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Éditorial

Lagos 1980 et le droit des Africain.e.s à la science

Global Africa

Le comité de rédaction est dirigé par Mame-Penda Ba, professeure en sciences politiques à l'Université Gaston Berger et directrice du LASPAD.

redaction@globalafricapress.org

numéro :

Panafricanisme, recherche africaine et enjeux globaux

Pan-africanism, African Research, and Global Challenges

Upana-Afrika, Utafiti wa Kiafrika na Changamoto za Kimataifa

البان أفريقيا والبحوث الأفريقية والقضايا العالمية

GAJ numéro 02 première.jpg.jpg

Publié le :

20 septembre 2023

ISSN : 

3020-0458

03.2023

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Plan de l'article

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Toutes les fois qu’il est question de panafricanisme et de recherche africaine comme le propose ce numéro 3 de Global Africa, il nous faut faire preuve d’intelligence de premier ordre[1] pour ne pas verser dans l’amertume, la colère, le découragement. Ainsi, quand on reconstitue l’histoire du Plan d’action de Lagos (PAL), l’une des plus ambitieuses stratégies de développement pour le continent, ce n’est pas seulement le triste sort qui lui a été réservé qui déconcerte, mais le fait qu’en dépit de la violence de cette expérience, les États africains ne sont pas radicalement déterminés à réaliser toutes les conséquences de sa leçon essentielle, à savoir que le devenir africain est une responsabilité (pan)africaine. 
Rappelons que le PAL a été adopté en avril 1980 lors de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), à la suite de l’adoption en 1979 de la stratégie de Monrovia pour le développement de l’Afrique. Le PAL consistait en un ensemble de mesures concrètes pour la mise en œuvre de cette stratégie dont les piliers étaient « l’autonomie collective et le développement endogène et auto-entretenu » pour la période 1980-2000. Il a été ensuite présenté à la 11e session extraordinaire de l’assemblée générale des Nations unies en septembre 1980, et a été intégré à la stratégie internationale pour la 3e Décennie des Nations unies pour le développement (1981-1990). Ce texte figure parmi les gestes d’une Afrique qui prend à bras le corps tous ses problèmes, pense sa place dans le monde, s’autocritique, initie, propose, se projette, désire pour ses peuples. 
Le chapitre V du PAL, qui traite spécifiquement de « science et technologie », donne une série de propositions dont le fil conducteur – simple mais hautement ambitieux – tient en ceci : « Les États membres doivent […] adopter des mesures pour assurer le développement d’une base scientifique et technologique adéquate et une application appropriée de la science et de la technologie en vue d’assurer le développement de l’agriculture, des transports et communications, de l’industrie y compris les agro-industries connexes, la santé et l’hygiène, l’énergie, le développement de l’éducation et de la main-d’œuvre, le développement urbain et l’environnement ». Élément remarquable, ce chapitre est le plus long du document : il fait plus de trente pages quand les autres en comptent une dizaine. Au cœur du panafricanisme de l’Union africaine (UA) et de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) se trouve donc la conscience aiguë de l’importance de la recherche et de la création de connaissances. C’est aussi dans le PAL que la proposition de mobiliser des ressources nationales à hauteur de 1 % des PIB en faveur de la science et la technologie a été posée : « Afin de prouver leur volonté et leur engagement politiques, les États membres sont instamment invités à augmenter, au cours de la prochaine décennie, leur contribution au développement de la science et de la technique dans leurs pays jusqu’à concurrence de 1 % de leur PIB. » Des propositions fortes indiquent les pistes de financement possibles : augmentation des allocations budgétaires étatiques, taxes sur les produits d’importation, institution d’un impôt sur le chiffre d’affaires brut des principales entreprises publiques et privées du secteur de la production, obligation faite par les gouvernements à toutes les sociétés et entreprises à participation étrangère de consacrer un pourcentage fixe de leurs dépenses totales à des activités de recherche-développement. La Banque africaine de développement (BAD) ainsi que les banques régionales de développement devraient quant à elles « affecter un certain pourcentage de [leurs] ressources au financement de projets dans le domaine de la science et de la technique ». 
Alors qu’il promouvait l’autonomie collective et une forte coopération intra-africaine, le PAL n’a jamais pu être véritablement mis en œuvre, il a été simplement marginalisé et abandonné au profit des recettes néolibérales du rapport Berg de la Banque mondiale[2] (1981) qui, se situant en totale contradiction avec Lagos, ne parle sans surprise ni de recherche ni de développement scientifique, sauf pour l’agriculture – car il faut stimuler les exportations – et « les besoins en recherche » pour la santé tiennent très exactement en trois paragraphes (sur 239 pages !), alors même que le rapport indique en introduction que « l’espérance de vie africaine à la naissance […] est de loin, la plus basse de toutes les régions du monde ». Dans le lot de ces brutales dévastations, les plans d’ajustement structurel (PAS), qui s’inspireront directement du rapport Berg et seront de fait les seules politiques publiques mises en œuvre par les États africains les deux décennies qui suivront, n’épargnent pas l’Université africaine, la recherche africaine et les institutions de sa diffusion (presses universitaires, maisons d’édition). En 2000, la Banque elle-même reconnaîtra qu’elles ont été des échecs et proposera des stratégies de réduction de la pauvreté en lieu et place des PAS.
Mais la tragédie ne réside pas tant dans cette mise à mort du PAL et l’enlisement de tout un continent dans une pauvreté et une extraversion sans nom, mais dans le fait que cette expérience ne nous a pas enrichis. Nous ne sommes pas sortis de ces épreuves plus riches mais plus pauvres[3] dans notre connaissance des rapports savoir-pouvoir au niveau mondial. Plus de vingt ans après la clôture du cycle des PAS et le « retour de l’État africain », aucun des 55 pays du continent n’a atteint l’objectif des 1 %, et il n’y a d’autosuffisance dans aucun des domaines visés par le PAL, les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), l’Agenda 2063 ou les Objectifs de développement durable (ODD). Les stratégies pour la science et la recherche se sont succédé aux niveaux national, régional et continental, et en dépit de l’important dispositif institutionnel de l’UA pour la recherche (voir carte 1 page 160), toutes ces structures manquent de financement décent et pérenne.
Il faut donc analyser le destin du PAL et celui du rapport Berg pour comprendre, preuves et expérience à l’appui, que la recherche africaine, sa conception, son financement, sa mise en œuvre, sa coordination doivent être une affaire de souveraineté collective panafricaine et surtout de consistance politique.
Alors que le monde a pris le pas de la révolution digitale, que les incertitudes tout comme le besoin de connaissances nouvelles sont immenses, l’Afrique semble ne pas toujours prendre au sérieux le crédo indépassé du chapitre V du PAL : formation et recherche scientifique sont des conditions nécessaires et obligatoires du développement, leur financement est une haute priorité. Il n’y a pas de transformation possible des secteurs agricole, industriel, énergétique, sanitaire, d’aucun domaine clé de la connaissance sans les ressources humaines capables de faire face à ces défis et sans les institutions de recherche capables de mener des investigations d’envergure et de susciter des innovations ancrées et utiles. 
Nous disions que le conflit entre le sentiment de désespoir et la détermination à changer l’ordre des choses s’apaise dans les intelligences de premier ordre. C’est pourquoi les communautés scientifiques doivent être sur la ligne de front, aux côtés des sociétés civiles panafricaines et alliées, pour continuer à porter la revendication d’un droit individuel et collectif à la science, et contraindre les États africains à faire face à leur obligation de consistance. 
Les coordonnateurs scientifiques de ce numéro, qui ont été bien plus en réalité : des mentors patients et rigoureux à l’érudition et à la générosité exceptionnelles, nous rappellent dans ce numéro spécial que le panafricanisme a toujours et d’abord été un projet épistémique. Ils ont, en plus de l’accompagnement des auteur.e.s, pris langue avec des experts en charge de la recherche scientifique dans des organisations panafricaines majeures comme l’UA et la Cedeao. Leur engagement et leur travail sont remarquables et nous leur témoignons ici notre immense reconnaissance. Les auteur.e.s ont travaillé sur des enjeux globaux majeurs : l’inclusion, la différence, les archives, les institutions panafricaines de création de connaissance, les mobilisations transnationales, démontrant par-là la fécondité du paradigme panafricain pour penser les dynamiques africaines et mondiales. 


Notes

[1] Dans sa nouvelle La Fêlure (1945), F. S Fitzgerald affirme que « ce qui caractérise une intelligence de premier ordre, c’est son aptitude à garder simultanément à l’esprit deux idées contradictoires sans pour autant perdre sa capacité à fonctionner. On devrait par exemple être capable de voir que les choses sont sans espoir et pourtant être déterminé à les changer ».

[2] Il faut se rappeler le contexte de l’époque : face à l’évolution alarmante des économies africaines, les chefs d’État et de gouvernement élaborent la stratégie de Monrovia et le PAL. De leur côté, de nombreux ministres de l’Économie et les gouverneurs africains de la Banque mondiale demandèrent également à la Banque de préparer un document spécial sur la crise des économies africaines. La Banque mondiale rend en octobre 1981 le rapport intitulé Développement accéléré en Afrique au sud du Sahara : programme indicatif d’action, dénommé rapport Berg du nom de son principal auteur, Elliot Berg.

[3] Walter, B. (1933). Expérience et pauvreté. Editions Payot et Rivages.

Bibliographie

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Pour citer l'article :

APA

Global Africa. (2023). Lagos 1980 et le droit des Africain.e.s à la science. Global Africa, 3, pp. 6-8. https://doi.org/10.57832/524c-fg77


MLA

Global Africa. "Lagos 1980 et le droit des Africain.e.s à la science". Global Africa, no. 3, 2023, p. 6-8. doi.org/10.57832/524c-fg77


DOI

https://doi.org/10.57832/524c-fg77


© 2023 by author(s). This work is openly licensed via CC BY-NC 4.0

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