance aux normes occidentales imposées, tout en indiquant de nouvelles voies à suivre pour les femmes noires. La signification des cheveux pour les Africains dépasse le cadre de la simple beauté. Johnson et Bankhead observent que pendant des siècles, les cheveux, tant pour les femmes que pour les hommes africains, ont été intimement liés à l’identité culturelle, à la spiritualité, à la formation du caractère et aux critères de beauté, et faisaient partie intégrante du langage et du système de communication propres à la vie des Africains (2014, p. 87). Avec l’arrivée des colonisateurs européens qui ignoraient tout des cheveux africains (que ce soit à propos de leur signification, ou de leur entretien), de nouvelles pratiques capillaires ont été imposées aux Noirs. Cela s’est poursuivi lorsque l’esclavage a forcé des millions de personnes à traverser l’Atlantique. Ce voyage vers l’Ouest durait environ trois mois, les cheveux des Africains s’emmêlaient et se densifiaient en raison du manque de soins à bord des navires. Les esclavagistes ont alors décidé de raser leurs cheveux afin d’éliminer le fardeau des soins capillaires et d’augmenter la productivité. L’effet de la maltraitance des cheveux africains a involontairement conduit à un sentiment de mépris envers les cheveux crépus, en les comparant aux cheveux européens longs, soyeux et lisses considérés, eux, comme beaux et séduisants. Il fallait « dompter » ces cheveux noirs par divers moyens et leur donner une apparence aussi européenne que possible. Par le biais de l’éducation et de la religion, les normes de beauté européennes ont continué à être imposées aux indigènes africains. Elles sont devenues, et le sont encore à certains égards, une marque du niveau de « civilisation ».
Ainsi, en portant leurs cheveux avec des coiffures traditionnelles, les personnages d’Okorafor se réapproprient le passé avec force en montrant que les cheveux constituent une partie émotionnelle, symbolique et indissociable de leur identité. Toutes trois adoptent le mouvement naturel des cheveux et deviennent les symboles des anciennes normes de beauté africaines du Nigeria, de la Namibie et du Ghana. La description des cheveux par Okorafor, en plus de rejoindre les préoccupations similaires d’écrivains contemporains tels que Chimamanda Adichie, est donc lue comme un rejet des normes de beauté occidentales actuelles et du racisme autour des types de cheveux noirs et africains. La politique des cheveux est un engagement fondamentalement panafricain que l’auteure utilise pour marquer l’identité physique des trois personnages, pour rappeler le passé et pour transcender les cultures de manière résolument panafricaine. Alors que les personnages des deux premiers romans ont des dreadlocks, Sankofa est chauve. Ces deux choix renvoient au passé, où les femmes africaines du continent avaient coutume d’arborer l’une ou l’autre coiffure[6]. Ils ouvrent à nouveau la voie à la réticence à accepter le passé africain, réticence contre laquelle Okorafor se bat à travers ses personnages.
Zahrah a une identité unique car, contrairement aux autres enfants de Kirki du royaume d’Ooni, elle est née avec des dreadlocks, synonymes de pouvoirs spéciaux et d’esprit rebelle. Binti porte également d’épaisses dreadlocks que sa tante appelle « ododo », en référence à l’herbe sauvage et dense de l’ododo (p. 11). Binti apprécie ses cheveux épais, élément le plus visible de son identité, et est très attentive à leur apparence. Elle s’assure de leur bonne hydratation en y appliquant régulièrement un mélange d’argile rouge et d’huiles essentielles appelé « otjize ». De même, Sankofa entretient ses cheveux avec du beurre de karité. L’utilisation de l’otjize et du beurre de karité est une pratique séculaire pour pallier les conditions désertiques du nord de la Namibie et du nord du Ghana. Bien que ces produits soient locaux et donc adaptés à leur environnement, la tendance contemporaine est de privilégier ceux venant de l’étranger. Dans les deux pays, comme dans de nombreuses régions d’Afrique, des produits de beauté provenant d’Amérique du Nord, d’Asie et d’Europe inondent les marchés locaux, rendant les pratiques africaines à la fois archaïques, obsolètes et sous-évaluées. Pire, certains produits sont nocifs, notamment les crèmes blanchissantes[7]. À une époque où les alternatives étrangères sont de plus en plus courantes, la décision de l’auteure de privilégier ces pratiques traditionnelles permet un retour au passé, engendrant un potentiel développement économique et culturel, et renforçant ainsi l’identité nationale et individuelle. Cette dernière est plus explicitement mise en évidence malgré la dévalorisation des coiffures naturelles.
Zahrah et Binti sont rejetées à cause de leurs cheveux. La rareté des mèches de Zahrah suscite la crainte des habitants de la ville, qui la malmènent et la traitent de « tête de vigne », « femme serpent », « sorcière des marais » et « monstre » (p. 3). Ces injures rappellent des propos que les porteurs de dreadlocks subissent, à la fois en Afrique et dans la diaspora[8]. Zahrah, qui a d’abord accepté ces surnoms vicieux et laissé ces mots la définir, parvient à se défaire de cette soumission sociétale et assume ses cheveux qui, selon sa mère, ont des qualités dada, notamment celle de l’obliger à garder la tête haute. De même, Binti, seule fille Himba à s’aventurer dans l’espace, avant de monter à bord du vaisseau spatial pour l’université d’Oomza, rencontre différentes nationalités, tels les Khoush, qui l’observent d’un œil condescendant, font des commentaires désobligeants à son égard et se permettent même de lui toucher les cheveux. Au cours d’une conversation, ils disent que ses cheveux sentent « la merde parce que c’est de la merde », et se demandent s’ils sont vrais. Ils traitent également son groupe ethnique d’immondes barbouilleurs (p. 16), rappelant ainsi les représentations racistes du continent à travers le prisme eurocentrique qui, traditionnellement, ne respecte pas les spécificités africaines. Malgré ces insultes, Binti garde son sang-froid et menace de faire la guerre s’ils touchent à ses cheveux (p. 16). L’attachement profond qu’elle leur porte symbolise un attachement à sa culture et à son héritage. Le traitement des cheveux est très important pour les Himba. La couleur rouge-orange du mélange symbolise la terre et le sang, l’essence de la vie. Ainsi, pour les Himba, les cheveux ont un pouvoir profond et significatif. Ils sont également politisés dans Binti pour mettre en lumière les préjugés liés à l’apparence physique.
Les coiffures courtes et chauves font également partie de la culture africaine depuis des siècles. Dans certaines régions du nord du Ghana, les veuves et les enfants se rasent la tête pour faire le deuil de leur mari ou de leurs parents. Les épouses des rois et les femmes de la royauté dans la culture akan ont également tendance à être chauves ou à porter les cheveux très courts. En tant qu’orpheline, Sankofa utilise donc cette coiffure comme un signe de deuil, tout en expliquant pourquoi elle se déplace sans être accompagnée par ses parents.
 

Identité sociale : nom et représentation

Les noms ont un lien culturel fort avec l’identité africaine. Kofi Anyidoho le souligne lorsqu’il relie les noms dans les romans d’Ayi Kwei Armah à la personnification. Anyidoho affirme qu’Armah utilise les noms à la fois pour leur valeur symbolique et pour ouvrir des perspectives sur les identités socioculturelles (1992, p. 36). Okorafor s’appuie également sur les noms africains et l’identité sociale, notamment la nourriture, la langue, les vêtements et les relations sociales au sein de la communauté. La combinaison de ces facteurs dépeint l’héritage culturel et l’identité nationale des habitants de certaines régions du Nigeria, du Ghana et de la Namibie, tout en faisant des allusions aux autres cultures africaines. En choisissant des noms issus de différentes cultures africaines, Okorafor établit des parallèles entre ces cultures, et met l’accent sur l’identité qui les unit dans un cadre panafricain. Sa capacité à faire converger ces cultures disparates révèle des liens modernes avec des exemples anciens tels que l’empire du Mali de Soundiata Keita au xiiie siècle (qui s’étendait de la Côte d’Ivoire à la Guinée) et le royaume Ashanti d’Opoku Ware I au xviiie siècle (dont le royaume s’étendait sur la Côte d’Ivoire et le Ghana), parmi beaucoup d’autres États-nations de type fédéral. En réunissant différents royaumes et États, les diverses cultures s’influençaient mutuellement et partageaient des similitudes – pour l’ancien Mali, les noms des Bambara se traduisent en wolof et en peul, tandis que chez les Ashanti, les noms des membres de la famille royale se traduisent en gonja.
Dans Remote Control, Okorafor présente délibérément une culture qui avance à son propre rythme tout en conservant des éléments culturels importants tels que la langue, les vêtements et la communauté. Son clin d’œil le plus explicite au passé africain est peut-être le nom de son personnage principal. Au-delà de l’évocation évidente du passé, le nom « Sankofa » évoque le panafricanisme, car Fatima est originaire de Wulugu ce qui signifie qu’elle est une Mamprusi ; à ce titre, le nom akan Sankofa indique un passage d’une ethnie à une autre. Même si les deux noms (Mamprusi et Sankofa) proviennent du même pays, il faut souligner à nouveau que le passage d’un groupe ethnique à l’autre fonctionne comme un véritable engouement pour les questions relatives à l’avenir de l’Afrique, fondé sur une approche africaine. Ainsi, en utilisant le nom akan de Sankofa, Okorafor montre son intérêt pour le brassage des cultures africaines. Cet intérêt se retrouve dans Binti, dont le nom est d’origine swahilie, bien qu’elle soit une Himba. De même, le nom Zahrah est swahili, et le fait de vivre au Nigeria renforce le fil conducteur panafricain en termes de dénomination. Si l’acte de nommer permet à Okorafor de créer une culture panafricaine transnationale, les récits historiques renforcent également le lien qu’elle crée avec le passé.
Il est également important de noter que Zahrah et sa famille appartiennent au royaume d’Ooni, ce qui confirme le lien avec le Nigeria. L’Ooni d’Ile-Ife (Ọọ̀ni Ilè-Ifẹ̀) est le souverain traditionnel d’Ile-Ife et le chef spirituel des Yorubas. La dynastie Ooni existait avant le règne d’Oduduwa, dont les historiens pensent qu’il a existé entre les viie et ixe siècles. Ici, le retour évident à l’histoire est une adhésion aux principes de Sankofa, ce qui permet à Okorafor non seulement de valoriser ce passé, mais aussi de montrer comment une construction du passé peut être fortement liée à des imaginaires de l’avenir d’une manière panafricaine qui privilégie le féminisme. Si les perspectives féministes peuvent aider à repenser la compréhension du panafricanisme, il est important de ne pas traiter la question des femmes comme une source de division (Abbas & Mama, 2014, p. 5).
En conséquence, l’utilisation de l’identité sociale pour définir l’avenir de l’Afrique dans une perspective panafricaine se manifeste également dans le choix des jeunes filles comme personnages principaux. Ce choix d’Okorafor a deux implications majeures. Tout d’abord, dans un sens contemporain, elle inscrit sa représentation dans une ligne féministe en attribuant aux jeunes filles des niveaux élevés d’action, car elle reconnaît tacitement le rôle joué par les femmes au cours de l’évolution du panafricanisme. Des commerçantes aux journalistes, en passant par les militantes et les politiciennes, les femmes ont joué un rôle clé dans la lutte pour l’indépendance des Noirs sur tout le continent et au-delà ; malheureusement, leur rôle est généralement occulté ou relégué au second plan. Même si la recherche révèle peu à peu ces figures cachées, il reste encore beaucoup à faire[9]. Okorafor rattache donc ses héroïnes à ces ancêtres. Alexander (2003) soutient qu’en tant que mouvement, le panafricanisme a fortement insisté sur le fait que la solidarité et l’alliance panafricaine favoriseront l’autosuffisance, en permettant notamment au potentiel de l’Afrique de prospérer, de s’autonomiser et d’accomplir le destin de tous les peuples africains dans le monde, quel que soit leur sexe. Si l’on examine les activités de femmes telles que Amy Ashwood Garvey, Muthoni waKirima, Shirley DuBois, Funmilayo Ransome-Kuti, Florence Matomela, Ardua Ankrah, Marie Koré et Mabel Dove, entre autres, force est de constater que l’histoire du panafricanisme ne peut être déclarée exhaustive (Azikiwe, 2016). En dépit de cela, il existe peu d’informations sur leurs diverses contributions au mouvement. L’inclusion des filles dans les récits d’Okorafor fait avancer la réflexion en déplorant leur absence. Ensuite, l’accent mis sur les personnages féminins qui s’appuient sur le passé met en évidence l’action des femmes dans l’Afrique précoloniale. Même si les femmes africaines sont généralement considérées comme soumises, avant leur interaction avec les valeurs et les idéaux européens, elles étaient autonomes. La forte représentation d’Okorafor qui transparaît tout au long des romans met donc en évidence leur impact sur le passé, ce qui permet de repenser la présence des femmes dans l’espace panafricain. Cela est d’autant plus vrai que Zahrah the Windseeker, par exemple, se déroule dans l’Afrique précoloniale. Le fait de présenter Zahrah comme une femme pleine d’entrain permet de réimaginer les relations sociales en donnant vie à une histoire (en grande partie perdue).
 

Identité spirituelle : fétichisme africain et récupération de la mystique africaine

Cette histoire oubliée est à nouveau revendiquée par le biais d’un retour à une identité spirituelle africaine traditionnelle, destinée à valider le passé et, ce faisant, à rappeler au lecteur l’importance d’aller de l’avant avec des aspects culturels de l’histoire qui ne sont pas toujours considérés comme utiles. Les trois romans soulignent l’essence du mysticisme africain qu’Okorafor utilise pour projeter en particulier ce qu’elle appelle « le fétichisme africain ». Elle le fait en réponse aux retombées de l’historiographie impériale et des récits eurocentriques qui ont présenté l’Afrique comme un continent sombre, et parvient à se rapporter au monde en termes africains avec des étiquettes africaines. Elle reprend avec audace certaines pratiques anciennes ou abandonnées, au risque de perpétuer des stéréotypes racistes. À l’instar de sa quête de nsibidi, les romans d’Okorafor dépeignent la magie, les rituels et les coutumes africaines dans toute leur splendeur.
Dans Zahrah the Windseeker, bien que le cadre soit celui d’un royaume yoruba, Okorafor s’appuie sur le mysticisme igbo en utilisant la forêt maléfique comme leitmotiv. Elle l’appelle la « Forbidden Greeny Jungle » (la jungle verte interdite), qui sert de lieu aux éléments mystérieux, aux créatures et aux merveilles. Elle est définie comme un espace interdit dont les seules entités sont ses périphéries. Comme le dit le narrateur : « Une fois que l’on a parcouru quelques kilomètres, tout devient furieusement sauvage. Et quiconque s’y aventurait avait peu de chances d’en ressortir. » (p. 108). Tout comme Okorafor a ignoré les avertissements de son aîné, Zahrah et Dari sont curieuses de comprendre la jungle (p. 106). Forbidden Greeny Jungle est un clin d’œil à la façon dont Chinua Achebe traite la forêt maléfique dans son ouvrage de référence Things Fall Apart (1994), où les habitants d’Umuofia enterrent les personnes maléfiques et maudites[10]. Le fait d’évoquer Achebe permet à Okorafor d’ancrer encore plus profondément son œuvre dans le panafricanisme, notamment en raison des principes qui ont guidé l’œuvre d’Achebe. Dans Things Fall Apart, la forêt maléfique est stylistiquement juxtaposée au marché animé – on pense donc qu’elle est habitée par des esprits et qu’il s’agit d’une zone interdite. Cette croyance est ignorée par les colonisateurs européens qui y construisent une église. L’église devient un point de référence qui remet en question les traditions ancestrales des habitants d’Umuofia. Ce qui est implicite dans cette révision des codes culturels, c’est l’incapacité subséquente de ces préceptes à mettre en garde les populations, car les sanctions punitives ont perdu de leur efficacité. En conséquence, l’environnement, par exemple, a été régulièrement détruit sur tout le continent en raison de cette absence de sanction lorsque des espaces sacrés sont profanés. En plaçant le remède contre le Dari dans la Forbidden Greeny Jungle, Okorafor renforce le rôle positif que joue ce type de mysticisme. Grâce au retour éventuel de Zahrah, elle réimagine la forêt maléfique comme un site de récupération et non comme un vecteur de perte. Ce tournant est important car, alors que les éducateurs traditionnels ont tendance à considérer que l’introduction du christianisme a eu des effets positifs en Afrique, Forbidden Greeny Jungle décrédibilise et minimise l’implication des Européens dans la remise en question des traditions spirituelles africaines[11]. Ce sont les Africains eux-mêmes qui ont pris ce tournant après avoir acquis des savoirs issus de la vie quotidienne.
Dans Binti, le mysticisme africain se manifeste par des croyances, des coutumes et des rituels traditionnels, ainsi que par la possession de talismans de protection. Dans cette représentation, on retrouve la récupération et l’utilisation du mysticisme africain, des cosmologies et de la culture rituelle. Dans l’espace futuriste de Binti, par exemple, les Himba ne vénèrent pas des divinités coloniales telles que le Jésus chrétien ou l’Allah musulman. Au contraire, dans ce contexte, les Himba prient et louent les Sept. On ne sait pas exactement qui sont ces Sept – les Himba vénèrent en fait la divinité Mukuru – mais selon Binti, l’un des Sept fait jaillir la vie d’une riche argile rouge imbibée de pluie : « Cette argile était la mère, otjize. J’étais de l’argile maintenant. » (p. 199). Si l’histoire racontée ici n’est évidemment pas l’histoire originelle des Himba, le récit d’Okorafor entre en résonance avec les récits de création de toute l’Afrique, qui placent généralement les éléments naturels au cœur de l’édification du monde. Les Fulani, par exemple, utilisent du lait, fidèle à leur mode de vie nomade ; chez les Akan, le pilon à fufu occupe une place importante dans l’un des récits initiaux ; les Fon et les Ewe mettent en scène le serpent, originaire de leur région ; les Zulu font émerger leur créateur des roseaux, qui sont une caractéristique de leur paysage ; et les Kono utilisent abondamment la boue dans leur récit[12]. La nature polythéiste de l’histoire d’Okorafor est à nouveau emblématique de la plupart des récits d’origine africaine.
Outre ces coutumes et rituels, Binti possède un élément important du passé africain : un talisman. Il se présente sous la forme d’un ancien dispositif technologique indigène appelé « edan », qui non seulement la protège du mal et des attaques fatales extérieures, mais l’aide également à communiquer directement avec les Meduse. Il fonctionne uniquement par magie et est toxique pour les Meduse. Il la sauve d’une attaque sur un bateau et explique pourquoi son ami Okwu assiste à ses séances avec Okpala (p. 102). Dans un post Facebook consacré au livre, l’auteure explique que l’edan a été inspiré par l’idée d’un talisman yoruba ; en tant que tel, Okorafor l’incorpore pour qu’il fonctionne comme un GPS magique. Elle conclut : « Mon esprit s’est emparé de son histoire et l’a suivie[13]. » Les talismans constituent une part importante de la culture africaine et, historiquement, ils ont été utilisés pour se protéger des mauvais esprits ou du mauvais « oeil », même s’ils sont parfois considérés comme diaboliques et rétrogrades[14].
Dans Remote Control, le mysticisme africain n’est pas aussi présent que dans les deux premiers romans, car Okorafor crée un chevauchement entre la magie et la technologie. Parce que Sankofa obtient ses pouvoirs après sa rencontre avec la météorite, il est difficile de déterminer où s’arrête la technologie et où commence la spiritualité. Ce mélange et cette fusion permettent à Okorafor d’expérimenter les définitions de la magie et de la technologie, donnant ainsi l’impression que la magie et la science commencent et finissent l’une dans l’autre. Il se pourrait qu’Okorafor souligne l’engagement quotidien avec les deux formes en montrant que la perspective détermine ce qui est magique et ce qui est technologique. Elle éloigne l’idée du panafricanisme d’une éventuelle téléologie.
Dans l’ensemble, le traitement du mysticisme africain par Okorafor sert à « envisager un avenir qui bouleverse les notions préconçues de l’Afrique » (Moore, 2018, p. 9). Elle les exploite et les réécrit de manière à ce qu’elles dégagent de la fierté sans condescendance. Okorafor ne fonde pas les progrès technologiques sur la science telle que nous la connaissons, mais sur le mysticisme et le surnaturel inexplicable ou sur ce que les Africains, en particulier les Africains de l’Ouest, appellent le « juju » (magie noire). Son utilisation du mysticisme dans l’espace africain futuriste est cruciale, en particulier dans les débats concernant la signification des croyances sacrées des peuples colonisés ou marginalisés. Alors que les valeurs sacrées des populations marginalisées ont souvent été reléguées au primitivisme et à l’archaïsme, d’autres formes occidentales du sacré ont souvent été perçues, transformées et appropriées comme un moyen de renforcement des capacités locales (Ashcroft et al., 2003, p. 212). En donnant une image positive de ces aspects de la culture africaine, Okorafor fait l’éloge de l’histoire, de la tradition et de l’identité.
 

Conclusion : Panafricanisme et futurisme africain

Dans cet article, nous montrons comment le concept de retour au passé enrichit la lecture de ces trois romans. Okorafor joue le rôle de l’oiseau Sankofa qui reprend les cultures identitaires africaines anciennes de manière productive, dans ce futur prometteur où résident Zahrah, Binti et Sankofa. Le retour d’Okorafor à ces cultures rappelle une longue histoire d’écrivains africains opposés au discours eurocentrique qui attaque les identités africaines. Ce concept de retour, analogue à la théorie du Sankofa, permet à l’auteure de construire un catalogue qui privilégie les idéaux panafricains en tant que philosophie représentant l’ensemble de l’héritage historique, culturel, spirituel, artistique, scientifique et philosophique des Africains. Sa sélection dans un large éventail de cultures africaines présente un front uni pour l’Afrique. Ce retour tel qu’imaginé par Okarafor ne doit pas impliquer l’absence de progrès. Elle souhaite montrer comment la société africaine peut évoluer dans le sens du développement. L’adoption du Sankofa n’a pas pour but d’idéaliser le passé avec nostalgie ; au contraire, le passé est compris comme mélange de symboles culturels transcendant les cultures africaines avec un potentiel positif ou négatif, selon la façon dont ils sont perçus et utilisés. En d’autres termes, le retour au passé nécessite un tri minutieux pour choisir l’utile et éviter le nuisible. Néanmoins, ce tri risque de créer des hiérarchies en privilégiant certains aspects du passé. Ce n’est pourtant pas le cas d’Okorafor, qui s’appuie sur la tradition africaine et suggère un respect et une considération uniformes pour ce qu’elle choisit de mettre en avant dans son œuvre.
Alors que le travail d’Okorafor tend à être rattaché à l’afrofuturisme, un terme inventé par Mark Dery pour tenter de définir la science-fiction noire, elle classe son œuvre dans ce qu’elle appelle le « futurisme africain[15] ». Nous lions cet acte à ses origines afropolitaines : en tant que Nigériane née aux États-Unis, elle tient à conserver son identité africaine, en particulier dans un pays « étranger ». Ce désir est lié à son refus catégorique de voir son travail identifié à l’afrofuturisme : selon elle, ce terme n’est pas assez nuancé pour prendre en compte les travaux en dehors de la perception afro-américaine, avec les implications limitatives qui en découlent pour les écrivains spéculatifs africains[16]. Elle estime que l’afrofuturisme est enraciné dans la culture américaine, ce qui l’empêche d’intégrer les principes de l’écriture spéculative africaine. Elle pose donc la problématique et décrit les raisons de la nécessité d’un terme unique pour l’écriture spéculative africaine à des fins de spécificité, d’interprétation et de contrôle. À première vue, cette opinion semble remettre en cause ses efforts en faveur du panafricanisme. Après tout, le futurisme africain pourrait être une fragmentation de l’afrofuturisme. Nous pensons cependant qu’en refusant d’être classée d’afrofuturiste, Okorafor ne conteste pas nécessairement la définition de l’afrofuturisme, mais propose un terme plus précis. Celui-ci permet à Okorafor de prendre le contrôle de l’écriture spéculative africaine et de lui faire de la place : elle donne un aperçu de la manière dont les écritures nécessitent des termes spécifiques pouvant répondre à leurs identités complexes. En outre, Okorafor fournit des sous-catégories telles que le fétichisme africain qui, selon elle, est une sous-catégorie de la fantasy, mélange homogène des spiritualités et des cosmologies africaines avec le monde imaginaire. Cette quête reflète le rappel constant qu’elle fait à son public non africain : l’Afrique n’est pas un pays mais un continent hétérogène.
En privilégiant le futurisme africain, Okorafor recentre l’Afrique d’une manière qui renforce une vision panafricaine où les œuvres africaines ne sont pas subordonnées à la diaspora, mais atteignent plutôt un double objectif : rester autonomes d’une part, et élargir les notions de fiction spéculative noire d’autre part. En ayant leur propre sous-genre de science-fiction, les récits comme le sien peuvent se rapprocher des espaces africains et promouvoir des œuvres qui se concentrent sur le continent tout en étant respectueuses de sa diaspora.

Notes

[1] Voir Quarcoo (1972), Osei (2020) et Opoku-Agyemang (2017) pour plus de détails.

[2] Voir les recherches d’Osei sur le cinéma et celles d’Opoku-Agyemang sur la littérature numérique.

[3] Voir Jaji (2014), par exemple.

[4] Voir les recherches représentatives dans Murphy (2018), Fraser (1980), Kumavie (2015), Secovnie (2007) et Orlando (2006), ainsi qu’une synthèse de Temple (2020).

[5] Dada est le terme utilisé pour désigner une fille dont les cheveux sont naturellement attachés avec des lianes.

[6] Voir White & White (1995, p. 49-50).

[7] Voir De Souza (2008).

[8] De nombreux témoignages font état d’une telle discrimination au Ghana, au Nigeria, au Kenya, aux États-Unis et au Royaume-Uni, entre autres.

[9] Voir Parpart (2019) et Falola & Amponsah (2012).

[10] Voir Edoro-Glines (2018) et Njoku et al. (2017).

[11] Au Ghana, par exemple, les élèves de l’école primaire apprennent les effets positifs du colonialisme.

[12] Kanu & Ndubisi (2021) expliquent plus en détail.

[13] https://www.facebook.com/BintiNovella/photos/the-edan-the-idea-for-the-edan-in-binti-came-to-me-when-a-close-friend-who-is-yo/1628971407360987/

[14] Voir Agboada (2021).

[15] Voir Lavender & Yaszek (2020).

[16] Okorafor présente parfois cet argument sur Twitter.


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Osei, E. A., Opoku-Agyemang K. (2023). Les futurs africains de Nnedi Okorafor, Sankofa et les échos du panafricanisme. Global Africa, 3, pp. 8-9. https://doi.org/10.57832/j9te-pr03


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Osei Elizabeth Abena and al. "Les futurs africains de Nnedi Okorafor, Sankofa et les échos du panafricanisme". Global Africa, no. 3, 2023, p. 8-9. doi.org/10.57832/j9te-pr03


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https://doi.org/10.57832/j9te-pr03


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